Je me suis laissé dire que Météo France était l’un des services météorologiques les plus dispendieux d’Europe, et peut-être même le plus cher pour une surface géographique seulement un peu plus étendue que la moyenne. Coût total : 410 millions d’euros en 2018. La Cour des Comptes n’est évidemment pas en grande amitié avec ce service, mais elle boude à peu près tout ce qui occasionne des dépenses, au point que si elle jetait un jour un regard sérieux sur ses propres frais de fonctionnement, elle proclamerait sans doute aussitôt sa propre dissolution…

Et on se demande bien pourquoi cette antipathie, car les Français ont la passion du climat et sont prêts à tous les sacrifices pour tout ce qui a trait aux augures, astrologie et médecine comprises ! C’est une grande satisfaction pour eux que d’apprendre que demain, en général, il fera à peu près le même temps qu’aujourd’hui, à quatre ou cinq degrés près, hors fluctuations exceptionnelles ; et ils acceptent même de patienter jusqu’à la fin d’un journal inepte pour en arriver à oublier cette conclusion pourtant évidente qu’en regardant un peu le ciel avant de se coucher, ils augureraient presque tout aussi bien du temps qu’il fera au matin suivant.

Je ne veux pas médire, et Météo France est évidemment fort compétent. Ce qu’il y a, en revanche, c’est que cette compétence ne se lit pas du tout sur les cartes des bulletins nationaux ; il faut, pour s’apercevoir de sa gabegie, un sens des statistiques et une certaine forme de psycho-sociologie qui, je l’assure, ne dépassera pas la capacité du lecteur normal, si vous voulez bien me suivre encore un peu.

Lorsqu’un individu regarde le bulletin Météo, il ne désire pour l’essentiel savoir que deux choses : la première, c’est la température qu’il fera, de façon à savoir s’habiller comme il conviendra au temps futur ; or, dans notre pays il n’advient que rarement un écart considérable avec le temps qu’il fait déjà : l’amplitude de 10 degrés que j’ai évoquée au-dessus peut sembler grande, elle n’induit qu’une faible différence par rapport au jour passé pris comme référence : s’il fait 20 degrés ce jour et demain 15 ou bien 25, cela importe peu relativement à la façon de se vêtir, de sorte que, pour cet usage, le spectateur des bulletins météo a tort de se préoccuper d’une présentation assez vaine et de déléguer ainsi sa saine sagesse observatrice à des soi-disant spécialistes – c’est toujours une faute de s’en remettre à d’autres pour ce qu’on peut faire soi-même et sans beaucoup de mal avec d’aussi bons résultats.

Le second souhait des Français, il me semble, c’est d’anticiper si le ciel sera ensoleillé ou nuageux, au surplus même de la température, de façon à se préparer, en quelque manière, à l’humeur du jour, et à prévoir si nécessaire un parapluie ou une ombrelle ; or, je ne sais si je tombe mal ou si c’est une règle générale, mais les cartes de Météo France que je regarde, dans une proportion que j’estime environ à trois cas sur quatre, indiquent toujours les deux : un soleil flanqué de nuages plus ou moins gris ! C’est embarrassant, et même vraiment importun, en dépit des justifications embrouillées du présentateur : on ne sait jamais de quoi se prémunir. Et le lendemain, qu’il pleuve abondamment ou que le ciel soit limpide, on dira toujours que les services météorologiques avaient raison. Moi, j’admets que ça m’exaspère assez, quoi qu’on dise de la théorie du chaos et du principe d’incertitude d’Eisenberg : si c’est une science, à plus forte raison une science de grand prix, la météorologie doit être un peu moins approximative qu’une chance sur deux ! On ne pardonne les erreurs d’horoscope que parce que c’est distrayant et que ça ne vaut pas un centime.

Mais la raison d’être de Météo France ne devrait peut-être pas se situer dans des prévisions de si faible ampleur : j’ai parfois le sentiment, confirmé souvent par l’expérience, que mon voisin d’en face, un ex-agriculteur pratique et des plus accommodants, est fort habile à mesurer par lui-même le temps qu’il fera demain et le surlendemain ; et je m’aperçois souvent que j’aurais mieux fait de lui poser la question la veille des jours importants plutôt que de regarder la télé. Non, il faut, pour justifier presque un demi-milliard de budget, qu’un service de prévision scientifique vaille un peu mieux en clarté et en régularité que les prédictions de Nostradamus.

Et là, à vrai dire, je ne suis pas du tout sûr de cette fiabilité, et je crois même, pour parler franchement, qu’on se moque du monde.

Il y a peut-être une chose que j’ai mal comprise. J’ai l’esprit cabossé et j’entends tout de travers – on me l’a dit à l’occasion, et je suis tout disposé à le croire. Mais qu’on m’explique tout de même mon tort : quand je regarde les prévisions à une semaine, c’est-à-dire quand je mets véritablement Météo France à l’épreuve sur son terrain de spécialité, le bulletin national annonce encore en général un soleil flanqué d’un nuage, ceci avec un indice de certitude de 2 sur 5. Je dois être singulièrement fâché avec les logos ou avec les chiffres, quelque chose chez moi ne tourne pas rond (et probablement des tas de choses, j’en conviens)… néanmoins ce symbole reste pour moi un parangon d’incertitude et de moquerie – mais encore : 2/5, qu’est-ce à dire ? Cela signifie, logiquement – et à moins que je ne prenne cet indice trop au premier degré – que ce qu’annonce la météorologie à en réalité moins de chance de se produire que l’inverse (3/5) ! Or, pour n’augurer encore qu’un embryon de temps si imprécis… Eh quoi ? si je vous prédis qu’il fera un grand soleil dans une semaine, vous informant que ma prédiction a deux chances sur cinq, ou même, tenez, une chance sur deux d’être juste, qu’est-ce que cela vaut comme prédiction, je vous le demande ? J’aurai bonne mine de vous arguer ensuite que j’avais aussi prévu cette incertitude s’il se met en réalité à pleuvoir ! Alors, combien vaut ce service que je vous rendrais alors ? me donnerez-vous 400 millions pour ça ?

Oh ! j’exagère ! j’exagère sans doute, je sais bien : je suis malchanceux probablement et je ne tombe que sur les rares bulletins bidonnés ou approximatifs. Il est vrai aussi que je ne suis pas fort tolérant et que j’accepte mal de pardonner des erreurs à 400 millions : honte à moi ! Pour autant, une chose dont je suis sûr, c’est la façon désespérante dont nos journaux télévisés traitent l’actualité météorologique, et même en première page quand il n’y a rien à en dire.

Il a fait chaud, ou bien il a neigé : certes, c’est une nouvelle surprenante, cela, quelque chose de stupéfiant, semble-t-il ; à croire qu’il faudrait toujours un temps uniforme et constant, sans variations notables. Il a grêlé dans des vignobles : eh oui, ça arrive aussi tous les ans, et même deux fois par an au printemps et en automne. On mange des glaces ou on met des vêtements chauds un peu plus tôt ou un peu plus tard que d’habitude, mais aussi on oublie vite ses habitudes, par conséquent on suppose seulement que c’est extraordinaire et que ça mérite une dissertation…

Attendez ! attendez : je vais vous faire une jolie parodie qui me vient là justement à l’esprit et qui vous distraira peut-être :

« Bienvenue sur le journal de ***. Nous sommes le ***, voici une édition spéciale dédiée au temps. Aujourd’hui, il a fait sur toute la France un temps incroyablement mitigé. Nos envoyés spéciaux en région et nos experts climatiques vous communiqueront au long de nos pages d’informations tout ce qu’il est nécessaire de comprendre sur ce phénomène… »

Micro-trottoirs d’abord – c’est bon marché et ça flatte les Français même les plus cons : « Bonjour, Monsieur. Alors, que pensez-vous du temps qu’il a fait aujourd’hui ? — J’ai trouvé ça très mitigé. Ça faisait longtemps, je trouve, qu’on n’avait pas eu un temps aussi mitigé. — Et votre fille, elle en pense quoi ? — Moi, j’aime bien quand c’est mitigé mais on peut pas manger des glaces ! »

Les agriculteurs sont aussi sur les dents. Rencontre avec Gérard ***, un maraîcher en Lozère : « Quand c’est très mitigé comme ça, il n’y a rien de spécial à faire. D’un côté, c’est bien parce qu’on suit les protocoles agricoles ; d’un autre côté, on se demande si ça va tenir, et on s’inquiète un peu. »

Commerçants, à présent : « Oh ! un temps mitigé, c’est délicat : on vend moyennement, mais on vend quand même ; les gens sortent un peu. C’est trop habituel, ça ne va pas mais ça suffit aussi et c’est bien. »

Nos experts en météorologie, surtout payés pour être présentables (mais il paraît qu’ils ont beaucoup de diplômes inutiles qui servent de prétextes à montrer leur cul dans des tenues de grands couturiers), parlent de cette tendance : « Oui, il s’agit en effet comme on l’a vu d’un temps extrêmement mitigé sur tout le territoire, comme nous l’indiquent nos relevés satellite qui coûtent des millions. On voit là, sur cette vaste zone, la France qui se situe en gros entre l’anticyclone et la dépression, ce qui est à l’origine de températures tout à fait moyennes, oscillant entre ce qui est normal et ce dont on a l’habitude. On a connu tout au long du XXème siècle d’importantes périodes de temps mitigé, mais celle que nous vivons est peut-être un peu plus commune que la moyenne. Nos prévisionnistes annoncent un été et un hiver très ordinaires et conformes aux normales saisonnières, avec un indice de confiance de deux sur cinq, compte tenu de notre compétence. Il est difficile de déterminer si le réchauffement climatique a un rapport avec ce phénomène, mais on est en mesure de croire qu’on rencontrera encore souvent des épisodes mitigés comme celui-ci. »

Retour aux studios, pour une saisissante page culturelle sur le groupe « Météo » qui fait de la musique de merde pour jeunes débiles, et puis, mais si on a le temps seulement, un encart de 20 secondes sur quelque massacre en Afrique pour lequel aucun journaliste ne veut se mettre sur le coup, attendu qu’on a tout claqué en personnel pour des micro-trottoirs pourris et payés au même tarif. – On doit supposer que le métier de grand reporter international s’obtient à peu près comme une mauvaise spécialité de médecine, genre « proctologie » : si vous avez raté vos études et que vous avez le malheur de vous trouver au bas du classement, il ne reste plus que ça, tant pis pour vous (l’option « zone de guerre » est réservée aux pires étudiants passant de justesse au rattrapage).

Ah ! et j’oubliais : le lobby du tourisme n’a rien à voir avec le fait qu’en période de vacances on vous ouvre tous les journaux sur telle station d’hiver ou côtière et que ça dure plus d’une demi-heure, avec reportage sensationnel sur les nouveaux équipements de ski ou quelque originalité dans les parfums de glace des restaurateurs ; si on vous montre cela, ce n’est pas du tout parce que les médias sont tenus à valoriser le commerce français par un odieux système de quotas, point du tout, il faut réserver cette interprétation excessive à d’abominables amateurs de conspirations farfelues, mais on a estimé pour vous, et avec ô combien de bon sens, qu’il s’agit là d’informations capitales que tout individu bien né est tenu de connaître, en plus des citations du grand méchant Trump, des raisons pour lesquelles il ne faut ni trop manger ni trop baiser ni trop boire, et de l’évidence qu’il y a à aimer son prochain et à tout pardonner bien chrétiennement à tout le monde – sauf au grand méchant Trump, aux Gilets jaunes et à Éric Zemmour, cela s’entend tout naturellement !