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Henry War
27 octobre 2018

L'Argent, Émile Zola, 1891

L'Argent

J’ai toujours un certain plaisir – je veux dire : un plaisir minimal garanti – à lire du Zola. On est assuré d’y retrouver un style exigeant, des tournures fortes d’évocations, un vocabulaire rigoureux, exact et significatif – j’y reviens toujours avec l’appétit des contours nets et des contenus consistants. Zola, c’est l’homme positif qui veut transposer toutes les couleurs de la Vie avec la minutie et la méthode d’un artiste des sciences : on perçoit la phrase mûre, sèche ou ample selon la vision à transmettre, le travail du façonnage, la taille et le polissage appliqués d’un artisan habile, d’un ouvrier d’exception. Maints autres auteurs de cette époque ont eu aussi ce souci consciencieux d’une langue millimétrée permettant la lecture même sans l’intérêt de l’intrigue – on tire des délices du français, de la capacité, éclatante, indéniable au regard du moindre esthète, à communiquer aussi bien la chose que le sentiment de la chose ; c’est une école d’observation et de discipline, d’acharnement, où le rapport écrit du moindre objet trouve ses difficultés dans la singularité de l’angle et de la manière – ; n’importe si d’autres ont eu cette capacité : Zola l’a eue aussi.

Je lis Zola presque par nostalgie, en quête d’un labeur qui n’existe plus ou plus guère – pareillement achète-t-on encore des meubles en bois massif dans un siècle de buffets chiches et démontables. Tout est profond à ces façonneurs de réalité, même si leurs sujets sont creux : ils deviennent, dans ce cas, profondément superficiels, comme Huysmans, et ceci vaut encore mille fois mieux que d’être, comme nombre d’auteurs aujourd’hui, superficiellement superficiels.

Il faut bien regarder la chose, et puis la représenter tout juste : ce soin-là d’examen et de conformité témoigne d’une sélection, d’une finesse, d’une analyse, en un mot : d’un art. Avec cette attentive et studieuse conception, la littérature cesse aussitôt d’être un divertissement : trop d’effort, trop de soif d’absolu ; on ne fabrique pas de pareils bijoux ciselés pour la simple parure, ces objets-ci sont attachés à un certain culte ; le joyau en soi serait-il faux que ça ne changerait rien au temps passé à ses facettage et sertissage ; on a toujours du respect pour la bonne facture, quelle que soit même la pureté de l’eau ; l’œuvre ainsi parachevée et acquise est, comme l’écrivait Nietzsche, un gage d’estime réciproque.

Et je considère que c’est l’essentiel d’un écrivain de ne pas vouloir seulement « raconter des histoires ». Tous ceux qui, de nos jours, affirment le contraire, avec leur lot enthousiaste et affiché d’humilité et de générosité racoleuses même sincères, sont pour moi des imposteurs : ils s’arrogent un titre auquel ils ne peuvent prétendre, comme un caissier se déclarant banquier. Je réclame que dans un livre il y ait aussi de l’art, et j’avance que sans cela il n’y a pas d’œuvre, tandis qu’une œuvre, à la limite, peut se dispenser de faits, attendu par exemple que Madame Bovary ne raconte pas grand-chose, quand À Rebours ne relate presque rien.

L’Argent poursuit l’itinéraire de Saccard, retourné à Paris après la Fortune des Rougon, rendu riche pendant La Curée après de nombreux tripotages immobiliers opportunistes durant les transformations d’Haussmann, immoral, ambitieux, assoiffé de mondanités ostentatoires, portant jusque dans le sang toute une fièvre démesurée et bestiale de revanche sur la vie, jouisseur extrême, avide de puissances colossales, intolérant des demi-mesures et des vraies inhibitions, poseur, calculateur, effréné de conquêtes à conditions qu’elles soient publiquement superbes. Ruiné je ne sais comment à l’issue probable d’un de ces coups passionnés où l’on quitte ou double, fulminant de rancœurs rentrées, il réclame auprès de son frère Rougon, ministre hautain et stratège, une place à la hauteur des talents qu’il se figure, et, en attendant la réponse, trépigne d’impatience en contemplant d’assez près les acteurs de la Bourse qu’il juge des risque-tout fascinants, ruminant lointainement un plan… quelque chose comme une idée de génie pleine de périls et qui le travaille.

La Bourse est la grande machine de ce roman, au même titre que le train est celle de La Bête humaine ; c’est le milieu d’élection à l’étude, suivant la grande méthode systématique de l’auteur qui prétend à rendre compte exactement de toutes les réalités de son siècle : un cycle pour représenter tout l’univers humain, toutes les activités, toutes les sociétés, toutes les catégories représentatives de la France sous le Second Empire.

Secrète, obscure, alchimique, cette Bourse que l’on côtoie pourtant quotidiennement à travers ses agents, tout un peuple singulier de chuchotements et d’humeurs, au sortir de son édifice tangible et licite mais qui, pour tous, est un Temple des Mystères, oblique et tout-puissant. On murmure, çà et là, les réputations de fortunes fondées sur un seul coup insensé et magistral, les fluctuations mentales de tous les maniaques que le jeu a dévorés d’angoisse et d’espérance, les stratégies hasardeuses des haussiers et des baissiers, gens extrêmement attentifs, dans leur professionnelle fébrilité, aux moindres rumeurs que l’on tâche à exprimer d’une poignée d’hommes discrets, supposés initiés, qu’on redoute, qu’on admire et dont on veut devancer les actes comme des oracles de Pythie, ces détenteurs – on l’espère en tremblant – de tout un savoir alambiqué capable de changer, d’un seul hochement de tête, en or pléthorique quelques petits billet d’ordre a priori insignifiants.

Alors, on surveille ces prêtres impénétrables et bizarres : un sourire entr’aperçu de celui-ci ? il faut acheter ! À moins que le sourire fût feint !... N’a-t-il pas émis un signe d’agacement en consultant les cours ? il faut vendre ! Mais s’il ne faisait que – déplier son mouchoir !...

Et sur tout ce monde de conciliabules dérisoires et monstrueux, d’informations infimes constituant peut-être la source de richesses prodigieuses, de solliciteurs désargentés aux aguets et de sommités vénérables abritées de placements milliardaires, règne en roi habile, en maître incontesté, en manipulateur universel des Nations depuis l’origine des civilisations, l’expert en créances par nature, le sectaire par dissimulation, l’homme-rente, l’homme-argent et donc l’homme-pouvoir, la figure abhorrée autant que supérieure indiscutablement : le Juif.

Le Juif, chez Zola, veille attentivement, tout au sommet de cette formidable pyramide de folie de dividendes et de bénéfices, attendant adroitement, de siècle en siècle, le jour de plus en plus prochain de sa main mise sur le monde, étendant patiemment son bras sur les ors dont tout dépend, souriant dans l’ombre mais au su de tous, gagnant inexorablement, condamné à triompher par ruse atavique, ne sachant rien d’autre, car il ne travaille pas, ne sait pas travailler, que fructifier à son avantage l’argent des autres qu’il accapare, et toute son espèce à part, et toute sa race si reconnaissable d’usuriers cauteleux et furtifs.

Vraiment, j’ai plus compris sur l’origine de la Seconde Guerre Mondiale grâce à ce livre de fiction qu’à travers tous les écrits historiques et documentaires que j’ai pu lire et qui, chaque fois, m’ont laissé ahuri et interloqué, sans réponse face à ce phénomène irrationnel, inexplicable et absurde que constitua, pendant deux millénaires, la haine du Juif. Je n’ai lu nulle part ailleurs et avec autant d’éloquence cette rancune inimaginable et immense qu’échafaudèrent contre lui les peuples, et presque tous les peuples du monde, le rendant si sournoisement responsable de toutes leurs calamités, de toutes leurs chutes, de tous leurs vices désastreux changés contre lui seul en une seule accusation d’opprobre et d’infamie – mais au fond plus dégradante pour ceux qui la proférèrent que pour ceux qui, placidement, en reçurent à plein l’abjection : « ce n’est pas à nous la faute, c’est à lui, c’est à eux, eux ! »

Sept ans avant son article J’accuse, Zola restitue avec tant de force, à travers Saccard, cette antipathie féroce et souterraine des Juifs qu’on est même en peine de deviner le Dreyfusard à venir ! C’est peut-être l’effet propre au réalisme, au naturalisme même : la violence de ce défoulement racial résonne avec tant de cruelle dureté crédible – et notre oreille, sans doute, l’entend autrement depuis la Shoah – qu’on en tire – que j’en ai tiré personnellement, mais dans quelques pages seulement –, une gêne (et l’on sait que je ne suis pas « moralement sensible »), un effarement, un ébranlement édifiant. Et je crois qu’à présent je comprends mieux l’origine inexplicable de toute cette affreuse hallucination collective.

Le roman : fabrique d’imagination et de transmission des idées les plus scientifiquement indémontrables et inaccessibles, par la seule représentation tant vraisemblable des hommes, changés en personnages. Ce tour-là, pour moi et sur ce thème longtemps mystérieux – dont je ne cessais opiniâtrement de poursuivre l’énigme – du Juif perpétuellement exécré, a réussi.

Pourtant, l’antisémitisme est loin de constituer le sujet principal du livre, par conséquent il ne doit pas l’être non plus dans ma critique. C’est bien plutôt un roman sur la démesure des passions suscitées par les appâts-mirages de l’argent, sur la vaniteuse fièvre de la gloire et des reconnaissance publiques, sur l’obsession des gains amassés dont on aspire au sempiternel doublement, et la déconnexion éberluée de toute conscience de la valeur réelle des choses, au cœur d’un système fiduciaire où la raison captivée, grisée, ébranlée, ressort affreusement altérée de cette logique imprévisible des paris et des cours.

En somme, L’Argent, c’est le récit de l’invasion volubile et maligne, dans un esprit déjà avide et perverti, de la maladie de l’alchimie du jeu et des chiffres étourdissants.

Et Saccard, sans scrupule, succombe avec délectation et angoisse à ce cancer artificiel dont le symptôme principal est un état de fébrilité situé entre le plaisir et la terreur ; le lecteur suit l’évolution de cette pathologie dont il apprend les coulisses et les remises, il s’emballe par procuration, quoique en totale sécurité à l’abri de son livre, pour cet homme qui finira escroc déclassé ou bien Napoléon superbe, Zola entretenant en apparence une telle illusion de victoire possible qu’on aspire continuellement à l’éclosion d’un surhomme, né de toutes les audaces et de tous les risques, de toutes les interdictions légales transgressées et piétinées.

Vraiment, ce roman est un formidable morceau de bravoure pour tout ce qui touche à la peinture de la finance et de la psychologique du joueur. Magnifique, là, grandiose – sans revenir encore sur le style artistement congruent où les malaises d’extase comme d’inquiétude, où les surabondances d’énergies et de volonté comme les retombées de flegme et de calcul, sont transposées avec un pittoresque consommé et l’examen exact d’un cardiologue spécialisé en toutes les arythmies.

L’Argent, du point de vue iconographique, est une réussite indéniable, pour le profane en Bourse en tous cas.

En revanche, du point de vue de la composition narrative, c’est un peu différent, à mon avis.

Je crois que ce roman de 450 pages pourrait, sans pâtir beaucoup, en être amputé d’un tiers, comme c’est souvent le cas des œuvres de Zola. Ici, il ne s’agit point de ces « patiences » obligées notamment par des descriptions superfétatoires ou par la relation résomptive de plusieurs années de récit, mais d’adjonctions d’intrigues secondaires, au mieux décoratives et inutiles, au pire dilatoires, « remplissages » et mièvrement symbolistes.

Car – pour retrouver un ton plus subjectif – tout ce qui m’a intéressé, dès le début du roman, se trouve entièrement et uniquement dans l’entreprise de cotation en Bourse de Saccard. C’est cela, le mobile et le cœur de ce récit qu’on pourrait sous-titrer : « Puissance et Ravages » ; tout repose dans le suspense du succès ou de l’effondrement plausible d’un homme grâce ou à cause du jeu ; cette exploration documentée d’un univers ésotérique et spagyrique suscite tout l’émoi du lecteur, et rien d’autre ; c’est ce qui nous excite, et nous tient en haleine, et nous fait tourner les pages avec ferveur, si bien que chaque ambition additionnelle du héros, chacune de ses malversations supplémentaires, nous figure l’extension volumique d’une bulle dont l’éclatement anticipé et inévitable peut tout aussi bien s’achever en éjaculation d’or et d’honneurs ou en écroulement lamentable de malheurs et de honte.

Mais alors, pourquoi nous importuner – m’importuner – avec le passé de Saccard, ses amours imbéciles, et l’existence d’un fils illégitime au sang corrompu qu’il ne rencontrera de toute façon jamais, le tout délayant l’intrigue dans des fadaises habituelles et misérabilistes de système ? Vraiment, on a parfois l’impression que Zola récite sa leçon : il fallait du cloaque à travers des personnages adventices, il fallait des espoirs ingénus, de la lignée brisée, de l’amour platonique et de l’amour sexuel, de la fourberie sordide et de l’élévation tout ce qu’il y a de plus altruiste et pur, et, pour cela, l’auteur a fabriqué de toutes pièces des « types » tout excessifs, entre la sainte – veuve de trente ans aux cheveux déjà candides et qui se morigène, malgré ses élans innocents de pleine vie, d’être attirée par l’interlope Saccard –, et les diables –, baronne traître et salope, prête à toutes les bassesses y compris luxurieuses pour obtenir de quoi favoriser son intarissable passion du jeu (c’est d’ailleurs, le seul ouvrage que j’ai lu de cette époque qui relate, quoique avec précaution mais assez de détails tout de même pour provoquer un terrible scandale, une fellation), ou bien, autre démon, cet enfant de dix ans, difforme, repoussant de vices mâles, de crasse et de grossièreté, bâtard dans l’âme, coutumier déjà de coucher en un taudis hideux dans le lit de sa presque-mère et qui, récupéré plus tard avec espérance dans une maison du travail, profitera d’une moindre négligence pour voler et violer une petite fille blonde qui, évidemment, deviendra aussitôt enceinte.

C’est ce qui me dérange le plus chez Zola, son désir de comprimer à toute force la réalité sous sa vision allégoriste et socialiste, de faire de ses caractères, au centre d’un décor présentant toute l’exactitude de lieux sincèrement véridiques, des entités débiles et prémoulées dont il prétendrait que la poussée agissante, telle une force intime et atavique, fût génétique et environnementale, mais dont les principes de l’auteur constituent en fait le principal moteur. Cette torsion de la vraisemblance, qu’on devine à l’excès, m’embarrasse ; chez Zola, au lieu du « il faut que cela arrive parce que c’est logique » avancé comme profession de foi, comme le fondement de sa méthode naturaliste, tout arrive « par égard pour ses convictions stéréotypées, pour confirmer généreusement ses préventions » : il y a là une sorte de  tromperie qui se constate d’évidence en lisant ; la mise à distance, en vérité, n’existe pas du tout, il n’y a pas de démonstration objective par le roman, et les marionnettes y gesticulant sont trop grossièrement confectionnées et se placent toujours dans des situations trop propres à valoriser non leur conscience subtilement libres, mais les théories un peu mal équarries de leur « manipulauteur ».

En somme, toutes ces péripéties ampoulées, toutes ces obligations sans nuances qui atermoient le récit en un spectacle de monstruosités divines ou horribles, exhalent un souffle de factice que je ne pardonne pas facilement et dont je soupçonne, chez Zola, le sentiment de l’ennui alors même qu’il les écrivait ; c’est au point, vraiment, qu’il suffirait méthodiquement de biffer tous ces passages immodérés où retombe notre suspicion du « faiseur de thèses » pour redonner toute sa franchise, tout son éclat supérieur, toute son unité immaculée à cette œuvre imposante sur la Bourse, c’est-à-dire sur les batailles que se livrent métaphoriquement, en tout homme, la volonté de puissance et les exigences de la morale.

Note : Dans mon édition (Folio classique), la préface d’André Wurmser commence admirablement par le portrait, foisonnant de trouvailles stylistiques et d’exemples érudits, de l’animation de la ville de Paris en 1891. Malheureusement, cette envolée superbe sur sept pages s’effondre lamentablement en une critique partiale et politique de Zola, accusé de ne s’être pas suffisamment épanché sur la mal intrinsèque du système boursier, sur le mal du capitalisme, sur le mal de l’argent. Cet idéalisme mièvre et partisan – « Rien ne saurait souiller l’amour. L’argent n’est que souillure. » – contraste si violemment avec le talent pittoresque du préfacier, que l’on s’étonne, non sans affliction ni écœurement, que tant d’art puisse rencontrer tant de bêtises en un même être. Mais c’est peut-être volontaire, après tout, pour illustrer complètement l’ouvrage lui-même, qui n’est rien d’autre, schématiquement, que le récit d’une ascension galvanisante précédée d’une chute déplorable.

 

***

« « À 3040, je prends de l’Universelle », répétait Mazaud, de sa voix exaspérée de chanterelle.

Et Delarocque, débordé par la demande, renchérissait de cinq francs.

« À 3045, je prends…

— J’ai, à 3045, mugissait Jacoby. Deux cents, à 3045.

— Envoyez ! » 

Alors, Mazaud monta lui-même.

« Je prends à 3050.

— Combien ?

— Cinq cents… Envoyez ! »

Mais l’effroyable vacarme devenait tel, au milieu d’une gesticulation épileptique, que les agents eux-mêmes ne s’entendaient plus. Et, tout à la fureur professionnelle qui les agitait, ils continuèrent par gestes, puisque les basses caverneuses des uns avortaient, tandis que les flûtes des autres s’amincissaient jusqu’au néant. On voyait s’ouvrir les bouches énormes, sans qu’un bruit distinct parût en sortir, et les mains seules parlaient : un geste du dedans en dehors, qui offrait, un autre geste du dehors en dedans, qui acceptait ; les doigts levés indiquaient les quantités, les têtes disaient oui ou non, d’un signe. C’était intelligible aux seuls initiés, comme un de ces coups de démence qui frappent les foules. En haut, à la galerie du télégraphe, des têtes de femme se penchaient, stupéfiées, épouvantées, devant l’extraordinaire spectacle. À la rente, on aurait dit une rixe, un paquet central, acharné et faisant le coup de poing, tandis que le double courant de public dont ce côté de la salle était traversé, déplaçait les groupes, déformés et reformés sans cesse, en de continuels remous. Entre le comptant et la corbeille, au-dessus de la tempête déchaînée des têtes, il n’y avait plus que les trois coteurs, assis sur leurs hautes chaises, qui surnageaient ainsi que des épaves, avec la grande tache blanche de leur registre, tiraillés à gauche, tiraillés à droite, par la fluctuation rapide des cours qu’on leur jetait. Dans le compartiment du comptant surtout, la bousculade était à son comble, une masse compacte de chevelures, pas même de visages, un grouillement sombre qu’éclairaient seulement les petites notes claires des carnets, agités en l’air. Et, à la corbeille, autour du bassin que les fiches froissées emplissaient maintenant d’une floraison de toutes les couleurs, des cheveux grisonnaient, des crânes luisaient, on distinguait la pâleur des faces secouées, des mains tendues fébrilement, toute la mimique dansante des corps, plus au large, comme près de se dévorer, si la rampe ne les eût retenus. Cet enragement des dernières minutes avait d’ailleurs gagné le public, on s’écrasait dans la salle, un piétinement énorme, une débandade de grand troupeau lâché dans un couloir trop étroit ; et seuls, au milieu de l’effacement des redingotes, les chapeaux de soie miroitaient, sous la lumière diffuse, qui tombait du vitrage ». (pages 393-394)

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