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Henry War
17 avril 2019

L'incendie de Notre-Dame (part 2, préquelle)

Allô, M. le Président ? Ici le Préfet… de Paris. On a un problème, là.

C’est sérieux, ou c’est juste pour le plaisir de rejouer Apollo 13 ?

Très sérieux, Monsieur. Un incendie. La cathédrale Notre-Dame. Au niveau des toitures, quelque chose de grave. C’est lié sans doute à la rénovation en cours, puisque ça a pris juste au-dessus des échafaudages. Les pompiers sont sur le coup.

Ah… Ça m’embête un peu, à cause de l’allocution prévue ce soir : vous savez, le résultat du Grand Débat. Ma copie n’est pas prête, on a filmé tout à l’heure mais ça n’est pas au point. Les ministres ne proposent rien, ne font pas leur boulot, et l’opposition va gueuler. C’est peut-être un signe, après tout, cet incendie… Comment c’est arrivé ? On sait quand c’est venu ?

On ne sait pas précisément, Monsieur. Les alarmes ont retenti une première fois, on a fait sortir tout le monde, et puis…

Et puis ?

Et puis on n’a rien vu, alors on a coupé l’alarme et tout le monde est rerentré.

C’est une plaisanterie ? Il n’y a pas des procédures plus strictes que ça ? Vous êtes bien sûr ?

Je… Je ne sais pas… Il paraît qu’on a regardé… Pas de fumée alors, à ce qui se dit.

Mais on a regardé où ?

Eh bien… dans la cathédrale en tous cas il n’y avait pas de fumée… Alors on a décidé que…

Mais, bon sang ! puisque l’incendie a pris depuis les toits, selon vos dires ! Enfin, c’est la cathédrale Notre-Dame de Paris, ce n’est pas la case de l’Oncle Tom ! Comment voulez-vous qu’un départ d’incendie sous les combles d’un tel édifice puisse se voir d’en bas ?

Oui, je sais bien… Il y a eu un… dysfonctionnement,… une erreur de jugement. Enfin, heureusement on a évacué à la seconde sonnerie et il n’y a pas eu de victime.

C’est heureux ! Une telle sottise ! et il faudra encore dissimuler un truc pareil ! Eh bien, quoi d’autre ? il vous faut quelque chose ?

Non, M. le Président. Tous nos services sont mobilisés. Seulement, c’est un incendie compliqué, ça va coûter beaucoup d’argent. J’ai convoqué ici nos conseillers en communication pour que…

Comment ça, « beaucoup d’argent » ? C’est assuré, non ? comme tous les bâtiments de France, et tout ce qui accueille du public ? Ça coûtera aux assureurs, voilà tout !

Eh bien… En vérité, M. le Président… C’est un peu plus compliqué. C’est que… Non, on n’assure pas Notre-Dame.

Vous plaisantez ? Vous déconnez, là ?

Non, M. le Président. Ce n’est pas obligatoire. C’est surtout pour ça que j’ai convoqué l’équipe des communicants. Pour qu’ils nous conseillent.

Merde alors. Qu’est-ce qu’ils disent ?

Ils disent que si notre objectif c’est de récupérer un maximum de pognon…

C’est notre objectif !

... il faut passer sous silence les responsabilités. Ne pas vraiment parler de l’origine de l’incendie, ce genre de choses.

Je ne comprends pas. Si les restaurateurs sont fautifs, leurs assurances paieront, non ?

Pas si simple. Passer par la justice, vous savez comment c’est dans notre pays. Ça mettra quinze ans au moins ; et avec les procédures d’appel et de cassation, sans doute plus. Et encore : si à la fin un tribunal nous donne raison (mais il faudra passer sous silence toutes les négligences de l’État dans l’entretien des bâtiments historiques : un bien méchant débat en perspective), les entrepreneurs ne seront tenus de rembourser qu’à hauteur du seuil maximum d’assurance. C’est peut-être huit ou dix millions : une broutille comparée à tout ce qu’il faudra. Non, le mieux est de faire oublier les responsabilités : ce sera un malheur sans plus, une sorte de hasard malencontreux.

D’accord. Je passe quelques coups de fil et les médias diront ce qu’on veut. On tournera l’enquête à notre façon, vous m’aiderez. Mais pour la réparation ?

Eh bien… Ici on me dit qu’il faudrait lancer une grande campagne de levée de fonds auprès des Français. Donner l’impression d’un immense deuil national. Accabler tout le monde avec ça, pour leur donner l’air de bienfaiteurs. D’ailleurs, c’est une autre raison pour laquelle il ne faut pas désigner de responsable pour le sinistre…

Quoi ? Pourquoi ça ?

Si les Français sentent qu’il y a un coupable, ils ne voudront pas payer. Ils diront : « C’est la faute d’Untel, pas question d’y contribuer ! »

Oui, logique. Je m’engage aussi à trouver quelques mécènes, de grands donateurs de mes amis, pour donner l’exemple. On les rétribuera d’une façon ou d’une autre. Et… est-ce qu’il y a des témoins ? Des ouvriers sur le toit ?

On tâchera de ne pas les mentionner. On fera en sorte que les Français ne se posent même pas la question de savoir s’il y avait du monde là-dessus. Ceci dit, pour votre allocution ce soir, on me dit que…

Oui, je vois ce que vous voulez dire. On annule.

Voilà.

Et j’envoie mes ministres faire solennellement une tête d’enterrement dans tous les médias : j’ai des ministres excellents pour ça à défaut du reste. Et à la moindre polémique, on fait comme d’habitude…

Voilà : « Ce n’est pas le moment, dans une circonstance où la cohésion nationale doit être de mise, de soulever des controverses qui portent atteinte à… »

Oui, les conneries habituelles. Bon, je suppose que demain soir, un petit discours sur la bravoure des pompiers, la détermination dont nous avons besoin et l’immense générosité des Français, etc ?...

Oui. Je crois, oui.

N’empêche : vous saurez expliquer ça, vous ?

Quoi donc, M. le Président ?

Qu’on n’ait pas assuré Notre-Dame ? Il y en a qui vont jaser. Moi-même, je suis bien surpris.

Je ne sais pas, Monsieur. Je vous passe nos spécialistes. Vous savez qu’ils sont parfaits pour tout justifier.

Bien. Je mets déjà les médias sur le coup : ils adorent les micro-trottoirs, ce genre de merde bon marché. On sélectionnera des Français très tristes et fervents sur un fond d’incendie. C’est bien laid d’être obligé de faire ça, mais je ne vois pas autre chose, d’après ce que vous dites.

Oui. M. le Président. Je retourne à l’incendie. C’est compliqué ici.

C’est compliqué ici aussi. On ne fait que ça, ici, d’éteindre des incendies qu’on a soi-même allumés. Et les gens pensent que c’est facile à faire, par-dessus le marché !

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