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Henry War
16 avril 2019

La prime à la naissance

Sujet, anecdotique, prosaïque, consensuel, dérisoire et léger – un symptôme plutôt qu’un mal ; en somme, sujet moderne et populaire : tiens, pour une fois, je sens que je vais attirer du monde ! – : la prime à la naissance (je connais au moins une personne qui va détester cette introduction !).

Voilà : je serai de nouveau père en juin (Hé ! c’est con comme tout ! non mais de quoi me félicitez-vous ! Je déteste les gens qui congratulent pour de telles choses ; ma femme à la rigueur parce qu’il y a bien du courage aux douleurs anticipées de l’accouchement surtout après deux grossesses – on ne peut pas dire qu’elle n’ait pas été prévenue ! –, mais moi, nom de Dieu ?! J’ai toujours envie de répondre : « Eh bien ! j’ai baisé ! Pas si difficile que ça ! En fait, plutôt agréable même ! » Mais je ne dois pas être comme les autres, décidément : si j’ai bien compris, lorsqu’un quidam croise une femme enceinte, il imagine la merveille immaculée de la conception, le plaisir innocent de la maternité lumineuse, l’inénarrable beauté de l’enfantement. Moi, j’évalue toujours la date de la grossesse, et je me dis : « Tiens, voilà une femme qui s’est fait bien baiser il y a tant. » Mais il paraît que je suis un monstre. Ceci dit, je crois que je préfère encore être un monstre qu’un homme, pour ce que j’en sais.).

La prime à la naissance, ou Paje, est, pour les novices, la somme que l’État verse à un couple pour « préparer l’arrivée de l’enfant. Elle a pour objet de faire face aux dépenses liées à la naissance de l’enfant. » (dixit : le site du service public.)

Personnellement, j’aurais à dire que lorsqu’on n’a pas les moyens d’accueillir un bébé, avec tous les moyens de contraception qui existent et qui ne nécessitent même pas d’être un peu cultivé pour s’en servir, on ferait mieux de s’abstenir de se reproduire. Mais je suppose que c’est mon côté inhumain qui reprend le dessus. D’aucuns vous diraient qu’il y a fort à gagner pour tous à prospérer et à croître essentiellement parce que notre système de retraite en pâtirait autrement et aussi pour ce que notre système économique est fondé sur la croissance, mais moi, quand je mesure l’état d’anéantissement mental de mes contemporains et le peu d’espoir que me laisse toute génération y compris la nouvelle (sans parler de l’incontestable bienfait écologique qu’il y a au contraire à ne pas pulluler), je m’interroge et j’hésite. On me demandera pourquoi j’en suis à mon troisième enfant à ce compte, et je répondrai tout simplement que ma femme les a exigés, ce qui me fera passer pour un lâche probablement mais peut-être pas pour un être manquant de générosité si on y réfléchit, attendu que je subviens tout de même à l’éducation de mes filles : j’aime mes enfants, les élève et les chéris, mais je persiste à déclarer que, sans l’influence passionnément pernicieuse de ma femme, je n’en aurais certainement pas eu. (Cette déclaration, ceci dit, contient peut-être une contradiction, à bien y songer.)

N’empêche : 944,51 € environ, cette prime. Si on la donne, il faut « bien » la donner, c’est-à-dire suivant l’usage auquel elle est censée servir : c’est une affaire de cohérence. Et là, j’avoue que je ne comprends pas, que certaines choses là-dedans me paraissent absurdes – mais c’est sans doute encore la faute de mes facultés limitées.

Conditions de ressources : admettons. Ce n’est peut-être pas très juste de décourager des parents d’un certain niveau social et donc généralement un peu plus à même d’éduquer des enfants d’en concevoir, et peut-être s’agit-il d’une volonté d’occuper la France d’écervelés et de tarés ne coûtant pas un centime à leurs familles : admettons, j’ai dit. Dans notre pays, il faut toujours qu’on admette que celui qui gagne bien sa vie est un « chançard » et l’en rabrouer, et que celui qui ne la gagne pas bien est un « profiteur » – et l’en rabrouer. Rien entre les deux, ou alors ce milieu est désigné comme « vache-à-lait ». Merveille de nuance, pour une fois : trois partis au lieu de deux ! Les Français ont des ressources intellectuelles surprenantes, parfois !

N’importe, dis-je. Là n’est pas le débat : c’est une histoire de paradigme symbolique, et les symboles me sont de peu d’intérêt (chose étonnante, paraît-il, pour un écrivain).

Mais voilà : autrefois, cette prime était versée au début du huitième mois de grossesse. Ça paraissait sensé, un peu tardif même : si vous voulez acheter le matériel requis pour accueillir un nourrisson dont la fameuse « chambre de bébé », c’est vraiment l’extrême limite pour s’y atteler ; en effet, n’importe qui doit entendre que si la femme accouchait un peu en avance, vous seriez pris de court, et il n’y aurait alors plus qu’à faire dormir le bébé temporairement dans l’étable avec les chevaux (quoi ? ce n’est pas comme ça qu’on fait ? Mais je n’y connais rien, moi, en gamins !).

Pourtant, le gouvernement français a trouvé une toute nouvelle façon de procéder qui révolutionne absolument tout ce qu’on croyait savoir de la façon d’anticiper la venue d’un enfant : il verse ladite somme « avant la fin du dernier jour du 2ème mois suivant la naissance. » C’est-à-dire que l’enfant est âgé de presque deux mois quand, administrativement, on considère qu’il est né et peut donner lieu à la prime afférente.

Ce procédé constitue un grand avantage, à ce qu’il paraît : en vérité, votre bébé dormira certes à l’étable presque deux mois, quoi qu’il arrive ! Il n’aura sa chambre qu’après, le temps de la commander chez Bébé9. Et si vous comptiez sur cet argent pour le nourrir et pour l’habiller, eh bien ! une petite diète tout nu ne lui fera pas de mal : il paraît que c’est arrivé à Jésus, alors…

Non, sérieusement, je ne comprends pas. Je me suis laissé dire que lorsqu’une grossesse n’était pas menée à terme après le début du huitième mois, je veux dire lorsque le fœtus mourait avant l’accouchement, les femmes primées ne rendaient pas toujours l’argent qu’elles avaient reçu, saletés de resquilleuses de merde ! Or, cela gênait évidemment les finances de l’État et…

Hum… Nous sommes gouvernés, décidément, par des gens bien généreux et humains : « Votre enfant est mort, soit, c’est triste, bon : mais rendez-nous donc l’argent de votre enfant qui n’est pas né ! Quoi ? vous aviez acheté déjà la chambre, la nourriture et les vêtements comme vous y étiez incités ? Eh bien ! revendez tout ça à votre guise, mais rendez-nous d’abord l’argent ! P.-S. : Sincères condoléances. »

J’ignore si ce prétexte est le bon ; je suspecte, moi, qu’en versant cette prime presque quatre mois environ après la date initiale, l’État, qui ne pense comme toujours qu’à réaliser des économies, a déplacé ainsi une ligne budgétaire sur quatre mois et bénéficié cependant d’une relative latitude pour investir par ailleurs : un tel report lui a permis de gagner du temps, on a l’air riche quand on paye toujours plus tard. Cet atermoiement ne me scandalise pas seulement du fait d’une gestion économique déplorable (on a procédé exactement de la même façon avec les retraites : pas d’argent ? les générations futures paieront ! Tada !), mais enfin, le principe même de cette prime en semble corrompu et dénaturé, non ? une prime pour « préparer l’arrivée de l’enfant » et qui arrive « avant la fin du dernier jour du 2ème mois suivant la naissance » ?

J’ai pensé, du coup, à une expérience à mener sur toutes les personnes ayant rédigé et voté une telle loi si merveilleuse et opportune. Ça m’est venu comme ça, dans un éclair de génie – dites-moi ce que vous en pensez : je propose qu’on assoie tous ces gens mains bandées sur un banc, et qu’on les avise qu’ils vont individuellement prendre une batte de baseball en pleine tête (cette batte figurera allégoriquement le coût de la naissance d’un enfant, si vous voulez… Oui… c’est un peu exagéré sans doute.). Mais attention : ils n’en pâtiront pas, puisque nous les « préparerons » à ce coup au moyen d’un casque parfaitement adapté pour compenser la violence du choc.

Voilà. Êtes-vous prêts, députés, sénateurs ? Frappons !

Aïe ? Comment « aïe » ? Quoi ? nous n’avons pas placé les casques sur vos têtes ? Mais c’est pourtant prévu : « avant la fin de la dernière heure du 2ème jour suivant la batte ». Et savez-vous pourquoi, messieurs-dames ? C’est que nous avons constaté qu’il y avait des gens qui ne recevaient pas le coup et qui refusaient ensuite – de rendre le casque !

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Commentaires
P
« Moi, j’évalue toujours la date de la grossesse, et je me dis : “Tiens, voilà une femme qui s’est fait bien baiser il y a tant .” »<br /> <br /> C'est un type qui achète deux poupées pour ses jumelles de trois ans, deux camions de pompiers pour ses jumeaux de cinq ans et deux boîtes du Parfait Petit Chimiste pour ses jumeaux de sept ans. La vendeuse s'exclame “ C'est incroyable, vous avez des jumeaux à chaque coup !” Et le type, modeste, de répondre : “ Oh, non, y'a des fois, j'ai rien du tout. ”
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