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Henry War
30 octobre 2018

Coup d'essai

Ainsi travaillais-je (« trimais »-je, devrais-je dire), des heures, des semaines et des mois, durant six années, à ce régime de bête, afin de réaliser mon œuvre, la première par laquelle je ferais, j’en étais sûr, mon entrée triomphale dans le monde de la littérature. Bien sûr, il s’agissait pour moi d’exceller : foin des exercices et des nouvelles d’étudiants ; j’avais assez de ces « essais », travaux imparfaits de moindre stature, secondaires de mon propre aveu, j’aspirais à un succès incontestable qui ne serait en rien dû au hasard. Il fallait que tout fût parfait, que je ne regrettasse rien. Un chef d’œuvre sans nul doute.

Le mérite ou le silence. Pas de tentatives. Pas de vagissements vains. Un cri perçant par-dessus les montagnes éthérées.

Je dois pourtant dire que cette œuvre dont je parle ne fut pas exactement la première, ni même la première-que-j’envoyai-à-des-éditeurs. Pendant mes études, j’avais écrit un petit roman, une chose de peu d’ambition et de grandeur, de façon à, pour ainsi dire, me faire la main et m’entraîner à une intrigue plus élaborée. Il fallait que je vérifiasse si j’étais capable de mener à terme un travail plus ample – j’avais déjà prouvé ma compétence aux nouvelles, j’en avais rédigé et achevé un assez grand nombre, dont une avec un souci d’exactitude et de style poussé à la dernière extrémité à tel point que, même aujourd’hui, j'admets ce récit comme à peu près irréprochable sur la forme. Le roman que je produisis alors, il est vrai, n’était pas très bon, et je n’eus jamais spontanément le désir de le faire publier – c’était le récit d’un couple échoué sur une île dont on découvre, au terme d’une sorte d’amnésie névrotique, que leur accident et leur passé ne sont pas du tout ce qu’on croyait au début. Mais ma femme – qui alors n’était que ma petite amie, pas même ma fiancée – m’incita à solliciter les professionnels, par acquit de conscience : qui sait si je ne détenais pas là, en dépit de mes bougonnements soupçonneux, une œuvre qui, d’extraordinaire et d’imprévu, plairait considérablement ?

Pourquoi pas, après tout ? Je fis donc vers juillet 2006, docile et vaguement curieux quoique sans espoir démesuré, l’envoi de quatorze manuscrits, évidemment tous tapés, à différentes maisons d’édition plutôt célèbres. Je n’avais pas Internet à l’époque, et il m’importunait de choisir : j’acquis ce manuel, chez Lire, comment donc déjà… : « Comment se faire éditer » où figurent les adresses et quelques conseils fallacieux et stupidement encourageants d’auteurs et de directeurs d’édition. J’imprimais dans mon collège d’alors Le Briquet d’Adam (c’est le titre) – récit court, pas de grands scrupules à faire payer mon établissement pour le papier –, et j’expédiai, sans accusé de réception (après tout, je ne collectionne pas les signatures de secrétaires !) : compter alors un peu moins de cinq euros par envoi (on verra plus tard pourquoi je précise).

J’attendis.

On ne le croirait pas, mais écrivain est un métier où il faut savoir se montrer patient.

À l’époque, les éditeurs promettaient une réponse sous trois mois. Bien entendu, ils ne respectaient déjà presque jamais leur promesse : j’obtins des courriers de novembre 2006 à septembre 2007 (deux mil sept, bon sang ! Il y en a donc, chez P.O.L., à qui il faut plus d’un an pour… refuser un manuscrit !).

Et, bien sûr, uniquement des refus. Pour douze d’entre eux (dans l’ordre d’arrivée, pour ceux que ça intéresse : L’Olivier, Belfond, Stock, Calmann-Lévy, Albin Michel, L’Arpenteur, Gallimard, Denoël, Minuit, P.O.L.) : des lettres-types sans le moindre commencement de style : « Nous avons lu avec intérêt… Malheureusement, nous ne pouvons… En effet, notre ligne éditoriale… » – tout à fait insipide et navrant ; même sans miser sur le fait que ces rédacteurs prétendent situer leurs compétences dans la sphère de la littérature, je reste persuadé que de simples chefs d’entreprise dégrossis feraient plus original et personnalisé pour répondre négativement à une offre de candidature –, dont deux faussement écrites à la main, une demi-escroquerie pour débutant, du feutre noir photocopié, le papier ne présentant sur l’envers aucune trace d’appui (Laffont et Nadeau). Découverte, en même temps, d’un usage apparemment, figurant environ dans une réponse sur trois : l’offre de payer les frais d’envoi par chèque pour récupérer son texte qui, autrement, sera détruit (je m’en fiche bien, moi, de recouvrer mon manuscrit, je l’offre volontiers, qu’on en fasse du PQ, tiens ! je n’ai envoyé que pour « voir » comme on dit au poker, et quel imbécile serait assez fou pour dépenser des frais de port plus élevés que les coûts de fabrication ? Soixante-dix euros de perdus sont bien assez à l’heure de mes premières années d’enseignant !). Mais tous, curieusement, me proposent de payer plus cher que ce que m’a coûté mon envoi initial, et j'en suis à m’interroger si les tarifs de la poste sont les mêmes sur tout le territoire français, si l’auteur est censé financer un recommandé qui lui serait adressé, ou bien si le service des manuscrits escompte faire de l’argent sur le dos des recalés.).

Et donc, parmi le tout, reste deux messages rendant compte au moins d’une lecture partielle, dont la traditionnelle critique de salope de chez le Dilettante (qui, soit-dit en passant, ne publie plus sur manuscrits depuis des lustres : ça ne lit seulement un bout de texte que pour démonter, ce doit être une sorte de jeu, un passage de nerfs, que sais-je ?… mais j’y reviendrai plus tard), griffonnée mal et dégoulinante d’un encart trop étroit...

ttt

...et une autre, bien plus attentive et réconfortante de chez Actes Sud, rédigée par Eva Chanet sur deux étonnantes cartonnettes un peu plus larges qu’un marque-page, et qui me propose de réécrire tout le livre en changeant de point de vue – il s’agit techniquement de passer de la première personne à un point de vue externe –, travail considérable que je ne désire pas entreprendre pour un récit dont je ne suis pas particulièrement fier. Je sors néanmoins intimement satisfait d’une remarque de l’éditrice : c’est qu’elle me félicite chaleureusement du dernier chapitre du roman qu’elle juge une réussite ; or, l’œuvre que j’ai commencée sera entièrement écrite de cette manière. Je conserve donc précieusement ce nom, à qui je transmettrai en tout premier lieu et avec un peu d’avance l’œuvre à laquelle je me consacre alors pleinement et avec toute la virtuosité dont je suis capable.

Actes Sud, Eva Chanet (jpeg)

Et puis, vers mars 2007, quelqu’un m’apprend qu’un petit éditeur recherche activement des jeunes auteurs, qu’il semble si empressé de trouvailles qu’il réalise ici et là de la réclame ; bref, on m’indique que j’aurais tort de n’y pas tenter ma chance en dépit de son manque de renom. Mais après tout, mon texte n’est pas grandiose, je le sais bien, et las de l’envoyer à des sommités qui ont sans doute mieux à faire que de déchiffrer mes balbuties d’amateur, je transmets donc aux éditions Baudelaire, pour essayer. Qu’ai-je à perdre, après tout ? je ne suis plus à un refus près, et ma susceptibilité n’est pas telle que je me vexerais si une maison inconnue et mineure n’admet pas non plus, à travers ce roman simple et un peu défectueux, que j’ai du talent.

En avril 2007, j’envoie.

Le 1er juin, soit moins de deux mois après, je reçois à mon adresse un premier contrat des éditions Baudelaire.

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Commentaires
C
Tout comme Val, je lirais bien volontiers... :)
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V
On pourrait en juger par nous-mêmes.<br /> <br /> C’est entendu! J’attends le manuscrit !
Répondre
V
Suis pas éditrice mais je le lirais bien ce roman!
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