Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
1 novembre 2018

Un contrat d'édition !

Dans ma boîte aux lettres ! Un vrai contrat ! Sans même me prévenir ! Quelle nouvelle !

Jolie pochette en papier épais type Canson à grains, avec le Logo en couleur des éditions Baudelaire. Mon ouvrage, est-il écrit tout en haut, a retenu toute leur attention, et on est prêt à me donner une chance !

Soit, je suis bien content. Je m’étonne quand même subliminalement qu’on ne m’indique pas ce qui a plu : non pas que j’exige une critique détaillée, ça non puisqu’on aime mon roman, c’est suffisant ! mais enfin, juste de quoi montrer qu’on se souvient du récit, de ses points forts, qu’on a eu « une raison » puisqu’on l’a choisi entre tous… N’importe, je pinaille sans doute : autant poursuivre ma lecture (j’avais reçu mi-mai un courrier accusant réception du manuscrit et m’annonçant que je devrais financer une partie des frais, je ne sais plus trop au juste, ça m’intéresse à présent…). Voyons ce que ça dit. 160 pages imprimées : d’accord. Indications de format et prix publics (15€50) : bien. 20% de droit d’auteur : énorme ! Le tout à une condition, une condition seulement…

Voilà, je retrouve cette mention : je suis tenu de payer une petite participation pour la réalisation de la maquette.

« Petite », enfin… C’est sans doute une question de point de vue. De mesure. La taille, il paraît que c’est très relatif… Il y en a qui disent que Rocco en a une petite…

2460 € ! (deux mille quatre cent soixante !)

Je m’étrangle un peu… 2460 €, c’est « grand » pour moi ; je dois avoir tout à fait une échelle anormale. Je baisse la tête, m’interroge… Et puis j’ouvre le contrat joint.

 

Baudelaire

***

 

2460 €. À l’heure où j’épluche le contrat, je songe que c’est presque le double de mon salaire, puisque c’est ma première année comme professeur titulaire. Aussi ma compagne, je dois le préciser, est-elle alors sans emploi…

Voyons… Voyons…

Cessez donc de m’engueuler, vous qui auriez refusé tout net, vous qui sentez qu’il n’y avait pas à hésiter, vous pour qui cette proposition n’aurait admis aucune tergiversation, aucun débat intérieur ! C’était mon tout premier contrat d’édition, et j’avais le droit, tout de même, d’un peu réfléchir !

Alors… C’est peut-être honnête, après tout, non ? Est-ce qu’on sait combien cela coûte, pour de vrai, une maquette ? Personne ne sait.

Bon. Je lis que l’éditeur n’effectuera pas les corrections du texte : c’est curieux, mais je suis assez sûr de ma grammaire, par conséquent… N’empêche, proposer les corrections au forfait de 2€ par page, c’est rude, je trouve ! Mais passons, puisque ça ne me concerne pas.

On me garantit l’impression de 300 exemplaires. C’est un tirage un peu piètre, pas très éloquent. Bien sûr, l’éditeur s’engage à réimprimer suivant les commandes, mais comment saurais-je, moi, s’il y a demande ? qui donc connaît ces nombres ? C’est toujours pareil avec les éditeurs, ils décident combien ils ont vendu et combien ils vous payent, même si c’est faux, même si c’est mensonger. Bah ! ce doit être normal, puisque personne ne s’en plaint.

Je puis vendre de mon côté, bien sûr : j’ai droit à vingt exemplaires gratuits. Pour le reste, si je veux continuer de vendre moi-même, je dois commander les livres avec 30% de remise, mais j’assumerai alors le prix de l’expédition, ce qui, au tarif de la poste et en exagérant un peu, doit monter à pas loin de 30% du prix du livre. Par conséquent, si je veux vendre en toute indépendance, je ne gagne rien – peut-être même que je perds de l’argent. Par ailleurs, si j’expose sur un salon avec l’éditeur, le contrat verrouille explicitement les conditions : je dois venir avec mes exemplaires préalablement achetés chez eux…

Ça commence à me paraître louche… Je continue.

L’éditeur s’engage à diffuser et à promouvoir le livre, ça oui. Pourtant, je ne me fais pas d’illusion : qui a jamais entendu parler des éditions Baudelaire ? qui a jamais acheté un livre chez eux ? Ça semble assez confidentiel comme maison, il faut admettre… On ne peut espérer un grand retentissement par leur biais, sauf miracle. D’autant – et le coup est encore brutal – que tous les ouvrages offerts à la presse et aux médias sont compris dans les 300 exemplaires. Autrement dit, si je trouvais par exemple 300 journalistes qui voulaient commenter mon œuvre, le contrat serait pour ainsi dire exécuté et rempli, et je n’aurais rien touché.

À ce sujet, page 6/7, je lis : « L’éditeur souligne, pour l’avoir souvent constaté, qu’en dernier ressort et quels que soient les efforts de l’éditeur, c’est toujours l’accueil favorable du public et le bouche-à-oreille qui assurent le succès d’un livre. En conséquence, l’éditeur conseille à l’auteur d’aller à la rencontre du public le plus souvent possible et de ne pas négliger les journalistes. »

Singulier, cela ; on dirait une mise en garde. Je pensais que c’était justement le travail de l’éditeur d’assurer la promotion puisqu’il ne fait guère autre chose (après tout, je crois bien que je paye l’impression), et il paraît se défendre d’avance de toute démarche insuffisante, comme s’il dégageait sa responsabilité en cas de mévente. En somme, si l’auteur ne fait pas tous les efforts normalement dévolus à l’éditeur pour démarcher les salons et les journalistes, son échec lui sera essentiellement imputable. Bon sang ! mais que fait donc Baudelaire dans ce marché, à part poster le livre sur son site Internet, attendre et récupérer ses 30% ? J’ai de plus en plus l’impression d’être sur le point de travailler avec un fantôme ou un escroc ! C’est au mieux ce qu’on appellerait aujourd’hui un hébergeur, quoi ! mais Amazon ne prend pas 30%, si ?!

Ah ! une dernière chose, anecdotique cependant mais qui me sidère : l’éditeur m’informe que s’il détériore malencontreusement mes livres stockés – incendie, inondation, vol –, il ne me doit rien, pas un centime, tout le mal est pour moi ! Quand bien même son hangar serait ouvert aux quatre vents et sis dans une zone inondable, il ne s’engage à réimprimer qu’en cas de demande issue du marché. Apparemment, il n’est pas assuré, ce doit être quelque chose comme ça.

Je réfléchis. Je calcule. À ce stade, ma réponse est évidemment non, tout pauvre et sensé que je suis, mais je veux vérifier une dernière chose pour voir…

Imaginons que je vende mes 300 ouvrages. Tous. Et vite, par extraordinaire. 300x15€50=4650€. Aux termes du contrat, je tire 20% de cette somme, soit 930€ (il faut peut-être déduire la TVA, je l’ignore). À ce seuil de rentabilité, l’éditeur n’est pas légalement obligé de réimprimer, il ne le fait que s’il y a commande du public ; mais imaginons qu’il prenne le risque de réimprimer en 300 exemplaires et que je parvienne à revendre tout (j’écris « je » parce que j’ai déjà compris que l’éditeur ne fera par lui-même pas grand-chose) : 930+930=1860€. Bon, bon. Les choses vont bien, très bien même, admettons que c’est tout à fait un succès d’estime qui repose sur mes propres forces ; n’empêche, il me manque encore 600€ pour rentrer dans mes fonds, pour couvrir mes frais. Cela fait, reste (ici, produit en croix)… 194 exemplaires encore à vendre avant de pouvoir réaliser un bénéfice. Donc…

Donc je ne retrouve mon investissement qu’à partir de 794 exemplaires vendus (mais, une fois de plus, rien n’oblige l’éditeur de toute façon à imprimer au-delà de 300). Avant cela, je n’ai rien gagné. Rien. Pas un centime.

L’amateur naïf ignore tout de cela. Il peut être aveuglé par la flatterie qui découle de son sentiment d’élection : On m’a enfin reconnu du talent, peut-il se dire, cela mérite bien peut-être quelque petite concession ! – le courrier est certes enthousiaste et valorisant. Mais élection prétendue et tout illusoire : la vérité, c’est que Baudelaire accepte systématiquement ou presque toutes les propositions qu’on lui fait, au même tarif ruineux d’usurier.

Mais Baudelaire n’est pas un éditeur. La mission première d’un éditeur en principe est de sélectionner des œuvres et des auteurs, or Baudelaire reconnaît déjà qu’il ne corrige pas les fautes, et, partant, que les textes qu’il publie en sont peut-être truffés – le contrat stipule bien entendu qu’il dégage sa responsabilité pour les fautes éventuelles dans le livre final. En somme, il ne se sent pas du tout comptable de la qualité des œuvres qui portent son nom. Baudelaire agit ni plus ni moins comme un prestataire de service, et rien de plus.

L’amateur ignore aussi sans doute qu’un bon succès d’estime, pour un jeune auteur publié chez un grand éditeur se situe environ à 2000 ouvrages vendus la première année. Pour le dire autrement, 2000 ouvrages chez Gallimard quand vous êtes inconnu au départ, c’est un bon résultat.

Qu’est-ce donc alors qu’un bon résultat chez… comment dites-vous déjà ? Les « éditions Baudelaire » ?

Il est clair que je ne vendrais jamais mes 794 exemplaires chez eux en un an. Chez eux, je ne les vendrais même certainement pas en dix ans. À ce prix, je suis presque condamné à travailler à perte. Dans dix ans, j’aurais mieux à faire, j’espère, que de continuer à promouvoir un livre déjà vieux et agonisant.

Enfin – je puis en parler à présent que j’ai réalisé le devis d’impression de mon futur livre papier –, combien cela coûte-t-il vraiment, à fabriquer, un livre ? C’est drôle, justement, le format que me proposait Baudelaire est exactement le même que celui que je vais faire faire, et le nombre de pages très similaire (134 le mien). Alors, combien cela va-t-il me coûter ? Il faut comparer.

Tiré à 120 exemplaires, mon premier livre imprimé, un recueil de nouvelles, me coûtera, tout compris, l’unité…

…environ 3€50.

Le tarif étant dégressif selon le tirage, l’ouvrage me reviendrait évidemment un peu moins cher à 300 exemplaires, mais fixons cela :

300x3€50=1050€ : à ce prix, j’ai mes 300 exemplaires.

Pourtant, d’aucuns diraient sans doute que je vendrais moins ainsi, ne bénéficiant pas de la « formidable campagne de promotion » des éditions Baudelaire et du « fort battage médiatique et référencement » sur leur site. Peut-être. Mais aussi, si je vends moi-même de la main à la main, mes droits d’auteur se situent à 77%, et ils s’élèvent tout de même à 46% si je vends par correspondance avec frais d’envoi ou par l’intermédiaire d’un libraire qui prendra sa commission, soit à peu près la même somme.

Et donc, non seulement ça me coûte deux fois moins cher à produire, mais je touche aussi au moins deux fois plus sur chaque livre vendu. En comptant seulement 60% de droits d’auteur, ce qui est à peu près l’intemédiaire entre 77 et 46, je réaliserai donc un bénéfice à partir du 135ème exemplaire vendu.

Certes, je ne sais pas si j’en serais capable seul ; mais, à vrai dire, je n’irai jamais fabriquer ces 300 exemplaires d’un coup : trop risqué. Si je n’en fabrique que 120 en revanche, il me suffira d’en vendre 56 pour commencer à gagner de l’argent. 56, moi, ça ne me paraît pas du tout impossible, après tout.

J’ai de la famille, comme tout le monde, des collègues, quelques amis, ne serait-ce que ça… Sans compter que, dans ce cas, je ne risque pas beaucoup d’argent. Si je ne vends rien, au pire, j’aurais certes perdu un peu plus de 400 euros, du moins aurais-je dans ma bibliothèque un rayonnage entier tout rempli de mon œuvre : 120 petits recueils de nouvelles portant mon nom à moi et me regardant orgueilleusement.

Très loin de 2460 € de perte, en tous cas. Très très loin.

Après ce résultat, je n’ai cessé de revenir aux éditions Baudelaire pour les harceler de contre- propositions ; il n’était peut-être pas exclu, après tout, que je dépense un peu d’argent tout de même pour l’honneur de me voir imprimé – un peu, certes, mais pas tant. Au moment de leur troisième contrat – ils avaient beaucoup transigé, je les avais usés jusqu’à la corde –, ils étaient prêts à consentir à me faire payer seulement 1230€, mais au prix d’un tel effort, d’un tel sacrifice l’on suppose, qu'ils ne s’engageaient plus que sur un tirage à 150 exemplaires et un minuscule droit d’auteur à 10%.  La diminution du nombre d’exemplaires est significative, je trouve : c’est bien qu’ils n’envisageaient pas du tout initialement d’en fabriquer plus de 300 ! sans parler de l’excuse du prix de la « maquette » : à 10 exemplaires ou à 1000, logiquement c’est bien le même tarif puisqu’il n’y a qu’une maquette (à moins d’une définition tout à fait singulière du mot), c’est la preuve que l’auteur paye en réalité l’impression ! J’ai cessé tout contact à partir de là, en dépit de leurs sollicitations.

Je ne crois pas, pour finir, qu’il me soit légal de communiquer le nom de Sonia Vignon, directrice des éditions Baudelaire, en vous proposant de l’insulter autant qu’il vous plaira à l’adresse suivante : sonia.vignon@editions-baudelaire.com : aussi dois-je résolument m’en abstenir. Ce serait, je crois, fort malvenu et répréhensible, sans parler de la discourtoisie, de sorte que si vous le faisiez, je vous réprouverais hautement et publiquement. J’ignore ce que je vous dirais plus confidentiellement, mais, après tout, ce serait peut-être la même chose.

Sachez que les éditions Persée – et bien d’autres encore – font exactement pareil : ces derniers m’ont proposé à peu près le même service au prix de 2630€, mais ils ont l’obligeance d’informer leur aimable clientèle qu’ils sont, eux, assurés en cas d’inondation. Entre deux mauvais contrats, je ne parviens toujours pas à démêler ce qui vaut le mieux : le plus cher contre presque rien, ou encore un peu moins contre un peu moins cher encore.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité