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Henry War
7 décembre 2018

Autoéditer

On le voit, j’avais épuisé tous les recours. Incapable de me croire sans talent (c’est une pathologie, je crois, dont je ne m’épuiserai qu’avec la vie !) et inlassable à me lancer de nouveaux défis (c’est que Bergson, je crois, a prétendu que « l’homme est un être en projet » : et pourquoi démentir un savant si reconnu ?), j’avais œuvré – et ne cessais de travailler – sans relâche dans mes entreprises, y consacrant tout mon temps libre, à la limite d’en négliger parfois mon métier et y demeurant plus qu’il n’est raisonnable pour un bon père de famille : tout cela, en vain. J’avais, il est vrai, obstinément rechigné à l’autoédition : plutôt tout que cela, m’étais-je dit ; payer pour être imprimé ? ! Mais avais-je fait autre chose, en vérité, que de dépenser toujours – fût-ce du temps – pour me faire connaître ? Ma femme était visiblement lassée du coût de mes expérimentations, et je n’envisageais guère cet expédient d’un nouveau tarif dont j’aurais à faire subir la charge à ma famille, indignement, piteusement.

Cette passion, décidément, méritait peut-être un terme. J’avais publié sur Wattpad à peu près tout ce que j’avais écrit, ayant ajouté à ma production de splendides poèmes suivis de controverses ainsi que des critiques littéraires, et, hormis cela qui me réclamait un temps fou (j’y accordais une attention de premier plan comme à tout ce que j’écris : pas question de publier un seul texte médiocre ni rien dont j’aurais un jour à rougir !), plus de romans, plus d’œuvres d’envergure, et même un récit de science-fiction en pause, écrit au tiers environ et laissé de côté faute d’après-midis disponibles.

Ce n’était pourtant pas une passivité : peut-être encore huit ou dix heures d’écriture par semaine, sans compter les échanges sur Wattpad ! mais d’autres eussent jugé condamnable cette priorité accordée aux corrections de copies et aux préparations de cours. Pourtant, j’avais écrit, ça oui ! et j’écrivais toujours – tous mes commentaires et toutes mes réponses sont en soi des œuvres sur Wattpad –, mais avec six textes impubliés sur les bras, j’en restais toujours au même point, et je songeais sempiternellement que seulement 1000 euros par mois pour ce travail de forcené m’auraient permis de prendre un mi-temps et d’écrire avec une redoutable assiduité. « Rien que »… mais c’était déjà une fortune pour moi que tout cet argent ! J’avais toujours dépensé et jamais rien reçu, pas un centime, jamais ! L’écriture devenait presque objectivement une lubie malsaine en des temps difficiles : j’eusse mieux fait – et j’y réfléchissais – de trouver un travail complémentaire comme serveur le week-end, ou bien quelque emploi saisonnier pendant les vacances, quitte à m’empêcher de voir ma famille, comme c’était déjà le cas, une partie de mon temps libre. Cette éventualité me paraissait plus raisonnable et j’y revenais plus sérieusement que ma femme ne pourrait le croire aujourd’hui.

Voilà. C’était peut-être stupide, après tout, de s’enferrer dans cette idée de littérature. Il était peut-être l’heure de passer à autre chose – définitivement. De tourner la page.

Et puis il se produisit une concordance de faits qui m’amena à reconsidérer la question de l’autoédition.

Sur Wattpad, une lectrice, V***, parente d’élèves de mon collège et autoéditée pour un recueil de nouvelles, m’entretint longuement de la façon dont elle avait œuvré – je l’interrogeais beaucoup. Ce que j’avais toujours craint, c’étaient les coûts dont je m’étais renseigné, ainsi que les difficultés techniques qui me semblaient rédhibitoires. Je croyais par exemple nécessaire de passer autoentrepreneur, et cette obligation impliquait des déclarations et des taxes, c’est-à-dire des dépenses avant même tout bénéfice. Je redoutais aussi la somme astronomique qu’il me faudrait payer auprès des imprimeurs – les 50 € par manuscrit des Norsmith m’ayant assez refroidi –, et par-dessus cela, les sophistications de mise en page et de couverture dont il fallait bien que je devienne un peu spécialiste si je comptais fournir un travail compatible avec des logiciels professionnels. Or, je suis une bille en informatique, un débutant, un nul pas même curieux hormis ma maîtrise du traitement de texte, et on ne me croira peut-être pas si j’affirme que toutes mes couvertures réalisées pour Wattpad le furent… sur le logiciel Paint ! (Un truc pour enfants et encore, pas efficace du tout !)

Mais V*** m’expliqua : ce statut d’autoentreprise n’était pas nécessaire selon elle, et il existait des imprimeurs bon marché sur Internet qui assuraient au surplus un référencement de votre livre sur leur base numérique. De surcroît, les logiciels qu’il fallait lui étaient déjà connus.

Elle assurerait même la mise en page de mon travail, si j’acceptais.

Ça coûterait à peu près 4 € par livre imprimé si j’achetais en quantité.

J’hésitais…

C’est à ce moment précis de mes délibérations intérieures que je découvris que je devais changer de voiture.

Contrôle Technique invalide : le Scénic perd environ une goutte d’huile toutes les deux heures – je les aperçois bien depuis des semaines ces cinq gouttes au matin sur le béton de mon garage, mais je m’en moque ! Et que pourrais-je faire de toute façon ? j’ai, sans mentir et tout compris, deux cents euros d’économie en tout.

Mais le type est catégorique : il y a trois mois, cela passait et j’étais bon pour deux ans de plus ; seulement, avec les nouvelles normes, ça devient « polluant », même si c’est surtout mon garage qui en profite, ça lui ruine les nappes phréatiques à ce qu’il paraît, je deviens tout à fait un terroriste et il faut craindre à présent que l’État ne m’emprisonne ou que quelque activiste de Greenpeace ne m’assassine.

Ma situation est grave ; il faut que je régularise au plus vite. Ou bien je me condamne, comme plus d’un million de français et on comprend pourquoi, à rouler sans contrôle technique et par conséquent sans assurance.

Visite en urgence chez le garagiste donc… (un reste en moi de bon citoyen a parlé.) Et ça fait comme dans un vieux sketch de Prévost : c’est le joint de culasse qui fuit ! « Eh bien, combien pour ce joint ? — Voyons, il faut en profiter pour la courroie de distribution, et puis quelques menues autres choses tant que le moteur est démonté… — Allons, allons ! Combien ? — Eh bien, 2000 euros pour le moins. — Comment “pour le moins” ? — Moi, je vous fais un devis comme ça, au débotté, pour vous donner une idée, mais il y a sûrement des détails que j’oublie. Et puis il y a autre chose… — Quoi donc, monsieur ? — C’est qu’il faut faire vérifier la culasse qui a sans doute chauffé et qui, par conséquent, est peut-être endommagée. S’il faut la changer, c’est à peu près 2000 euros de plus.

Argh ! existe-t-il une façon de transformer 200 euros en 2000 et peut-être en 4000 ? Je ne crois pas, je n’ai pas assez approfondi la question alchimique, je m’en rends bien compte à présent qu’il y a eu des lacunes dans mon éducation !

Comme j’ai un endettement extraordinaire pour la seule chose dont je dispose et qu’on appelle une maison, comme la banque non seulement refusera d’augmenter mon crédit mais en plus remarquera peut-être que le prêt en cours, rédigé à une époque sarkoziste où mes cinq heures supplémentaires par semaine passaient pour un salaire normal, est fondé sur des bases caduques, je joins mes parents de façon à ce qu’ils m’accordent un emprunt : ils me conseillent, à ce prix-là, de changer tout bonnement d’auto (la mienne, il est vrai, est une essence de 98), mais aussi ça deviendra plutôt 7000 euros à rembourser sur trois ans pour un modèle de 2009.

Re-argh !

Deux putains de gouttes par heure dans mon garage se changent en un remboursement de la compagnie Total aux côtes bretonnes pour dégazage ou marée noire ! (J’exagère un peu, pas tellement : Total a largement de quoi payer le nettoyage des plages de toute la Normandie… tous les mois !) J’enrage : mon essence de 98 n’est accessible à aucune prime, comme toujours, et j’en suis pour acheter sans le moindre avantage, parce que c’est devenu moins cher d’occasion ces derniers temps, un véhicule… Diesel, officiellement polluant et irresponsable. Sacrés Gilets Jaunes !

Alors je fulmine et je vitupère et puis j’explose, ça suffit, que je me dis, j’en ai assez à présent, assez, ce monde est devenu une vaste connerie et j’hésiterais encore, dans ce contexte, à ne faire appel qu’à moi (et à V*** bien entendu : elle a dû, depuis, s’en mordre les doigts jusqu’à la première phalange et même jusqu’au métacarpe puisqu’elle a œuvré sans relâche pour satisfaire toutes mes odieuses exigences de bourreau, et notamment elle a résisté à mes plus épouvantables formes de harcèlement moral et sexuel !) ! Eh bien, je n’en puis plus, la France est une merde, tous corrompus, tous crétins congénitaux, et moi je n’aurais que quatre cents balles à débourser pour me faire livrer cent exemplaires d’un livre rendu possible, et beau, et élevé, et quand bien même il m’en resterait 98 sur les bras que mes parents et mes beaux-parents n’auront pas achetés, n’importe, je les placerais joliment dans ma bibliothèque, voyons, dans l’ordre alphabétique j’y serais entre Walpole et Waugh et ce n’est déjà pas si mal, et fier d’avoir ainsi contribué à la haute fortune d’un meuble de rangement qu’Ikea n’a pas encore vendu, je pourrais dire hautement, partout où j’irais et emporterais mon œuvre : « Oui monsieur, c’est mon livre publié là que j’ai dans ma poche ! Je vais justement au journal Gningnin parce qu’on en a entendu parler là-bas et qu’on en veut dire du bien, et je signe dimanche toute la journée à la librairie Machin où je vous invite si vous voulez, encore qu’il soit plus raisonnable de ne pas attendre et d’acheter directement celui-ci tandis que j’ai, maintenant mais peut-être pas ensuite, tout le temps de vous rédiger l’autographe que vous désirez ! ».

Et tant pis si la moitié est un mensonge ; le livre, lui, existe, je le vends son prix qu’il mérite et qu’il coûte parce que je l’ai décidé, c’est une belle petite chose préparée qui vaudrait du caviar si les gens n’aimaient pas se fourre la gueule de pâté de foie, et, me sentant ainsi le plus heureux des hommes, le plus digne de figurer au classement des cent self-made men les plus méritants du monde, j’envoie bientôt à V***, sur Wattpad, avec autant d’appréhension que de désinvolture :

« C’est d’accord ! »

Et voici comment la chose se fit.                      

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Commentaires
H
Pas faux.
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V
Ne suis plus à ça près...
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H
Trois étoiles pour l'anonymat, c'est l'usage, voilà tout !<br /> <br /> <br /> <br /> Mais non, n'arrête pas ! Continue ! continue !<br /> <br /> <br /> <br /> Ah ! si tendrement serviable ! Et si, pour voie, je te demandais de corriger encore une ou deux petites choses dans le manuscrit ?
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V
Ah, j’ecris Ici que V*** (j’aurais d’ailleurs préféré 4 étoiles, comme tu sais), c’est moi. <br /> <br /> Un jour peut-être, tu seras célèbre et tomberont sur moi des gouttes de gloire. Je donnerais des interviews pour expliquer chaque détail de cette création et... <br /> <br /> Ok j’arrete ! <br /> <br /> <br /> <br /> Je n’ai pas regretté une seconde ma proposition.
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