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Henry War
24 août 2019

La présomption d'innocence n'existe pas

On connaît ma passion pour traquer les formules creuses, les expressions vides et tous les proverbes banaux qu’on croit servir à alimenter une morale populaire qui est en vérité l’exact contraire d’une sagesse et même d’une réflexion propre et véritable. Or, j’ai trouvé récemment, en entendant M. Macron parler une nouvelle fois de « présomption d’innocence » à l’attention des détracteurs de M. de Rugy, qu’il y avait dans cette formule un comble de bienséance insensée – de cette mièvre sotte qu’on entend beaucoup en politique – qui suffirait, si le peuple était assez sage, à porter l’opprobre définitive sur tous ceux qui l’utilisent notamment dans cette acception si « premier degré » de « accusé peut-être à tort, patienter longtemps je vous prie ». Il s’agit en l’occurrence, dans le doute du bien-fondé d’une accusation portée contre quelqu’un, d’admettre d’autorité que cette personne n’a pas commis la faute dont on l’accuse, procédé pratique quand on veut qu’une faute improuvée ne soit même pas considérée par l’opinion, et lorsqu’on sait que chez soi la justice met tant de temps à statuer qu’une fois la faute vérifiée, l’opinion sera à cinq ou dix années de se soucier de l’affaire en question. La présomption d’innocence, dans une société comme la nôtre, n’est rien qu’un mécanisme de perpétuel oubli de la culpabilité des personnes notamment publiques qui veulent faire oublier leurs saletés et toutes leurs odieuses manigances.

D’ailleurs, notez qu’on n’invoque guère cette présomption pour les délits et crimes des gens ordinaires : elle ne vaut qu’en présence de la presse et pour les médias, et c’est seulement un moyen artificiel de faire retomber la pression des foules, un truc d’avocat bien rémunéré en somme pour adoucir un jury ou un juge qui peut être tenté de suivre les préventions de l’opinion majoritaire.

Cet argument d’autorité de l’innocence présumée, j’ose le dire, ne vaut absolument rien pour un individu véritablement capable de jugement : une subjectivité n’attend pas qu’une cour solennelle, et particulièrement un tribunal français avec son lot de procédures et d’absurdités insaisissables, ait prononcé un verdict pour se former un avis d’innocence ou de culpabilité. Un esprit peut douter, mais il lui est impossible de rester neutre et, notamment, favorable d’office vis-à-vis d’un accusé : ou bien il se moque de l’affaire, ou bien il en tire assez d’informations pour s’en extraire une opinion, ne serait-ce qu’en estimant la probabilité du délit ou du crime. On n’arrête pas les développements et représentations d’une intelligence avec des « Il faut que vous ne pensiez pas… » : cette censure formelle ne passe pas la frontière de notre boîte crânienne ; « Cet homme, se dit-on, est coupable ou innocent, en revanche il n’est pas forcément innocent ».

C’est d’ailleurs une absurdité aussi lexicale que conceptuelle d’admettre qu’un homme est innocent parce qu’un juge ne l’a pas condamné : cette considération est d’une grande bêtise, de tous points de vue. D’abord, nous savons que bien des méfaits sont commis quotidiennement qui ne sont pas punis, et c’est la raison pour laquelle nous n’appliquons pas la présomption d’innocence dans nos vies ordinaires : je sais que ma fille a menti l’autre jour quand elle a prétendu s’être lavé les dents, et je me suis arrogé le droit de la juger coupable, sans passer par aucune cour ; je n’ai eu besoin d’aucune parole ni d’aucun acte officiel pour me le permettre. Mais surtout, qu’on songe bien à ce que c’est qu’une sentence dans un procès, et l’on verra qu’il y a une incohérence chronologique à appliquer la présomption d’innocence : car au moment où une instance prononce un verdict de culpabilité, il faut entendre en toute logique que l’accusé était bien coupable dès le moment où il a commis son méfait, par conséquent il n’était pas innocent durant son procès, et une présomption contraire eût été faite à l’encontre de la vérité ! Faut-il donc se forcer à l’illusion pour être démentie ensuite pas un verdict, et doit-on se forcer avoir tort pour instruire un procès équitablement ?

On prétendra sans doute que cette formule de la présomption d’innocence est avant tout une façon de protocole légal et pas du tout un concept de portée psychologique ou véridique et qui serait applicable en cela aux esprits ou à la réalité des faits, en somme qu’elle est un principe plutôt théorique que pratique de nature à ne point mettre en danger la défense de l’accusé qu’on pourrait forcer, autrement, à prouver son innocence, ce qui est la plupart du temps impossible, au lieu de démontrer que sa culpabilité n’est pas prouvée. Et cet article dirait, en substance : « L’accusé n’est pas reconnu coupable avant d’être jugé » ; je n’ai aucune objection à cette formulation, mais de là à dire que l’accusé est innocent ou présumé tel ! Eh non, il ne l’est peut-être pas, et force est de reconnaître que, des deux côtés du tribunal, il est au moins un parti qui n’est pas de cet avis, et c’est celui de l’accusation : faudra-t-il forcer par exemple le parquet à s’adresser autrement à l’accusé que comme un coupable probable ? C’est absurde ! Et pourquoi porter plainte contre un individu sans la conviction de sa culpabilité ? On voit bien qu’au sein d’une cour de justice, cette présomption ne peut même s’inscrire au sein d’un protocole logique et institutionnel, car il faut bien que l’accusation, au moins, soit persuadée de la culpabilité de l’accusé !

Me reprochera-t-on d’ergoter sur des détails ? De jouer au plaisant et de faire dans la minutie excessive ? Qu’on m’explique alors comment une enquête pourrait être menée utilement avec l’effet tangible de la présomption d’innocence : « d’innocence », notez bien, pas « d’incertitude » ! Il faudrait alors que tous nos experts, médecins légistes, témoins, partent de l’a priori qu’il n’y a pas de coupable, qu’on présume tout le monde innocent par exemple d’un meurtre qui a été commis, puisqu’il faut que repose universellement cette prévention favorable : mais comment réaliser concrètement un tel paradoxe ?! Le meurtre par définition suppose une culpabilité, cette culpabilité implique un assassin, et, pour le trouver, il faut nécessairement suspecter quelqu’un, et même tout à tour, bien souvent, plusieurs individus : or, qu’est-ce que la suspicion sinon une présomption provisoire de culpabilité ? J’aimerais bien voir un jour qu’un avocat arguât un vice de forme en faveur de son client, déclarant que la présomption d’innocence ne lui a pas été respectée au prétexte qu’il a subi un interrogatoire et que cet interrogatoire induit qu’on a estimé son client (potentiellement) coupable du crime en question ! Aucun avocat sérieux ne s’y risquerait, parce qu’il sait en réalité qu’au sein de la procédure légale cette présomption d’innocence n’est qu’une tournure formelle et ne veut rien dire ! Et la meilleure preuve de cela, c’est que la procédure provoque souvent la détention provisoire de l’accusé et diverses autres interdictions de déplacement par lesquelles on démontre qu’on se tient dans un doute qui, certes raisonnable et nécessaire à l’enquête, n’est d’emblée absolument pas favorable à celui qu’un proverbe tâche d’établir à toute force innocent. Qu’on y réfléchisse : qui en userait ainsi avec un innocent en l’obligeant à rester en prison le temps de l’instruction ?

Alors quoi ? Une question théorique perdure : un accusé est-il coupable ou innocent ?

Innocence et culpabilité sont deux états opposés qui, dans un système de connaissance binaire, s’excluent mutuellement : on ne peut, en effet, être à la fois innocent et coupable d’un motif précis dont on est accusé : si l’on remet in fine un verdict de culpabilité, il faut admettre que le prévenu n’était pas innocent depuis l’accomplissement de son méfait, et par conséquent, puisque la justice se soucie avant tout de vérité, elle ne doit forcer personne à prétendre – ou à avoir prétendu – le contraire.

Toute la difficulté se situe évidemment dans la révélation et les moyens de preuves dont on dispose alors pour établir les faits, mais ceci constitue un cheminement plus ou moins long au cours duquel la justice n’a pas statué… mais l’absence de verdict ne signifie même pas en vérité que l’accusé était innocent ! D’ailleurs, si ce dernier avoue dès le départ son méfait et « plaide coupable », devra-t-on le considérer encore innocent jusqu’à la sentence et s’obstiner à la défendre en ce sens ? Absurde ! Et d’autant plus – suivez-moi bien – que sa peine sera amoindrie en raison même de son aveu, c’est-à-dire en proportion de ce qu’il se déclare coupable et collabore en tant que coupable : autrement dit, dans la plupart des systèmes judiciaires, le juge tient compte de la culpabilité pré-reconnue de l’accusé pour adoucir son châtiment… mais on voudrait que ce juge admît que cet homme qui s’accuse est innocent ? On voudrait donc qu’il considère a priori l’accusé comme… un menteur ? Exigera-t-il alors que celui-ci se taise, au nom d’un principe « fondamental » qu’il tiendra à conserver ? Et comment atténuera-t-il sa peine alors, et sur quel fondement ?

La solution est simple : puisque la présomption d’innocence n’existe pas, autant ne plus en parler et cesser de ces gesticulations verbales qui ne servent à personne et qui blessent aux tréfonds de chacun la sagesse et l’esprit de conséquence, au point d’empoisonner l’intelligence de tout un peuple. Un accusé est ou bien coupable ou bien innocent de ce qu’on lui reproche, mais aucune présomption judiciaire ne doit s’appliquer en sa défaveur ou à son avantage : simplement, cet homme est, suivant la procédure, mis en devoir de s’expliquer. C’est de ces explications plus ou moins convaincantes que naîtra logiquement une présomption, favorable ou non. Mais le législateur qui, comme d’habitude est très loin d’être lexicographe, et encore plus d’être philosophe, a oublié, suite aux pressions de l’histoire auxquelles il a succombé et dont il devrait, justement, se prémunir, qu’une présomption n’a rien à voir avec un état légal. La meilleure preuve de cela, c’est qu’on doit pouvoir présumer même de la culpabilité d’un homme, et ne pas l’empêcher d’être libre tant qu’il n’a pas été jugé suivant les formes légales reconnues dans tel pays. C’est à côté de cette nuance que la loi, si évidemment, est passée : ah ! la honte de ceux – des imbéciles ! – qui professent encore, politiques ou avocats, cette stupide présomption d’innocence, si vide de sens et inutile à tous !

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