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Henry War
1 septembre 2019

Timbré !

Prétendre que La Poste est « une société anonyme à capitaux publics » depuis 2010 et qu’elle serait donc devenue une entreprise soumise à la concurrence revient presque exactement à dire que votre cœur constitue aussi une entreprise indépendante échappant à une situation de monopole déloyale. Certes, en théorie, rien ne vous empêche de recourir aux services d’autres cœurs que le vôtre, seulement, il faut reconnaître que ces autres cœurs n’existent guère tout à disposition, et qu’on ne peut pas, littéralement, vous les greffer sur simple demande à la place de celui que vous avez déjà.

C’est l’ARCEP (pour : « Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes »), qui décerne les autorisations de mise sur le marché d’éventuels concurrents : or, il s’agit d’une « autorité administrative indépendante », mais alors là, si indépendante que vous ne le croiriez pas : sur ses sept membres, trois sont désignés par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée Nationale, et les deux derniers par le président du Sénat. On suppose donc tout conséquemment que ces sept individus sont entièrement libres de leurs jugements et n’ont de compte à rendre à personne – d’où le mot : « Indépendante » : et l’on sait qu’un mot ainsi affiché ne peut mentir (cf. La République « démocratique » du Congo).

C’est, comme j’ai dit, l’ARCEP qui permet des concurrents à La Poste, et on ne saurait lui reprocher de faire malhonnêtement son travail : ce serait un outrage et une injure scandaleux. Elle n’a, comme on le voit, absolument rien à voir avec l’État et c’est tant mieux. De la sorte, on ne peut absolument pas dire que la situation commerciale de La Poste bénéficie d’un régime de faveur. Non, on ne peut pas ! D’ailleurs, La Poste a des concurrents nationaux. Enfin, un concurrent national. Certes, on peut juger étrange que ce concurrent – Adrexo (?) – ne fasse de publicité nulle part, et c’est vraiment la seule entreprise postale au monde que personne ne connaît (mais est-ce bien la faute de l’ARCEP si le seul concurrent qu’elle a élu est d’une si grande discrétion ?), cependant ce concurrent existe bel et bien – si si ! Et non non, ce n’est évidemment pas une entité fictive montée de toutes pièces pour parer à une situation illégale quant au droit du commerce international : il vous en coûterait d’avancer une telle calomnie, et vous risqueriez beaucoup d’un procès en diffamation. La meilleure preuve de l’honnêteté de tout cela, c’est que, ayant demandé par moi-même un devis sur le site d’Adrexo il y a six mois pour savoir combien il coûterait d’envoyer une lettre à mon voisin d’en face, on m’a assuré que toutes les ressources humaines et technologiques de l’entreprise planchaient actuellement d’arrache-pied sur cette épineuse question. A priori, j’aurai une réponse avant la fin de l’année prochaine, et c’est bien la démonstration qu’il y a quelqu’un pour considérer ma requête, tout sceptique en diable que vous soyez ! Si le courrier que je désire expédier par leur intermédiaire est un faire-part de naissance, il faut juste que j’attende leur estimation pour concevoir un bébé, rien davantage : à force d’insistances de ma femme, je lui ai promis un bon coup pour février-mars 2021.

(Ce que je dis ici d’Adrexo, on l’a compris, est très légèrement exagéré, mais je vous défie tout de même d’obtenir de cette entreprise une simple estimation d’un envoi de courrier unique : Adrexo ne semble pas travailler avec des particuliers, n’effectuant apparemment que des devis pour des expéditions en gros – mais comment l’ARCEP a-t-elle pu, à telle condition, l’estimer un concurrent fiable de La Poste ?)

Donc non : La Poste ne se situe pas du tout en position de monopole, d’accord ? Celui qui affirmerait une telle chose aurait menti et serait un dangereux criminel passible de toutes les poursuites judiciaires imaginables. Avez-vous compris ? Bien. Et comme chacun entend que dorénavant le marché seul détermine les prix à la baisse de ces concurrents-là – puisque marché il y a et avec quelle quantité de rivaux ! –, c’est… encore l’ARCEP qui a charge de fixer le montant maximal des hausses, comme c’est évidemment le cas dans toute bonne compétition de concurrence loyale ? (Que dites-vous ? Non ? ça ne fonctionne pas ainsi, d’habitude ? Mais taisez-vous donc, vous n’y connaissez rien, imbécile !) Or, puisque c’est l’ARCEP qui s’en occupe, et comme il s’agit – mais pourquoi faut-il vous le répéter ? –, d’une autorité absolument indépendante et vraiment mais beaucoup très neutre, le tarif de La Poste augmente environ très exactement du maximum chaque année, mais c’est sans contredit possible et en toute normalité.

Ce maximum est tolérable, de surcroît : 5%.

Et ce 5% n’est pas du tout une arnaque comme d’aucuns médisants l’affirment, ça non, je vous défends de prétendre une telle chose, odieux personnage que vous êtes toujours tenté d’être : c’est qu’il s’agit de 5% en moyenne sur l’ensemble des prestations de La Poste, et donc il n’y a pas d’erreur, ce chiffre est respecté. Par exemple, si la prestation intitulée « assurance supplémentaire pour envoi de valeurs spéciales » n’augmente pas ou même diminue (ce service existe bel et bien, même si personne ou presque ne l’utilise), il est à mettre dans le même lot que le timbre prioritaire ou vert, et c’est la moyenne des modifications de tous ces tarifs qui ne doit pas excéder 5% de hausse. Donc, en vérité, ces deux timbres justement vont augmenter de plus de 10% en 2020 : et c’est légitime puisqu’on vous explique que tout est encadré et que c’est 5% sur l’ensemble des services !

Ceci dit, La Poste ne réclame par n’importe comment et pour son seul plaisir et par cupidité : pour justifier cette hausse, elle doit remettre à l’ARCEP un rapport annuel, parce que chacun sait en France que sans documents de synthèse et ressources chiffrées on ne fait pas une belle bureaucratie propre et respectable – et c’est par ce rapport qu’on voit que La Poste est une entreprise noble, sérieuse et tout à fait comme les autres : voici une société de grand capitalisme, une firme de bonne et louable concurrence, bien avide de marché et de compétition, qui déclare que, puisque son volume courrier est nettement à la baisse, elle doit… hausser ses tarifs ! C’est très fort ! Il y a là-bas des managers et des requins de la vente d’une astuce, vraiment, remarquable, si remarquable même qu’on ne les rencontre nulle part ailleurs ! C’est sans doute la manière de toute bonne entité du CAC 40, lorsqu’elle est en difficulté sur un secteur, de rendre au client ce secteur encore moins attractif en lui faisant plus inaccessible le service qu’il convoite. Il y a de la technique inattendue là-dedans : on ne voit rien venir, ces dirigeants ont certainement plus de mille ans d’avance sur le sens du commerce ordinaire, et c’est au point que notre époque, si piètre et rétrograde, est incapable de les comprendre !

Cette hausse, officiellement, doit servir à compenser les frais de gestion incompressibles liés au traitement et à l’acheminement du courrier. Justification crédible, franche, louable en quelque sorte, et syllogisme parfait : si le volume de courrier diminue, les rentrées diminuent, donc il faut augmenter le prix du courrier pour atténuer le manque à gagner. Et puisque dans le même temps le volume de colis augmente, quant à lui…

…le prix du colis augmentera en moyenne de 2% l’an prochain. Parce que.

Mais tais-toi, lecteur ! tais-toi donc ! tu n’y connais décidément rien. On t’a dit : « Parce que », et quelle raison as-tu de ne pas vouloir t’en tenir à cela ! Es-tu seulement moitié aussi compétent que les conseillers commerciaux de La Poste ? De quel diplôme te vanteras-tu pour parler à tort et à travers comme tu fais ? Et est-ce qu’une entreprise de « libre marché » est en devoir de justifier ses prix ? Par ailleurs, puisque l’ARCEP elle-même a accepté cette hausse, c’est bien le signe qu’absolument tout est conforme, puisqu’il s’agit d’une autorité totalement impartiale etc, etc.

Mais on peut, à ce prix, être satisfait de La Poste, sans doute, ça oui. Certes, nous avons tous plus d’une anecdote à raconter au sujet d’un courrier étrangement endommagé, ou perdu, ou arrivé en-dehors de tout délai vraisemblable ; tous, nous avons rencontré quelque bévue pardonnée tôt ou tard faute d’y pouvoir quoi que ce soit : oui, tous, absolument tous ! Et si l’on veut grogner et se plaindre comme c’est une fâcheuse coutume dans notre pays, on dira qu’on ne se figure pas ce qu’il y a de si compliqué à transporter du courrier intact d’un point A à un point B en un temps donné. Mais c’est qu’en vérité, et je l’ai appris tout récemment, nos lettres sont manipulées à dos de cheval par des serviteurs royaux qui les placent avec zèle sous leur plastron pour se prémunir des malandrins et autres bandits de grands chemins. C’est donc bien, ô tristes et perpétuels mécontents, au prix d’existences humaines que vos épîtres traversent la France, et vous devriez plutôt en remercier ces gens trépassés pour remplir leur charge fidèle, au lieu de geindre parce que le papier qu’ils avaient contre leur cœur a disparu avec leur vie.

Mon anecdote, à moi, la voici – et l’on verra que je n’avais pas tant lieu de protester comme je fis :

Il y a plus d’un mois, avant la naissance de mon troisième enfant, mon épouse jugea que la mode des faire-part n’était encore pas tout à fait morte, et nous nous y sommes pris de façon à disposer au préalable des cartons pour pouvoir les envoyer au plus tôt, en y joignant trois petites photos imprimées du nouveau-né. L’accouchement eut lieu un vendredi : expédiai lundi matin, afin de faire connaître la nouvelle aussitôt ! Guichet en Sarthe, je demande des timbres prioritaires pour ces courriers qu’on pèse, on m’en fournit des verts – je suppose, dans l’instant, que l’employée ne s’est pas trompée parce que j’ai parlé bien fort et qu’elle doit signifier de cette façon que les délais d’acheminements sont peu ou prou identiques –, puis je colle ces deux timbres (deux) sur chaque enveloppe (il y en a presque soixante, mais ce sont des timbres autocollants, alors je n’use guère ma salive qui, comme on le voit ici, m’est utile pour bien autre chose, sans parler du reste), et je donne à la guichetière, content, confiant, radieux.

J’attends dès lors les félicitations d’usage de mes correspondants… mais qui tardent curieusement à venir. Au bout d’une semaine, c’est à peine si sept personnes m’ont répondu (et ceci, pour une fois, n’a rien à voir avec mon caractère). Je patienterai encore pour constater… que la moyenne du délai d’acheminement sera de neuf ou dix jours (le site internet de La Poste prétend deux, il n’a sans doute pas été renouvelé depuis la récente guerre civile qui entrave sur notre territoire, comme chacun sait, son bon fonctionnement). Quinze jours après l’envoi initial, une amie de ma femme, à qui le courrier a pourtant été expédié comme les autres, lui demande… comment se passe la grossesse : elle recevra le faire-part encore deux jours plus tard ! Et ne savez-vous pas ? La Poste certifie n’avoir aucun engagement contractuel quant aux délais d’acheminement du courrier, aucune obligation en somme, et comment pourrait-il en être autrement ? Est-ce sa faute à elle si nous connaissons des tempêtes de neige, des volcans en éruption, des monstres féroces dans les forêts et toutes sortes d’insolents royaumes à péage par lesquels il faut passer pour se rendre du nord Sarthe jusqu’à Tours ? Ce que vous envoyez aujourd’hui peut arriver à destination dans six mois ou même davantage, La Poste ne vous doit rien si vous n’avez souscrit qu’à l’achat d’un timbre, et quel que soit le timbre : voilà un règlement juste et humain, ô futiles exigences que vous constituez !

(Imaginez la même chose appliquée au transport : « Oui, Madame, de Paris à Marseille c’est en principe un avion direct, mais, en l’occurrence, il y a eu maintes escales imprévues dont nous n’avons pas à nous justifier, par conséquent il a fallu dix-sept jours pour vous amener à destination, mais de quoi vous plaignez-vous donc, Madame : n’êtes-vous pas arrivée ? Quoi ? vous ignoriez que nos délais ne sont pas contractuels ?! »)

(À ce sujet, en cet instant même : souvenir fulgurant d’un chèque envoyé par courrier à une entreprise de déménagement qui réclamait cette caution pour réserver la date prochaine. Au bout de deux semaines, sans nouvelle de ce destinataire, j’appelle : on n’a rien reçu. Il faudra que je renvoie un second chèque, et l’entreprise me promet de déchirer le premier quand elle le recevra, sitôt qu’elle m’en aura confirmé réception. Plus de dix ans ont passé : j’attends toujours cet appel avec fébrilité, mais je crois que le messager est décédé, et je ne puis m’empêcher de prier pour lui, où qu’il soit sur les chemins de France entre Provins et Châteauroux !)

Mais le chevalier La Poste fait encore mieux avec ses colis : à condition de ne pas se plaindre qu’ils soient plus ou moins défoncés, piétinés, exterminés et anéantis pendant le voyage, ils seront, je vous le garantis, acheminés en peu de temps. Je dispose à ce sujet d’une autre anecdote amusante. Je possédais il y a cinq ans environ un évier d’occasion à vendre, chose lourde et encombrante, double vasque en composite imitation granite, et j’y trouve alors un acheteur qui demande s’il est possible de lui expédier. Je m’apprête à lui rendre un refus, mais, par acquit de conscience et par curiosité, je vais tout d’abord à mon bureau de poste : comble de surprise, on m’apprend là que cet évier massif peut s’expédier par Colissimo – je n’en crois pas mes oreilles, demande qu’on me répète l’information, qu’on la fasse confirmer par un légat, préfet ou autre représentant officiel : oui oui, le format est tout juste bon.

J’expédie, frais d’envoi prépayé à charge du destinataire. Un colis très soigneusement préparé, avec vraiment tout ce qu’il faut pour amortir les chocs – mais c’est à peine utile compte tenu de la solidité de l’objet. Même, je parachève l’emballage dans le bureau de Poste de façon, tant je suis obligeant et plein de sollicitude, qu’on puisse in extremis trouver des objections à cet envoi. Mais d’objections, point. Tout est parfait.

L’évier arrive cassé, la paillasse entièrement détachée de la vasque – quelques solides brigands, semble-t-il, gaillards des plus vigoureux et brutaux, ont durement molesté le coursier dans sa diligence, et très certainement avec une sorte de masse ou quelque arme approchante et très lourde. Le destinataire m’appelle pour savoir ce qu’on peut faire ; je l’invite à m’envoyer par mail des photographies de l’objet brisé, et en contrepartie je le rembourse aussitôt. Je me rends dès le lendemain à La Poste, inquiet pour ces employés soigneux qui ont affronté toute une bande si cruelle, et je demande à tout hasard, puisqu’une garantie contractuelle est en usage sur les colis, quelle est la procédure ordinaire : une enquête sera menée, me dit-on, dont on me fournira les conclusions dès que possible.

L’enquête, très courte et sans tous les détails terribles et traumatisants qu’on veut sans doute m’épargner de l’agression sanglante et meurtrière (pour ainsi dire « expédiée » elle-aussi) détermine et m’informe que tout est normal, que tout s’est passé sans encombre et que je ne puis prétendre à rien d’autre que cette information.

J’en suis rassuré, quoique troublé de contradictions, et j’interroge s’il existe un service de contentieux qui m’indiquera où je pourrais me rendre au chevet des blessés qui, par ma faute entre autres, ont été si violemment pris à partie et probablement hospitalisés (je donne peut-être l’impression d’exagérer, mais il fallait voir, aussi, rien que par photos, l’état déplorable de cet évier !) : on me répond que c’est justement ce service qui a effectué l’enquête, et qu’on ne tient pas particulièrement à ce que j’aille remercier les facteurs en question. Oui, mais n’existe-t-il pas un autre recours ? car moi, j’y tiens quelque peu. Le Médiateur de La Poste existe, que l’on peut saisir. Je saisis donc cet homme qui veillera à ce que justice soit rendue et les employés héroïques dument récompensés de leur bravoure. J’envoie tous les documents que ce haut émissaire me demande et qui, fort obligeant, reconnaît dans un rapport circonstancié de plus de deux pages qu’il y a manifestement une responsabilité engagée de La Poste dans cette avarie – moi qui ne désirais que compatir au sort de quelques malheureux !

À la parfin, pour cet évier d’occasion, La Poste m’octroie, je crois, la somme cent-vingt euros au titre des dommages et préjudice ; et moi, m’abstenant évidemment de révéler que je le vendais cinquante euros pour m’en débarrasser, je ravale mon déshonneur et empoche l’argent ! Ah ! suis décidément un si mauvais sujet ! Et voici, comme on le comprend à présent, la raison d’être de cet article : ma confession nette et entière, et le soulagement de ma conscience. Je vous remercie d’y avoir contribué : tout le reste, hormis moi, est sans tache ni défaut, comme c’est la règle dans notre si beau monde.

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