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Henry War
2 juillet 2019

État de(s) libertés

Toute liberté dans un pays démocratique peut se mesurer à ce qu’on prélève sur chacune de vos actions, de sorte que vous osez ou n’osez pas agir selon ce qu’il vous en coûte. Ce n’est pas du tout comme dans une dictature où l’on vous emprisonne pour un rien, au gré des volontés du tyran : le régime républicain, lui, vous dissuade d’user de vos libertés suivant un système de taxes et de lois qui semblent l’émanation d’une collectivité, de façon que vous n’ayez pas le sentiment d’un abus.

En France, la moindre chose que vous achetez vous coûte déjà 20% plus cher que son prix réel, de sorte que votre liberté de consommation s’en trouve réduite. Parmi ces choses, un certain nombre vous sont interdites : le plaisir d’une prostituée, d’un rail de cocaïne ou d’un traitement de vos allées au RoundUp. D’autres nécessitent des permis payants : armes, voitures, cannes à pêche – de sorte qu’un homme dans le dénuement le plus complet et amené au désir de suicide ou de s’alimenter sans le recours de personne en serait quitte pour payer au préalable. D’autres obligent à disposer d’assurances dispendieuses, comme une maison, ou même sa propre santé. D’autres encore supposent tant de contraintes légales et de normes qu’il est pénible d’avoir à en acquérir, comme une voiture ou une entreprise.

Pour l’exemple, admettons que je souhaite faire construire une maison, ce qui est, chacun en conviendra je pense, de ma « liberté » la plus totale. Il me faut tout d’abord trouver un terrain, et les nouvelles règles d’urbanisation rendent difficile de bâtir en-dehors des villes sur une parcelle de plus de 1000m2. Si cela me convient tout de même, il me faudra dépenser pour l’acheter l’équivalent de 15% de sa valeur réelle rien qu’en frais notariés, hors TVA. Admettons encore. Passons à la construction elle-même : les normes RT 2012 élèveront le prix de ma maison d’environ 20% par rapport à ce qu’il était avant cette date. Le creusement des fondations me coûtera d’autres taxes (archéologiques, etc.), et la réglementation du lotissement contraindra la forme de ma maison – hauteur, couleur, pentes de toits… Au surplus, si je veux compenser une partie de ces coûts, la bâtisse devra être à peu près conforme à ce que le constructeur à l’habitude d’ériger, raison pour quoi toutes les maisons d’un lotissement se ressemblent tant dans notre pays. Après cela, m’incomberont bien d’autres frais et forfaits divers (raccordements, égout, eau, électricité), et, sous la surveillance scrupuleuse de deux ou trois contrôleurs imposés que je devrais aussi payer, ma maison sera bâtie : il me restera à payer une taxe annuelle sur la superficie du terrain que je possède, et, si j’ai le bonheur de ne faire qu’y résider sans en être propriétaire, une autre taxe sur le seul fait d’habiter compensera astucieusement ce déficit (nous avons encore de la chance, à ce qu’il paraît : en France, on ne paye pas de taxe sur le nombre de fenêtres et de cheminées). Il faudra ajouter à ces dépenses le bilan énergétique que je n’ai pas choisi, l’entretien obligatoire de l’équipement à fluides caloporteurs, l’assurance qu’on m’impose, et, si je compte remplir rien qu’un peu ma maison, la taxe sur le recyclage anticipé des matériaux comprise dans le prix d’achat des meubles, le surcoût des ampoules obligatoires à économie d’énergie, la dépense de capteurs de fumée selon telle norme etc. Après ça et moyennant les intérêts du prêt, je suis tranquille et heureux, libre ! mais alors : libre comme l’air !

Il y a peu – mais je crois en avoir parlé par ailleurs – j’ai eu l’occasion d’expérimenter ma pleine et entière liberté de déplacement par la possession d’une automobile. Ce véhicule, j’avais le bonheur de l’assurer obligatoirement, de financer son contrôle technique obligatoire, et de le remplir de carburant en payant une taxe obligatoire d’environ 60% à la pompe. Je ne l’utilisais qu’en me soumettant à toutes sortes de règles obligatoires, comme l’interdiction de franchir la limite des 80 km/h sur des axes sans danger particulier ou bien celle m’imposant de conduire avec une ceinture de sécurité, et après avoir obtenu en payant mon permis obligatoire pour l’utiliser, et bien qu’il me fût impossible de circuler avec dans la capitale de mon propre pays, j’ai songé à en user quelque peu : bientôt, un garagiste obligatoire m’annonce que ma voiture perd de l’huile à raison d’une goutte par heure, et qu’une norme obligatoire me défend désormais de rouler avec, tant que je n’ai pas fait réparer ladite fuite. Je demande combien il en coûtera, et l’on me répond que le joint de culasse ne coûte pas grand-chose à réparer, mais qu’un règlement obligatoire oblige obligatoirement à faire vérifier la culasse en laboratoire, ce qui reviendra, si le test est négatif, environ au prix total du véhicule d’occasion.

Mais on est bien libre chez nous de circuler comme on veut ! sans conteste ! Nous vivons, certes, dans un régime de liberté bien enviable !

Quant à votre liberté de penser, elle ne subsiste qu’à la condition que vous ne vous en serviez pas pour vous exprimer : toute idée originale explicitée verbalement vous vaudra d’être taxé de haine (ce qui est une autre façon de vous faire payer), et ce motif-là vous coûtera bien encore quelque chose ! Vous ne sauriez rien décrier ni personne, ni dire que votre mère a de l’embonpoint, ni déclarer que vos amis sont parfois stupides, sans encourir la vindicte collective et quelque condamnation dure. Pour cette raison précise, tout ce que vous lirez dans votre pays sera empreint également de cette douce suavité, et vous n’aurez plus le loisir de rencontrer la plus petite audace qu’autrefois on y appelait « art » ou « talent ».

Suis fonctionnaire, et ma fiche de paye indique nettement que, hors impôts, pour 2229 euros que j’ai touchés le mois dernier, 2783 autres sont revenus à l’État pour le financement de toutes sortes d’avantages communs. Et à tel prix, le gouvernement se chargera généreusement des services publics et de votre retraite, mais il faut excepter tout ce que vos impôts locaux vous réclameront en sus, et il faudra vous contenter pour vos enfants d’enseignements médiocres, de procès d’au moins cinq ans pour la moindre peccadille, d’une armée qui ne fait pas décoller un de ses hélicoptères sur trois, d’autoroutes concédées à des entrepreneurs privés, d’une police occupée surtout à collecter des contraventions, d’hôpitaux où l’on croupit des heures dans des couloirs avant de seulement songer à vous remboîter l’épaule, de groupes d’intervention de pompiers et de sûreté en mer qui sont assurés par des bénévoles, etc. Quant à votre retraite, soyez assuré que tout ira bien, et qu’il sera fait bon usage de votre argent si vous n’ambitionnez pas d’abandonner votre activité professionnelle bien longtemps avant que d’être mort.

Liberté ! liberté chérie ! Mais vous pouvez, voici le principal ! vous pouvez faire ! Il vous en coûtera cher, mais vous pouvez : c’est à quoi, paraît-il, on reconnaît un État de libertés !

Mais à quoi bon, s’interroge-t-on encore quelquefois, toutes ces contraintes, normes, règlements, lois, coercitions, etc ? — À assurer, s’entend-on répondre, la pérennité d’une nation dont la population ne cesse de croître : il faut bien « faire de la place » ! — C’est donc à cause de ceux qui font des enfants que les charges augmentent pour tous et que l’impression de nos libertés s’effondre ? — Voilà : on doit se restreindre pour les futurs arrivants qui veulent vivre ; si encore les français consentaient à s’abstenir ! mais on a trouvé qu’ils étaient plus propres à payer ! — Ah ! c’est donc pour ça ! — Précisément ! — Mais alors, monsieur, je ne comprends pas… — Quoi encore ? — C’est que, depuis que j’ai eu un troisième enfant, on m’a octroyé 900 euros de primes, 150 euros par mois de Supplément Familial de Traitement et 150 autres d’Allocations familiales, sans compter que je ne paye plus l’impôt sur le revenu et que… — Taisez-vous donc ! — Enfin, il me semble que si le but était de dissuader de faire des enfants… — On n’a pas le droit de dire de telles choses, et si vous ne vous taisez pas dans la minute, je me charge de vous dénoncer sur-le-champ ! — À la bonne heure, je ne dis plus rien : continuons donc d’être ainsi libres, et ne nous soucions plus de rien !

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