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Henry War
3 juillet 2019

L'interdiction de la fessée

Vraiment, je ne suis pas un violent et toute tyrannie me dégoûte : pour châtier je sais qu’il y a la justice, et je ne m’en tiendrai toujours qu’à punir mes propres enfants comme il me semble préférable. Cependant, qu’on me dise ce qui vaut mieux : un enfant vous frappe, ou il vous crie si fort dans les oreilles qu’il blesse vos tympans, ou bien il vous crée quelque désagrément dont il est conscient et qui vous fait l’effet d’une cuisante gêne. Après l’avoir averti alors qu’il est en âge de comprendre, il continue : aussitôt vous lui mettez une claque, assez fort seulement pour rendre compte du désagrément qu’il vous a causé et de la douleur qu’il vous a infligée, et il s’en tiendra vexé, il pleurera un peu, il ne recommencera plus ou strictement avec la même peine redoutée.

Ou alors, dans la même situation, saisi par quelque scrupule humanitaire, par quelque préjugé mièvre ou chrétien, vous prenez votre mal en patience et, littéralement, vous souffrez les importunités de votre enfant. Celui-ci vous connaît, il sait que vos explications se répètent longuement avant d’aboutir, il n’a qu’à vous pousser aussi loin que vos nerfs sont capables de résistance. Enfin vous êtes à bout, votre contention explose, vous jugez tout à coup du châtiment : l’enfant restera au coin pendant une heure, ou dans sa chambre, ou devra se taire, ordre auquel il n’obéira que s’il le veut bien car son désœuvrement ne craint que les coups. Vient alors le temps des représailles : privé de dessert, sommeil, ami, sortie…

Or, c’est là que je m’interroge : n’est-il pas plus spontané et plus humain de répondre à quelque mal physique subi par un mal physique proportionné et immédiat, plutôt que d’attendre longuement avant de rendre un arrêt dont le résultat sera un mal psychologique différé ? Qui peut comprendre un tel délai et une telle sophistication de tourment ? Il y a, il me semble, un sadisme beaucoup plus grand à enfermer une mouche pénible, à la priver de repas, à l’empêcher de côtoyer ses congénères à une heure imprévisible, plutôt qu’à la gifler tout simplement aussitôt que son insistance vous importune. Cette élaboration même du châtiment, cet effort de ruse à tâcher de faire correspondre improbablement une douleur corporelle avec un tourment mental, ne me paraît pas du tout saine, et l’enseignement que l’enfant doit en tirer ne me semble pas fort éloquent : croira-t-il qu’il est permis de nuire à autrui jusqu’à un certain point, et comprendra-t-il que la justice consiste à transformer le mal en un mal d’une autre nature et qui se paiera plus tard ?

Vraiment, je répète que je ne suis pas un violent, mais si un professeur gifle ma fille parce qu’elle l’a frappé, j’aime autant qu’il ait eu ce réflexe naturel et édifiant plutôt qu’il ait décidé, par exemple et entre autres choses, de lui faire croire qu’après sa mort elle subira, outre la vengeance de son fantôme, les mille-et-unes souffrances du Diable et de l’Enfer.

 

***

 

Il y a peu de temps que nos députés bonasses et inconséquents, croyant pallier de notre pays un retard qui était peut-être un acquis légitime, ont interdit la fessée et autres traitements de la sorte, contre l’avis même de la majorité des français qu’ils ont pourtant, je crois, fait vœu de représenter.

En tout premier lieu, je dirai à ce sujet qu’il y a toujours quelque inconvénient majeur à fabriquer des contrevenants à l’endroit où il ne se trouvait, la veille encore, que d’honnêtes citoyens et de respectables pères et mères de familles. Vraiment, en interdisant du jour au lendemain des pratiques qu’une majorité nombreuse continue de considérer inoffensives et utiles, on crée comme aux États-Unis un régime de Prohibition qui ne sera respecté par personne, on force par une loi brutale des gens à dissimuler des habitudes qu’ils ne s’estimeront aucune raison d’arrêter, on donne artificiellement naissance à des actes clandestins, et l’on forme des hors-la-loi illégitimes en changeant tout d’un coup l’innocence en délit d’une incompréhensible manière.

C’est qu’on veut traiter des parents en criminels au prétexte qu’ils giflent quelquefois leurs enfants, parce qu’une poignée de fanatiques de la Bonne Pensée exigent que cela s’appelle « coups et blessures », « humiliation » ou encore « dégradation de la personne humaine ». Allons donc ! mais de quoi parle-t-on au juste, avant d’aller discourir de Crime contre l’Humanité ? A-t-on déjà vu des enfants succomber à une fessée, mourir d’une gifle, périr d’une oreille tirée ? Nos hôpitaux connaissent-ils abondance de patients mineurs durablement blessés par de pareils traitements ? Il faut bien convenir que, dans la majorité des cas, de tels faits ne sauraient être sérieusement qualifiés de « coups et blessures », même par un magistrat pointilleux : la raison en est déjà que, généralement, cette façon de correction ne laisse aucune trace physique sur l’enfant ; la marque d’une paume de main appliquée sur une chair ne retient une marque rouge qu’une poignée de minutes ; or, le sévice n’est ni grand ni flagrant quand la preuve du coup n’apparaît même pas au corps de celui qui l’a reçu.

Quant au mot « coup » dont j’use ici seulement pour éviter une répétition, on ne sait même s’il peut être employé proprement dans ces cas et sans abus : il y a de la justice – j’en conviens évidemment – à condamner un individu dont les violences laissent des séquelles sur sa victime, car c’est le fondement du droit de prohiber la brutalité passionnelle ; mais quant à empêcher un père d’éduquer son fils en lui donnant à sentir l’importunité qu’il cause par ses déportements, c’est bien autre chose, et ce nom même de « traitement humiliant » qu’on veut associer à toute espèce de punition physique est clairement un abus de langage : celui qui donne une tape sur la main de son fils non seulement n’a pas pour objectif d’« abaisser » son enfant, mais encore il désire au contraire l’élever par ce geste, c’est-à-dire l’éduquer pour empêcher la répétition d’une erreur ou d’une faute. La plupart des français eux-mêmes, qui sont favorables au rétablissement du service militaire, semblent croire qu’il y a de l’utilité dans la fermeté de certains rapports de soumission, et ils supposent qu’il est longtemps nécessaire, avant que de faire l’important, d’avoir été quelque peu réduit à des tâches plus ingrates qui aident à se représenter la relativité de toute domination. Il est sans doute vrai qu’on n’est bien compétent à une place qu’après avoir occupé certains postes inférieurs (c’est pour cette raison qu’on aimerait que nos politiciens aient du moins un métier) ; or, il en va de même pour la position d’Homme : devenir Homme, n’est-ce pas au préalable avoir occupé d’autres rangs intermédiaires où l’on n’a pas encore obtenu ce statut et cette hauteur ? Ceci ne légitime point, bien sûr, d’être abusivement traité comme une bête, car qui est né de l’homme n’est jamais un animal, mais longtemps l’enfant n’a pas la complétude de l’homme, et, de fait, il se trouve en un état moins élevé que ses prédécesseurs, il est humble parce qu’il ne vaut pas les individus mieux avisés qui l’environnent : partant, à quoi bon prétendre qu’on le dégrade si l’humilier c’est simplement lui rappeler – qu’il est enfant ?

Il est, je crois, urgent et nécessaire de revenir d’emblée sur cette considération du « traitement dégradant », faute de quoi tout deviendra bientôt interdit dans l’éducation de nos enfants pour ce que la correction d’un vice se fait toujours par la représentation d’une erreur. Et que si l’on veut me rétorquer que la fessée, ne portant pas à grande conséquence physique, induit une influence morale ou psychologique, je répondrai que c’est précisément le but recherché en matière d’éducation d’inscrire une marque morale ou psychologique. Que si l’on m’avance que par ce moyen physique la marque ainsi faite porte toujours préjudice à l’enfant, qu’elle est toujours néfaste ou pernicieuse et qu’il ne saurait jamais en résulter aucun bien qui égale une éducation sans fessée, je répondrai que ce fait n’est pas prouvé et qu’on connaît aussi peu d’enfants traumatisés par des fessées que par – une absence de fessée ! Que si l’on m’argue que ce but d’éducation peut du moins s’obtenir d’une manière plus douce, je répondrai, sans le nier, que d’une plus douce manière l’on obtiendra nécessairement l’un des deux effets suivants : ou bien il y aura remise en cause de l’enfant, ce qui constituera encore une sorte de « dégradation » – l’humiliation n’étant proprement rien d’autre qu’une façon de rappeler quelqu’un à son rang d’infériorité, ce qui se perçoit tout aussi bien dans un long discours que dans une brève fessée – ; ou bien il y aura inefficacité de la correction c’est-à-dire absence d’effet, comme cela se voit souvent lorsque les parents prétendent tout arranger par la négociation (souvenez-vous : ce sont leurs fils qui vous importunent au supermarché, au restaurant ou au cinéma, qui hurlent comme des créatures sauvages et que vous aimeriez domestiquer fermement une fois pour toute afin que ce charivari s’arrête net dans un silence interloqué) ; or, s’il y a inefficacité d’éducation, il y a aussi carence en ce domaine, et cela se paie également d’un point de vue pénal. Or, ce défaut-là ne vaut guère mieux, me paraît-il, pour la société où l’on vit.

Au surplus, en introduisant les sanctions pénales au sein des familles, c’est-à-dire dans un domaine où l’individu conservait une relative latitude d’actions, on insère du Politique et du Droit dans une sphère privée qui n’en a guère besoin et où, au-delà des actes d’évident préjudice, le bon sens devrait seul conditionner les rapports humains, dans la mesure où la famille se définit comme une société non principalement de Droit mais de concessions mutuelles placées sous le signe de l’affection.

Enfin, on produit par ce biais ou bien une très criante disproportion de Droit, ou bien une grande insécurité pénale pour nos enfants, ce qu’il me faut à présent expliquer.

L’un des principes fondamentaux du Droit consiste en la réciprocité des actions civiles et pénales. Pour le dire mieux, celui qui est accusé doit toujours avoir la possibilité légale de devenir accusateur à son tour, y compris contre son poursuivant. C’est pour cette raison qu’il est défendu au Président de notre République de porter plainte contre un citoyen : dans une telle situation, l’accusé ne pourrait se retourner contre son accusateur, celui-ci bénéficiant d’une immunité absolue durant son mandat. Il y aurait, en pareil cas, déséquilibre des forces légales.

Mais dans le cercle familial, cet équilibre nécessaire est compliqué par la minorité du plaignant potentiel. Si l’enfant peut porter plainte, même indirectement, contre l’un de ses parents pour une chose aussi futile qu’une fessée, alors ledit parent doit disposer du même droit contre son fils et dans des circonstances tout aussi futiles. Or, son fils peut-il être accusé, et ne jouit-il pas à peu près d’une situation d’impunité en raison de son âge, car n’étant guère pourvu d’une responsabilité pénale (ou bien, pire encore, il est sous la responsabilité de son tuteur légal, ce qui reviendrait, si son parent emportait contre lui quelque procès, à ce que ledit parent paye lui-même en cas de victoire la contravention de son enfant – chose absurde !) ? On voit premièrement où ce genre de lois risque de mener : à une chicane continuelle où les relations familiales s’établiront sous la menace permanente des lois, et non sous le régime du bon sens et des relations d’affection. Autre inconvénient : si le parent ne tremble pas sans cesse sous l’immunité de son enfant (c’est que cette impunité serait levée), alors on admettra que ledit parent puisse attaquer pénalement son enfant pour toutes sortes de vétilles ; or, il faut reconnaître que de telles vétilles se rencontrent couramment dans la famille, car n’est-il pas vrai que les parents ont journellement à subir bien davantage les importunités de leurs enfants que les enfants les leurs ? Quand un fils tape, crie, insulte, répète quelque chose, cela ne ressemble-t-il pas, eu strictement égard au Droit, à : coups et blessures, traitements dégradants, harcèlement moral ? Certes, on n’instruirait pas facilement de pareils procès dans notre actuelle société du bon sens, mais si une simple fessée s’y changeait en crime, que deviendrait un hurlement prolongé plus d’une heure sous un prétexte puéril ? Qu’on songe à cela, et l’on conçoit que nos enfants ne seront bientôt plus à l’abri des tribunaux pour toutes les bêtises et toutes les gênes qu’ils occasionnent quotidiennement.

Mais enfin, d’où cette obsession est-elle donc partie ? Voilà : un jour, dans quelque pays nordique aux mœurs bien différentes des nôtres, un gouvernement a voulu tenter une expérience légale : depuis, toute l’Europe prend cette idée en exemple, pour des raisons d’une intolérable mièvrerie et parce qu’il faut bien, quand on est député, sénateur ou quelque autre chose de cet ordre, se donner des airs d’archange ou de législateur de vœux pieux : vraiment, toutes ces hypocrites postures sont insupportables, et plus insupportables encore si elles procèdent non de l’hypocrisie : de la bêtise ! C’est oublier que nos nordiques exemples commencent à se repentir de leur expérience, et que, notamment, les nourrices et les baby-sitters y sont de plus en plus chers et difficiles à trouver, faute de pouvoir supporter des enfants que leurs parents élèvent d’une façon si bénigne, c’est-à-dire à la fois sans dureté et – sans conséquence.

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Commentaires
I
Je crains de ne pas comprendre ce que vous entendez par la réciprocité du civil et du pénal. En France, il peut y avoir de réciprocité : les choses ne vont que dans un seul sens, puisque le pénal tient le civil en l'état.
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