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Henry War
16 avril 2019

L'incendie de Notre-Dame

Priez, pèlerin ! Notre-Dame a brûlé ! Notre-Dame fut en feu !

Eh bien ! que de bruit, Monsieur ! À qui vous adressez-vous ? Depuis quand permet-on que des hommes portent des robes écarlates en plein Paris ? Est-ce déjà la Gay Pride ? non !

Appelez-moi Père, et, devant un évêque, prosternez-vous un instant !

Vraiment, Monsieur, à moi qui ne donne du Maître ou du Docteur ni devant un avocat ni devant un médecin, vous m’en voyez embarrassé. Gardez-vous bien que votre calotte tombât, je vous la rendrais peut-être d’une autre façon (c’est conforme, paraît-il, aux bons préceptes de Jésus qui n’a aussi bien jamais été marié que prononcé le moindre mot de vos Évangiles ; n’importe.). Eh bien, qu’avez-vous à vous lamenter ainsi, devant tout le monde ? Vous faites bien du vacarme, ma foi (je parle au figuré) !

Notre sainte cathédrale a brûlé : comment ne le voyez-vous pas ? Il faut prier !

Du temps de son édification, d’autres comme vous n’étaient pas aussi regardants sur ce qui brûle ; du moins aujourd’hui ne sont-ce pas des hommes qui ont brûlé à votre instance ! Quant à prier, Monsieur, voici bien une étrange coutume ! Et pour quoi faire, je vous prie (je parle au figuré, décidément) !

Prier pour la reconstruction de notre bel édifice et pour la refondation de la foi catholique et romaine.

Prier ! encore ! Retroussez plutôt vos manches, Monsieur (oui, et changez même tout à fait de tenue, on ne peut rien faire avec vos grandes soutanes hormis la poussière), et si vous êtes encore bon à quelque chose, ce dont je doute vraiment, prêtez main forte aux futurs ouvriers. Car prier, c’est toujours exactement une façon de ne rien faire, mais… avec une bonne conscience.

Et notre bel édifice ?

De quoi s’agit-il au juste : de cette grande bâtisse inchauffable ? Il semble bien qu’à force d’inconfort théorique et de vanité, vous ayez pris goût vous-même aux jugements les plus extravagants !

Vous provoquez ! Notre-Dame est belle !

Belle, vous croyez ? Peut-être, après tout. Mais c’est assez singulier, je trouve…

Quoi ? qu’est-ce qui est singulier encore, malheureux iconoclaste ?

Eh bien, d’ordinaire, si je fabriquais un beffroi en vieille pierre, mal éclairé, glacial, et que je choisissais d’orner ses égouts-de-toits de différents monstres torturés, on dirait bien que j’ai un goût étrange pour le grotesque et que…

Taisez-vous, vous n’y connaissez rien !

Ah ! c’est ce que je m’étais entendu dire, et vous faites bien de me le rappeler. Mais, sans rire, de quoi vous plaignez-vous, au juste ?

Mais de l’incendie ! Un patrimoine de cette nature !

De cette nature, vous dites ?

Mais oui : de cette nature !

De cette nature justement, je ne m’attriste guère. Outre que ça n’est ni beau ni laid si l’on veut, sa nature précisément m’inspire…

Vous inspire ?...

Eh bien, des sentiments très contrastés. Une maison comme ça, ça vous crache dessus des souvenirs détestables, mille ans d’obscurantisme, d’immobilité effroyable, d’interdits honteux, de meurtres atroces, d’imbécillité superstitieuse… Une croix qui brûle, c’est toujours un mensonge qui tombe. Appelez ça du patrimoine si vous voulez, j’aurais aussi peu de déplaisir à voir brûler le palais d’un roi ou d’un calife.

Vous ! Oser ! en pareille circonstance !

Eh oui ! ce sont toujours les circonstances qui vous donnent raison : on décide une fois de ce qu’est la morale, et pour chacune des circonstances où elle intervient, c’est-à-dire toutes, on argue qu’on aurait bien du tort à lutter contre des idées toutes faites, et ça épargne de penser ; car enfin, un incendie, n’est-ce pas, ce doit être terrible !

Terrible, en effet. Quand je pense aux fidèles qui, dimanche prochain…

Des fidèles ? Ah ! il en reste donc ? Des touristes, vous voulez dire, ceux qui rapportent de l’argent. Il paraît qu’on visite également des geôles à Venise, avec tous les instruments de torture reconstitués, mais pour ce qui est de vouloir les maintenir…

Il en reste, des fidèles, ne vous déplaise !

Oh ! il reste toujours assez d’imbéciles, et même trop ! Mais quand je pense aux millions que nos communes dépensent chaque année pour entretenir des monuments où pendant trois quarts d’heure se terrent piteusement une ou deux dizaines de pratiquants moribonds, j’en ai des suées d’indignation ! Et tout cela au prétexte de la bonne miséricorde chrétienne ! Notez qu’en Écosse, on ne poursuit pas la rénovation des châteaux du onzième siècle, et ça fait de jolies ruines tout de même qui se visitent aussi si l’on veut. Vraiment, vous avez fait un bon marché avec la loi de 1905 : les églises ne vous appartiennent plus, mais toutes les dépenses en incombent à l’État ! Tout bien compté, c’était brillant à vous de ne point vous y opposer ! Et pour celle-ci, combien cela va-t-il encore nous coûter, à tous ?

Ces triomphes de nos bâtiments historiques ne vous rendent-ils pas fier de la France ?

J’en serais bien plus fier si la France était encore désireuse et capable d’en produire de neufs. Je ne parle pas d’édifices religieux, naturellement.

Et que voudriez-vous donc à la place ? Un centre commercial ? Un parking ?

Un parking ? Oui, cela s’envisage, d’autant que les églises françaises – j’ignore si vous savez – sont en général bien situées (mais vous ne payez pas de loyer, par conséquent il vous est impossible de vous représenter correctement la chose.). Des parkings, après tout : pourquoi pas ? quelque chose d’utile, enfin, de façon à justifier les impôts qu’on paye (inutile d’y songer encore : vous n’en payez pas non plus.). Allez donc vous renseigner sur le prix faramineux qu’il en coûte déjà à nos communes et à l’État pour la restauration de tant de bâtiments inutiles, c’est-à-dire pour entretenir du passé au détriment du présent ! Encore, si le temps était bon : mais là, rénover des toitures de châteaux vides quand tant de gens dorment à la rue ! Par ailleurs, je m’interroge : pensez-vous que c’est assuré, un bâtiment comme ça ? Parce qu’il paraît qu’il est obligatoire d’assurer tous les édifices accueillant du public, on le répète assez à nos commerçants à grands renforts de normes et de lois inhospitalières, et je ne sais si…

Je l’ignore, au juste. Probablement pas. Mais c’est de peu d’importance, attendu que tant de généreux donateurs se sont déjà portés volontaires pour…

Généreux ? qui ça, donc ? Et puis c’est tout à fait stupide de leur part s’il est établi que ce sont les restaurateurs qui ont provoqué l’incendie comme cela semble avéré, car eux sont bien tenus d’être assurés, non ?

N’importe : des industriels notamment ont su comprendre, eux, combien la conservation de notre patrimoine est essentielle !

Ah ! ceux-là ? Savez-vous bien, mon cher Monsieur, qu’ils ne sont guère généreux, en vérité : ces donations ne leur coûtent rien, attendu qu’elles sont sujets à rabattement fiscal. Avec un peu d’adresse, ces investissements finiront même par leur rapporter ; en tous cas, soyez certain que c’est tout à fait l’État qui rembourse tout, c’est-à-dire nous !

Et vous n’êtes guère ému ? Cela ne vous fait rien ? insensible ! sans cœur ! impie !

Je n’ai pas de préjugé, moi, je ne suis pas catholique : des pierres et des ardoises ne sont pas capables de m’émouvoir, et je ne vois point d’inconvénient à certaines destructions involontaires, de l’écobuage, comme on dit en Corse, pour faire pousser de meilleures plantes. C’est un bon feu de joie, à mon avis, si ce n’est bien sûr qu’il en coûtera stupidement à la plupart pour l’intérêt d’un si petit nombre. Le temps des cathédrales est terminé, que je sache, et je n’entends pas qu’on puisse se remettre à bâtir de pareilles vanités.

Mais Dieu, ici ? Oh ! évidemment, pour vous…

Dieu est mort, Monsieur, et il ne me déplaît pas qu’un brillant incendie véridique incarne ce trépas. Notez bien pourtant que je n’encourage personne !

Mais la mémoire nationale ! mais Victor Hugo ! Il ne se peut que vous n’ayez lu Notre-Dame de Paris, en bon être cultivé que vous êtes sans doute ?

Je l’ai lu, moi, à votre différence (ne faites pas cette mine : il y a peu d’hommes sur cette terre à n’avoir qu’un seul ouvrage de leur existence, et vous en faites partie ; je vous ai déjoué ! ce n’est rien). Mais la mémoire, Monsieur, c’est justement le contraire d’entretenir des choses à toutes forces pour conserver des idées en place : si une idée doit disparaître, c’est qu’elle n’est plus nécessaire ; alors, ses mementos peuvent partir – et l’inverse vaut tout aussi bien : mes parents, par exemple, sont tous incinérés depuis longtemps, voyez-vous, et je me souviens assez d’eux parce que j’en garde quelque affection sans avoir à observer des tombeaux ni à refleurir des parterres. Voyons ! faisons un pari tous les deux, ajournons un peu la reconstruction de ce monument, et avisons d’en délibérer de nouveau dans dix ou quinze ans quand les automatismes du deuil seront un peu retombés, de manière à prouver que la sympathie populaire n’était pas seulement une convention morale imposée par quelque bien-pensance héritée de vos rites.

Vous êtes insupportable, vous ! Même notre président a différé un discours important en hommage à cet événement terrible… parce que l’édifice brûlait !

C’est bien la preuve qu’il n’y a que vos consternations stylées que l’on garde de vos cultes : des usages, en somme, des mines et des simulacres valorisants ou rassurants sans réflexion. Car enfin, quoi ? Quelle nécessité que ce report ? Est-ce que notre président est pompier et avait besoin d’être sur place ? C’est cela qui est insupportable, à mon avis : qu’un représentant puisse juger opportun de remettre des décisions capitales pour le futur d’un pays, au prétexte de la chute d’un vestige déshonorant de ce pays passé.

Adieu donc, nous n’avons plus rien à nous dire, à ce qu’il semble !

Au revoir, Monsieur : mais ce n’est pas, ceci dit, parce que vous ne voulez plus rien entendre qu’il n’y a plus rien à dire. N’importe : retournez faire vœu de pauvreté avec vos calices en argent, et tâchez de prendre mieux soin de vos enfants qui, à ce qu’il paraît, souffrent un peu de vos béatitudes. J’aime d’ordinaire assez bien un escroc pour ce qu’il fait un fort grand jouisseur, mais je n’entends pas qu’il puisse pousser le vice jusqu’à donner dans ses propres boniments : tout le bonheur disparaît à cela, et il n’y a que le bonheur vital, pour moi, qui vaille quelque chose.

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