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Henry War
3 juin 2019

Le principe de précaution

Dans un article précédent (« Mise au point »), j’ai placé beaucoup d’espoir en l’homme contemporain en indiquant, selon moi, comme enfin il me paraissait progresser largement dans un sens audacieux et débarrassé de nombreux carcans et préjugés moraux. À présent et ici, pour ne pas être taxé d’enthousiaste béat, il me faut nuancer quelque peu cette assertion et cet élan positif, et montrer – mais je l’ai déjà fait bien souvent – les erreurs liées à persistance de certains codes éthiques et attribuables conjointement à un défaut de rigueur méthodique dans le raisonnement.

Le « principe de précaution » s’inscrit typiquement dans cette grande catégorie d’erreurs contemporaines et pourtant assez faciles à réfuter.

Ce principe s’applique notamment en matière de santé et d’environnement chaque fois qu’on soupçonne la possibilité d’un mal. Il s’exprime exactement de la façon suivante en 1992 dans la Déclaration de Rio : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation. » Juridiquement, il tend à signifier que la suspicion d’un mal important, en l’absence même de tout savoir scientifique ou technique indubitable, doit produire une action de nature à démontrer ou à empêcher la propagation dudit mal envisagé et questionné.

Les rédacteurs de cette déclaration qui vaut aujourd’hui quasiment loi dans le droit français ne se sont pas représenté au juste en quoi consiste une « certitude scientifique absolue » – c’est que ce concept, certes, n’est pas aisément concevable ! Mais on a jugé, comme souvent et c’est bête ! que le souci de prévention d’un mal passait avant tout effort de clarification de l’article, et qu’il y avait beaucoup de bien et d’honneur à déclarer bravement et en toute hâte ses intentions bienfaisantes d’empêcher toutes catastrophes écologiques ou sanitaires.

Nombre de représentants élus ne font rien davantage. Un peu de bonnes intentions leur tiennent lieu de politique, et on finit par se retrouver comme en présence d’évêques qui n’osent prononcer que des platitudes dénuées d’effet et sans savoir d’où ils les tiennent ni ce qu’elles valent, parce que l’expérience et quelque catéchisme initial leur ont enseigné que ces platitudes étaient généralement bien reçues et leur apportaient de l’approbation et de la popularité. Cela suffit souvent pour se faire réélire : l’impression que l’on donne de se placer du côté du bien permet encore tristement de susciter des suffrages automatiques. C’est là l’un des héritages tenaces du christianisme.

Pour moi, autant le dire tout net, je ne sais pas ce que c’est qu’une certitude scientifique ou technique absolue. J’aurais à dire que certaines notions élémentaires de physique comme la gravitation universelle, ou de mathématiques comme le théorème de Pythagore, constituent des réalités difficilement réfutables, mais j’avoue être tout à fait incompétent à mesurer si leurs applications connaissent des exceptions et si, par conséquent, on peut estimer ces savoirs absolus et certains. J’ai cru comprendre par exemple que la théorie de la relativité, qui passe pour un fond de connaissance révolutionnaire et essentiel, comportait aussi quelque incertitude. Mais je ne puis en mesurer la réalité ni la teneur, au juste – ce domaine passe ma capacité. Au même titre, j’ignore si, un jour, en jetant une balle à terre, il n’existera pas quelque probabilité infime pour que cette balle s’élève rien qu’un instant dans les airs. Certes, je ne fonde pas tous mes espoirs là-dessus bien sûr ! mais c’est pour bien montrer que si je prends considération de ce que je sais de la répétition d’un phénomène, je ne tiens presque aucun calcul ni aucune observation, fût-elle maintes fois éprouvée, pour tout à fait certaine et absolue. C’est une sorte de prudence, si l’on veut, dont je ne tiens compte qu’en théorie – mais tout de même ! il existe un doute raisonnable pour tout, et l’on a par exemple déjà vu des hommes politiques dire la vérité.

Qu’on applique cette réalité empirique du soupçon à notre principe de précaution, et l’on trouvera que la seule chose qui ait quelque « matière » dans sa formulation, c’est, peut-être, la notion de « risques de dommages graves et irréversibles ». Mais peut-être seulement… Je veux dire : pour autant qu’on y songe, tout, absolument tout, présente de tels risques, non ? Le moindre toboggan, le plus petit couteau, même une boîte de conserve, potentiellement n’excluent pas de telles dégradations – ma mère m’a longtemps rapporté le cas d’une de ses tantes qui, voulant ouvrir une boîte de conserve avec un couteau, y perdit carrément un œil. Évidemment, on suppose que dans le cas où il s’agirait de prévenir un danger en prohibant une chose, il faut que ce danger soit essentiel à la chose elle-même. Oui, mais dans pareil cas, en particulier à notre époque de recherches et de développement, je ne sache pas que le danger ne puisse se démontrer scientifiquement ; il me semble même que, dans une circonstance où en 2019 un risque associé à une chose ne puisse être démontré et avéré, ce fait de l’incommensurabilité du mal ne plaide plutôt en faveur de l’innocuité de la chose ! Et quelle est la nature mystérieuse d’un mal réel qui ne se vérifierait pas de nos jours ! De quelle substance intangible doit être fait cet objet, métaphysique sans doute, pour ne présenter aucun des attributs nécessaires et objectifs par lesquels on est ordinairement en mesure d’établir scientifiquement s’il est nuisible à la santé et à l’environnement, et pas seulement un peu nuisible, entendez bien, mais nuisible de façon « grave et irréversible » ? Je ne démêle pas cette énigme. Il faut que la réalité de cette matière soit bien philosophale pour ne pas pouvoir être analysée ! ça semble tout à fait quelque chose de spirituel et d’inappréciable pour qu’on ne puisse trancher avec rien qu’une quasi-certitude s’il s’agit d’une matière, en gros, « potentiellement cataclysmique ».

Mais partant, le principe de précaution admet qu’en l’absence de démonstration sur la question d’un tel péril, le moindre doute peut faire interdire la chose suspectée d’être périlleuse. C’est ainsi. La bonne intention encore supplée la bonne raison. Voyons. Voyons voir ensemble. Examinons cela. Le souhait du bien prévaudrait donc sur la vérification du danger. Ainsi, il suffirait que la possibilité d’un risque grave fût émis – admettons : avec un commencement de raisons – et tout serait alors arrêté, stoppé, empêché :

Il semble que les théories galiléennes soient dangereuses – c’est vrai, la remise en cause d’un système vieux de plus de mille ans de toute évidence n’ira pas sans violente conséquence ne serait-ce que pour l’église :

Il faut interdire les livres de Galilée.

Le moindre avion, sans nul doute possible, présente par son existence même et la réalité de son transport d’êtres humains des dangers incontestables : c’est presque une folie, vu d’un regard un tant soit peu extérieur :

Interdire l’avion.

Ne dit-on pas que les Juifs, comme bien d’autres communautés d’individus, proposent un péril extrême à l’équilibre des nations où ils évoluent ? Certes, on ne l’a pas du tout vérifié à proprement parler, mais : cette « absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation. »

Donc, interdire le Juif.

Et caetera.

Le principe de précaution est en somme l’exact contraire de la présomption d’innocence : interdire ce qui est suspect, même à tort. Dans la justice ordinaire et légitime, c’est à l’accusation de prouver les préjudices de la partie adverse ; ici, rien que le soupçon d’un danger permet la prohibition de son origine. Mais comment donc cet article est-il parvenu à entrer dans notre droit français sous la forme de loi et de jurisprudence ? C’est absurde. Cela se concrétise dans le droit du travail par le fameux droit de retrait : « Possibilité pour tout salarié d’arrêter son travail et de quitter son lieu de travail lorsqu’il peut raisonnablement penser qu’il est face à un danger grave et sur le point de se réaliser ou qu’il constate un dysfonctionnement des systèmes de protection. » Mais ce droit de retrait, lui, implique qu’in fine le danger soit démontré par le salarié : rien de tel dans le principe de précaution où on ne parle pas même de doute raisonnable ou motivé.

Je dirais, sans vouloir jouer le mauvais plaisant, que c’est le principe de précaution qui, au regard de son propre principe, devrait disparaître et se retourner contre lui, car il ne fait aucun doute qu’il est dangereux juridiquement et philosophiquement, et en l’occurrence y compris d’une façon rationnellement démontrable, et donc il doit s’auto-déterminer des mesures contre lui-même.

On me répondra peut-être que ce principe a été voté et mis en place de façon à pallier la toute-puissance des grandes entreprises et de certains lobbies qui ont les moyens de maintenir des procès longs et coûteux en attendant de vendre de grandes quantités d’un produit nuisible ou de piller irréversiblement telles ressources naturelles. Je répondrais que c’est possible, que c’est même plus que probable, mais qu’il ne faut pas s’en prendre tant aux sains principes de la preuve scientifique et de la présomption d’innocence qu’au déplorable système de justice qu’on a laissé devenir une machine à favoriser les fortes influences et les grandes fortunes. Il vaudrait mieux se plaindre sur ce chapitre et faire en sorte que les tribunaux soient mis en état de juger le plus rapidement et infailliblement possible de la dangerosité d’une chose ou d’une pratique plutôt que d’admettre sans broncher que dix juridictions différentes puissent remettre, au sein d’un rouage absurde qui confine à l’arbitraire, des décisions capitales pour la santé et l’écologie publiques au terme de vingt ou trente ans de procédures, de chicanes, de révisions et de vices de forme, pendant lesquelles il est impossible de faire quoi que ce soit contre ceux qui disposent des moyens plus ou moins corrupteurs d’atermoyer ainsi des arrêts et des jugements. En ce sens, le principe de précaution est tout à fait un système parajudiciaire pour pallier les défaillances d’un mécanisme de justice qui, pour des causes multiples, ne parvient plus à être sainement efficace et juste.

Ce qu’il y a particulièrement à redire dans cette « précaution », c’est donc que, si on y réfléchit bien, elle insinue d’emblée une défiance foncière dans la justice de la société où l’on vit : comme on se sent dans l’incapacité de faire valoir un préjudice, comme on devine que tel puissant trouvera les moyens de gagner des experts insincères et plus nombreux que soi contre des juges partiaux, on invoque une loi « concurrente » qui impose l’arrêt d’une activité sans la démonstration de sa dangerosité – c’est exactement un moyen de contournement de la procédure normale. Et logiquement, à examiner de près les pays où ce mécanisme est appliqué, on devrait reconnaître avec fiabilité les pays où la justice est la plus faillie : on recourt à de pareils expédients quand on n’y accorde plus aucune foi, et même pire encore : quand les législateurs de tels pays eux-mêmes ont conscience que leur système judiciaire est pourri et qu’il y faut quelque mauvaise béquille pour la contrecarrer ou la contourner.

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Commentaires
V
Par principe de précaution, vais cesser de te lire... et signaler ton blog, d’ailleurs. <br /> <br /> Peut-être même que par ce même principe de précaution, on devrait t’abattre. <br /> <br /> Oui, je sais: je sors!
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