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Henry War
23 avril 2019

Anamour

Certainement, je suis en train de retarder le moment d’écrire « sérieusement » parce que j’anticipe de nouvelles polémiques. Je vais encore me faire mal comprendre, on supposera que je cherche délibérément à provoquer, et beaucoup vont me juger inhumain, me faire des reproches, me largement détester… Il faut pourtant entendre que tout ceci m’est accidentel ! C’est que je crois toujours n’être pas fort original, et toujours je me rends compte trop tard de ma différence. Par exemple, je suppose mon avis partagé et très évident, et puis je découvre que j’ai dû vivre dans quelque siècle inactuel, que personne ne m’entend, que mon ton même paraît étranger au genre humain – je passe pour une sorte d’alien au sens anglais du terme –, et je regrette de n’avoir présumé de rien, de m’être lancé sans défiance sur le seul chemin de la Vérité, comme si tout le monde agissait ainsi que moi.

Même les bonnes âmes compréhensives qui veulent m’accorder le bénéfice du doute ou qui refusent d’en « croire leurs yeux » et demandent des explicitations se trouvent sidérées : Ah ! tu as voulu dire cela, n’est-ce pas ? Et moi, avec ma franchise bien naïve, de répondre : Mais non, pas du tout !

Je ne me repens pourtant pas de ce que je dis – de cela je suis sûr, et je ne parle jamais, à plus forte raison n’écris jamais, sans être bien convaincu de ce que j’affirme –, mais c’est peut-être ma façon de dire qu’il faut revoir – ce doute me laisse un certain trouble. Et cependant, comment changer ma façon et m’adapter à mes interlocuteurs sans prendre aussitôt sur eux quelque ascendant, quelque hauteur où je tâcherais avec quelque inévitable mépris de les préserver ? Il me semble que je leur serais plus insultant encore, de cette manière-là, si je les considérais avec une telle précaution qu’ils deviendraient aussitôt pour moi comme – des enfants.

« Anamour », c’est l’absence d’amour, comme « amoral » est l’absence de morale. Ce sentiment est en bonne part chez moi le dégoût pour tout ce qui touche aux contradictions et aux « pièges » de l’amour, et particulièrement aux tentations dont bien des femmes savent être les manipulatrices (ceci ne s’entend même pas négativement, a priori : elle savent séduire, c’est tout). Alors, mettons les pieds dans le plat : suis-je misogyne ? Eh oui, sans doute. — Alors vous avouez, scélérat ? — Mais oui, tout autant que je suis misandre et que je hais les hommes ! — Quoi donc ? Vous n’aimez ni les femmes ni les hommes, est-ce là votre défense ? — Et sinon comment pourrais-je être cohérent : il faut bien qu’un misanthrope soit dégoûté des deux !

Là où je puis créer un trouble, c'est en réfutant le pouvoir des femmes sur une certaine « race » d’hommes : ces hommes-là rejettent ce que par tradition on admet « la beauté des femmes » ; tout cette réflexion est l’incarnation de mon absoluité rationnelle, de mon esprit pur (mais je suis aussi un corps, ce que je mets ici exprès de côté). Tous les procédés habituels par lesquels une femme attire un homme sont extrêmement pénibles à cet aspect de ma personnalité, parce qu’il s’y trouve des techniques vulgaires (je veux dire : communes) qui parlent à la sensualité masculine dont elles arguent souvent qu’il s’agit de la plus mauvaise part, primitive et bestiale. Les parfums en particulier m’insupportent, car attirer par l’olfaction est le comble de l’animalité qu’on reproche aux hommes : et se met-on du parfum pour autre chose ? Il est aussi certains actes factices, certains tons de voix, certains mouvements de cheveux qui me dérangent en ce que la plupart des femmes qui les expriment, tout en sachant intimement leurs effets, feignent de ne pas s’en apercevoir et font mine d’en être, pour ainsi dire, innocentes et choquées.

Je veux lever un doute, avant de poursuivre : j’aime la séduction et même plus que nul autre, je considère la société comme le terrain universel de l’attirance, et j’aspire tout autant à plaire aux femmes qu’à mes amis dont je désire aussi me faire admirer.

Mais prétendre à la candeur virginale et minauder tout ensemble, c’est nier ce métier-là éternel de l’espèce humaine – l’hypocrisie alors me révolte – et c’est affecter de ne pas savoir tous les attraits qu’on exerce sur les autres, par exemple avec des parfums ou des vêtements savamment choisis – comme si l’on se parfumait ou s’habillait pour soi seul !

Mais mon moi idéal affirme que l’attirance pourrait se juger sur bien autre chose que des superficialités de cette sorte. L’amour, notamment, mérite un peu mieux – et c’est au point qu’il serait plus élevé et plus digne de commencer par admirer quelqu’un pour son esprit avant de le rencontrer et de découvrir ensuite à quoi il ressemble.

Les femmes belles, j’entends canoniquement belles, de cette beauté de magazine qui ne souffre à peu près aucune contestation, ces femmes-là, je m’en défie. Une femme vraiment belle le sait toujours, elle a appris à vivre avec, à s’en servir comme d’une arme pour arriver à ses fins, pour faciliter sa vie, pour se faire plus aisément admettre au sein de différents cercles – du moins a-t-elle moins peiné, qu’elle le sache ou qu’elle l’ignore. En général, une femme belle n’a pas eu à user autant de son esprit qu’une autre : il lui a suffi de se « présenter », elle n’a eu qu’à se parer moindrement, et voilà comme elle fut prête à triompher de nombre d’épreuves de l’existence. C’est pourquoi une femme très belle m’inspire toujours de la défiance : elle est le plus souvent – piètre d’esprit.

Mais, me rétorquera-t-on, il faut être encore pour le moins « joli » de façon à ne point inspirer du dégoût et à entretenir l’idée d’une certaine hygiène et d’un certain sens esthétique ! Certes, mais ceci est simple et consiste bien plutôt en un apprentissage culturel qu’en une disposition physique ou corporelle (…vaste sujet, et dont au moins un corollaire, assez étranger à mon sujet, est plus polémique encore !). Il existe une forme de beauté qui s’ignore et qu’on appelle le charme, l’élégance, le goût, la grâce… Une femme qui ne se sait pas belle peut fort bien l’être en vérité, mais elle aura développé en plus de sa beauté de ces variétés d’esprit pour se faire valoir qui ajouteront à ses attraits extérieurs. Malheureusement, il faut encore admettre une déplorable chose, c’est qu’une femme belle et qui se suppose laide est idiote ou complexée : ne pas reconnaître ce qui est, c’est assez malsain aussi, et ce déni est évidemment un défaut de nature à dégoûter un amant philosophe.

Ce que j’écris ici m’évoque assez les Incel, ces Célibataires Involontaires qui haïssent les femmes parce qu’ils ne parviennent pas à s’en faire aimer – un spécimen curieux en a abattu récemment plusieurs dans les rues de Toronto avant de se faire arrêter. Ces hommes-là – il faut aussi les plaindre un peu, c’est-à-dire les comprendre, ce qui ne revient nullement à les justifier – vivent dans une frustration immense : ils se sentent injustement négligés, leurs tentatives pour se faire apprécier des femmes suivant tous les codes conventionnels se sont soldés par des échecs, et, après avoir longuement cultivé le sentiment de leur indignité, ils en ont tiré une tristesse puis un mécontentement qui ne peut plus aller seulement dans le sens de la culpabilité ; il faut que d’autres soient coupables à leur place – et c’est la femme, à leur avis, dont la perversité dédaigne leur valeur. Suivant cette logique, ils ont sans doute cru, au moins provisoirement, qu’avoir l’air de négliger les femmes est un moyen de s’en faire aimer.

C’est pourtant vrai que cela marche parfois : bien des femmes fuient qui les recherche, parce qu’elles sentent – et c’est tout naturel – qu’il y a là une proie qui se donne avant de se conquérir, et c’est le signe que cet homme ne serait pas un conquérant, mais un conquis ! C’est toute la bêtise de la « virilité » qui, touchant aussi bien aux préjugés de certains hommes que de certaines femmes, pousse à ces jeux de chasse dont les Incel ne voient que les affectations insolentes et les provocations sexuelles.

Mais là où ils ont tort, c’est que cette attitude de « mépris d’avance » du Dom Juan (dont parle si justement Albert Cohen dans Belle du Seigneur) ne fonctionne que si elle n’est pas perçue précisément comme un rôle : une femme qu’on quitte dans le seul dessein de lui manquer peut deviner, si l’on n’est pas sincère, l’imposture. Ce en quoi je dirais que, s’il faut jouer à tout prix – mais rien n’y oblige, n’est-ce pas ? et pourquoi ces affèteries si l’on n’a pas quelque peu honte de ce qu’on est ? –, l’homme qui obtient le plus de chance de séduire ainsi est celui dont le mépris n’est pas affecté.

Ainsi : ne recherchez pas l’amour, frères humains, dédaignez-le d’un cœur loyal : on vous aimera mieux, même… on vous poursuivra peut-être !

En effet, le summum de la virilité (dans un sens certes assez stéréotypé) est sans doute incarné par celui qui n’aurait pas « besoin des autres », qui serait parfaitement autonome, et dont l’indépendance extrême serait en soi un objet d’admiration. Le partisan de cet « anamour » est justement un être détaché, exilé volontaire, qui ne ressent nul besoin d’aimer ou d’être aimé – par conséquent il attire sans doute inévitablement l’intérêt de quelques femmes qui se font un défi de briser ce mur à leurs yeux provocant et pour qui quelque résistance en la matière pousse toujours au combat. Mais il veut de l’authentique et du profond, ce que son environnement ne lui offre pas ; et il souffre, parce qu’on dirait qu’il n’est point sensible et que, cependant, il veut des « amitiés » qui ne reposent pas sur des conventions d’apparence : il veut admirer, lui. Mais qui admirera-t-il si, autour de lui, il n’y a que des « hormones » – parfums, manières, vêtements, parures et cajoleries apprises par cœur – à percevoir ? La solitude de cet homme d’exception, qui est aussi la condition de sa Grandeur selon le célèbre mot de Nietzsche, est également, à son âme extrêmement ouverte, une plaie incurable.

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