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Henry War
12 décembre 2018

Mon livre imprimé

Mes Norsmith étaient trop gros : une famille d’obèses, vraiment, impossible de tous les glisser dans un seul volume ! Et imprimer en deux tomes présentait des risques importants : sans parler du coût doublé de l’impression, qui donc accepterait de payer une première partie vingt euros pour un ouvrage peut-être décevant et qu’il pourrait ne pas vouloir poursuivre pour vingt euros supplémentaires ?

Car enfin, j’ai confiance en la qualité de l’œuvre, mais pour ce qui concerne le courage et les finances des lecteurs, je ne veux présumer de rien…

Je rabattis donc mon choix sur un autre ouvrage, quelque chose d’accessible et de beau comme un bijou ciselé, appétissant et néanmoins artiste en l’espèce d’un recueil de nouvelles fantastiques où j’avais intégré deux poèmes – recueil déjà publié sur Wattpad. C’est un livre glaçant et troublant, lisible sans aucun doute et cependant exigeant de style et de profondeurs sombres – oui, tout à fait inactuel en somme (Qu’y puis-je ? J’ai l’impression perpétuelle d’être né vieux !). Évidemment, les deux poèmes en alexandrins, dont l’un ouvre et l’autre ferme le recueil, y constituent des avertissements et peut-être des barrières pour le badaud simplement feuilleteur : « Diantre, de la culture ! du casse-tête ! Arrière, démon ! Arrière ! ». Mais aussi, je ne veux rien dissimuler, moi, et je ne racole pas : j’expose mes prétentions : « Ce que tu lis est un façonnage, une composition, quelque chose d’élaboré ; arrière, toi, si tu as honte de la littérature : pour le moins te voilà prévenu ! ».

Mes Anomalies de l’Espace et du Temps – c’est le titre – furent mis en page par V*** pour impression et référencement par Lulu.com : et comme elle souffrit, la pauvre, comme je la plains encore ! J’ignore tout à fait le logiciel qu’elle dut manipuler puisque je n’y ai pas touché un instant, mais il fallait que tout soit parfait – vous savez bien, vous me connaissez à présent ! J’avais décidé que l’objet serait une pierre précieuse de la meilleure eau, mon souhait étant dès le départ de concurrencer la médiocrité courante et numérique par quelque chose d’intime et de personnel comme à l’attention d’amis soigneux, édition numérotée, livre systématiquement dédicacé : cet univers de l’artisanat d’art et de l’entregent respectueux me touche infiniment plus que cette banale industrie du bouquin où le nombre supplée toujours à la qualité même relationnelle. Vendre beaucoup sans considération en raturant des signatures en série, ou bien faire d’un acte d’achat une distinction individuelle et un gage réciproque d’estime : l’alternative n’a rien d’un dilemme pour moi ; pas la moindre hésitation là-dessus.

Mille retouches agaçantes furent le lot de V*** qui, si elle avait œuvré en ma présence, m’eût à la fois follement aimé (c’est à peu près inévitable avec un homme tel que moi) et flanqué la main en travers de la figure. Mais tout se fit heureusement par échange de mails : j’échappais ainsi aux gifles retentissantes mais pas aux injures, et trop timide, elle n’osa jamais se déclarer – à moins que les insultes tiennent lieu, chez certaines femmes, d’aveux enflammés (ainsi que toutes les autres, du reste : c’est fou comme j’attire ainsi irrésistiblement les timidités et les hystéries !).

Comme il faudrait vendre ce livre, V*** m’incita à créer un blog ainsi qu’elle l’avait déjà fait : je fus alors encore plus odieux avec elle, la conception d’une page me semblant un calvaire absolument contre-intuitif, mais j’y parvins finalement en suivant méticuleusement la notice, non sans avoir testé d’autres sites qui s’avérèrent tous payants au dernier moment.

Je ne veux rien cacher – suis étonnamment impudique, paraît-il, je ne dois pas avoir l’esprit de mon pays natif où l’on continue de dissimuler l’argent comme une honte, comme si l’on ne croyait pas mériter ce qu’on perçoit ou comme si les jalousies guettaient de toutes parts – et j’ai résolu d’être franc aussi bien sur les chiffres pour que d’autres puissent suivre à l’envi mon exemple : l’impression de ce livre coûte 4,48 euros, à quoi il faut ajouter la TVA et les frais de port. C’est ce port élevé qui m’incita à réestimer après coup le prix de vente à la hausse : pour 100 ouvrages fabriqués, presque 80 euros d’envoi ! 14,50 € me sembla donc juste : outre que cette somme correspond au prix du marché pour un tel volume, je n’imagine pas, comme je l’ai déjà écrit par ailleurs, qu’on rémunère un auteur une pitié ou une obole. Grâce à diverses promotions, j’ai finalement réussi à acheter 100 exemplaires pour un peu moins de 400 euros : mon bénéfice est donc de 10 € par livre environ. Si je vends par correspondance, il me faut perdre 3,20 € de frais de port (quelques centimes de plus parfois pour la transaction Paypal), et si je dépose chez un libraire sa commission est d’environ 30% soit 4,50 € par livre vendu. Si c’est Lulu.com qui vend, je touche 8,02 € et je n’ai rien à expédier, le site fabriquant l’ouvrage à la demande à partir des fichiers numériques déjà déposés.

C’est peut-être un peu prosaïque tout ça, et j’en demande bien pardon si cela offusque les êtres d’éther et de poésie, mais c’est pour moi un point capital : on ne doit plus, à notre époque, faire de l’écrivain un esclave. Le régler des 8% habituels est presque une infâmie et un non-sens ; c’est obliger tout à fait un auteur à tenir des conférences et des réclames plutôt qu’à s’occuper d’écrire ; on le contraint à tous les efforts abrutissants de la vente et des profits infimes auxquels il n’est pas destiné au lieu de le pousser à s’élever par sa plume : d’où les inepties de communication où l’on voit par exemple de jeunes auteurs perdre bien davantage de temps à raconter bêtement leur journée qu’à écrire de nouveaux récits ; d’où le fait également que nombre de célébrités n’ayant plus guère l’occasion de se mettre à l’ouvrage ne proposent à peu près que des nouvelles écrites en gros caractères et rédigées en deux mois, comme le sont le dernier Gaudé et l’éternel Nothomb, appelant ça « Roman » pour la frime, parce que dix mois dans l’année furent consacrés à des déplacements et à des interviews futiles et complaisantes mais qui rapportent plus facilement et bien plus vite que leur quote-part sur les ventes.

Mon livre vaut 14,50 € et je gagne sur cette somme entre 6 et 10 euros : qui trouve cela excessif ? qui oserait m’en faire le reproche ? J’ai tout fait hormis la maquette, et à présent que je vends, je ne sais toujours rien de plus compliqué que d’écrire : c’est tout à fait l’écrivain qui rend le plus pénible effort.

Enfin, tenir son livre, un prototype ! L’expérience me fut curieuse et atroce : à peine si j’osai l’ouvrir ; ma femme le lut en entier pour la première fois – pas moi. C’est bien compliqué à exprimer : une angoisse réelle après dix ans de virtualité, même pas une fierté, même pas une satisfaction, mais cette concrétisation a quelque chose d’inquiétant comme toute expérience alchimique qui aboutit. Le livre est là, je puis le tenir, il est indéniablement à mon goût, je suis si loin de m’en sentir l’auteur, comme d’habitude à force de dissocier si nettement mon écrivain et mon lecteur, qu’il me prend des envies de l’acheter, par découverte d’un talent nouveau et prometteur, et puis je me souviens aussitôt que cette chose porte mon pseudonyme et que ce pseudonyme réfère à mon nom véritable, que je vais devoir le placer ici et là, que je ne pourrai pas, sans bizarrerie, le vanter alentour comme une trouvaille hasardeuse et bienvenue. J’ai dans mes doigts cet enfant, et je crains de l’examiner parce que je devrais assumer la paternité de ces moindres défauts, et je n’arriverais pas à le présenter avec neutralité et détachement sans qu’on me prenne pour un excentrique dont il faut raisonnablement se défier. C’est comme quand j’ai posé seul le papier peint du bureau : je préfèrerais n’en pas connaître les petits défauts car j’ai bien peiné à ne pas les signaler à ma femme quand je lui ai exposé mon travail, et néanmoins je n’ai jamais trouvé le moindre intérêt des compliments, pour cela comme pour toutes choses de ma responsabilité : ne trouvez-vous pas comme moi que les marques de sympathies, qui sont vaines parce que vous vous estimez bon juge de la qualité de votre travail, ont même alors quelque chose d’humiliant ? C’est tout à fait comme si on ne vous avait pas cru capable d’une pareille réussite…

N’importe : une poignée de dizaines de modifications encore – V*** s’est depuis mise aux antidépresseurs qu’elle avale et mange comme des pâtes ordinaires ; elle a au surplus d’affreux d’eczémas sur tout le corps et ses cheveux sont tombés par plaques qu’elle a dévorées à mesure ! –, et puis il est temps d’espérer le moment où j’aurais enfin 460 € sur le compte.

Une occasion se présente, une promotion rare pour le Black Friday : 400 € seulement à débourser ; je n’ai pas tout cet argent, j’enrage. Je tape donc 40 € à V*** qui n’a pourtant guère les moyens – quelle bonne marraine, sans rire ; j’ai pour elle plus de gratitude qu’on ne peut imaginer ! –, et, au moment de payer, une pointe de doute et de regret, l’impression soudaine d’une erreur, d’une fatuité ruineuse : est-ce que je n’aurais pas mieux fait, après tout, de garder cette somme ? Le livre est bon, j’en suis certain, il ne s’agit pas de cela, mais aussi ce qui est bon ne marche jamais, alors ? C’est à peine si je parviens encore à trouver édités des livres qui me plaisent et dont les ventes trop confidentielles ruinent toujours leurs investisseurs : que ferais-je du mien ? Un reste de dégoût de moi-même m’accable : quel égoïsme, au fond, que cette dépense ! Ma femme, mes filles, le crédit si lourd de la maison… J’en demande encore avis à mon épouse – et je ne sais, en vérité, si j’espère qu’elle acceptera –, mais elle consent (j’écris et souligne « mais » comme une mauvaise surprise, ou peut-être pas « mauvaise » mais terrible et fatidique quand même.).

Et puis c’est fait, la commande est partie ; j’ai fini par cliquer comme un irresponsable.

Les cent exemplaires m’arrivent quatre jours plus tard, et j’en demande presque pardon au livreur, et je rentre cette commande dans ma maison aussi vite que je peux, comme si je craignais que le voisin ne pût contempler ma vanité toute nue et m’en exiger des raisons. C’est que je suis humble au fond, sous des dehors d’insupportable hauteur ; et comme je suppose que rien ne peut advenir sans une immense déception, j’ouvre le premier carton seul, prêt à trouver la moitié des livres déchirés ou imprimés de travers. Mais ça va pourtant, rien de mal, l’ouvrage est bien conforme, c’était évident après tout.

Vraiment, j’espérais si peu que, j’ignore comment, je m’aperçois soudain que je m’attendais presque à recevoir cette commande dans un mois, et me voilà tout pris au dépourvu : le blog n’est pas finalisé, je n’ai pas présenté le roman, je pensais de façon bête avoir largement le temps de plusieurs autres articles dans ma « Généalogie d’un écrivain » avant d’en arriver tout logiquement à expliquer comment j’en suis arrivé à imprimer mon propre texte. Mais c’est là ; je me retourne : quatre cartons empilés dans le bureau ; je dois compléter mon blog, vérifier que très bientôt des visiteurs pourront acheter – chaque jour sans cela me paraît une occasion perdue, une faute, un gâchis.

Et puis voilà : le lendemain, ou disons après ce weekend, j’essaierai de vendre.

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Commentaires
V
Tu devrais te prosterner à mes pieds durant de longues années. Pour la peine. <br /> <br /> Et vendre à present tes livres!!!
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