Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
28 septembre 2019

Jacques Chirac "le sympathique"

Jacques Chirac était un chef d’État très humain, à ce qu’il paraît, un type vraiment très agréable et simple, un modèle de décontraction, pas du tout bégueule et qui mangeait bien c’est-à-dire beaucoup ; voilà ce qu’on retient de lui… ce qui revient à dire qu’il serrait de grandes quantités de mains avec une rare illusion de franchise : est-ce qu’on s’imagine donc que cette faculté d’illusion est une vertu ? Ou bien admettez si vous préférez qu’il était vraiment détendu, et mesurez si cette détente, c’est-à-dire cette sorte de légèreté, est véritablement ce qu’on doit admirer chez un chef d’État. Vraiment, il faut apprécier ce compliment d’une Nation à sa juste valeur, Nation qui estime la qualité d’un homme politique à l’image de sympathie qu’il a su rendre : si c’est à ça qu’on juge la grandeur, pas étonnant que plus personne ne s’efforce d’y prétendre ! Voyez comment toute une postérité se range à une apparence, et pas même une apparence de grandeur ! cela dissuade d’emblée, sur la base d’un public si médiocre, de toute velléité de gloire !

Voilà : Jacques Chirac avait l’air proche des gens, et il y en a même qui disent qu’à la seconde entrevue, Monsieur le Président avait retenu leur nom (certes, ils ne sont pourtant pas nombreux). Mais est-ce que les Français, en plus d’être aveugles et partiaux, sont sourds au point de n’avoir jamais entendu dans ses interviews la manière affectée dont toutes les liaisons de M. Chirac étaiente… euh… si savamment anticipées, en somme le contraire d’un langage spontané ? Je ne vois pas comment son attitude n’aurait pas été calculée à l’avenant, et jusqu’à ces fameuses apparences de détente, sauf à se figurer une discontinuité qui ne se rencontre que chez des psychologies pathologiques et particulièrement inquiétantes – je ne prétends pourtant rien de tel s’agissant de M. Chirac. Par ailleurs, toutes les rétrospectives sur lui renvoient, je trouve, à des non-événements et à de la non-histoire où tout est résolu par des mécanismes semi-automatiques et très peu par des individus, sans parler des anecdotes stupides qu’on adore ressasser par goût des indiscrétions si possible vulgaires, et des témoignages truffés de paradoxes où, derrière un compliment veule qu’un politique complaisant croit encore rendre, transparaît au revers l’exagération pour flatter ou par espoir de retour, ou, pire, un défaut grave tourné en légèreté.

Drôle ! C’est à peine s’il est besoin d’être hypocrite avec les Français : suffit d’être normal, simple, bête comme eux ! C’est poisseux comme tout, au fond, un Français ; ça veut élire des bonasses qui leur ressemblent, de gentils copains affectueux – on appelle ça « humain ». Ça refuse de se mettre en position d’admirer, c’est-à-dire de contempler ce qui est au-dessus.

J’ignore pourquoi les gens sont si nostalgiques de M. Chirac, ou plutôt je crains de le comprendre ; c’est qu’ils se rappellent plutôt l’époque qui va avec, une époque d’insouciance et d’irresponsabilité, d’enfantillages décomplexés, comme on se souvient avec tendresse de sa jeunesse imbécile et folle. Tous les présidents de cette période n’avaient guère d’inquiétude à se faire : insoucieux de toutes les dettes – nationale, systémique, écologique… – ils ont bâti facilement leur succès (du) plastique sur des dettes et des enjeux insignifiants : fracture sociale, sécurité routière, guérison du cancer… autant de slogans pour Miss Univers, à peu près, où l’allure, c’est-à-dire le corps, comptait même davantage que les faits. Et, toujours, c’est à la fin, au moment ultime, qu’un sursaut leur est venu, mais vraiment on n’y pouvait plus rien, ou alors il aurait fallu être réélu, pareil à une conscience qui jaillit quand l’acte mauvais est déjà commis : cessons donc ces essais nucléaires que nous avons rétablis (ce dont nous on n’avait guère envie et guère besoin), ou instaurons d’office une limite à 3% des déficits après y avoir largement contribué (ce dont on avait fort envie mais point besoin). Ça n’a pas l’air de savoir ce que ça veut, mais ça sourit fort, ça touche des culs de vache et ça boit en abondance : il n’en faut pas davantage, les témoins en sont tout fiers, ils ont eu l’impression d’un ami drôle – et un président à votre portée, ça vous donne tout à coup la sensation d’être vous-même quelque chose comme un président ! Il faut vraiment un piètre amour propre pour se sentir flatté d’avoir seulement frôlé quelqu’un, fût-il un homme politique ! N’importe : aujourd’hui et pendant des semaines, on signe des registres de condoléances : est-ce qu’on pense vraiment que quelqu’un lira un jour ces cahiers qui vont encore encombrer des salles d’archives pour des siècles et nous coûter de l’argent ? M. Martin, je ne pense réellement pas qu’on ira déterrer votre pitoyable grafouillage comme on l’eût fait s’il s’était agi de M. Lamartine ou de M. Hugo : c’est qu’auparavant il aurait fallu démontrer que vous étiez quelqu’un, que votre prose valût quelque chose ; or, d’individu : point, mes excuses ! Je suis franc moi aussi, mais puisque vous dites que vous aimez ça… (Certes, c’est pourtant une autre sorte de franchise, j’en conviens.)

On fait, dans notre pays, grand cas apparemment des gens qui sont morts, mais c’est surtout pour flatter sa propre vie et cultiver sa nostalgie, en croyant se rappeler quelque temps de sa propre apogée. Je dirais même davantage : c’est que si on loue et célèbre les défunts, ce n’est pas principalement par respect idiot des usages funèbres, ni même par admiration sincère, mais c’est parce que, dans notre société du divertissement, il faut de ces moments où l’on se croit des occupations importantes, aussi futiles soient-elles en vérité : on se crée alors de toutes pièces des émotions factices et accessibles parce qu’on en manque dans l’existence et qu’on s’ennuie ou qu’on s’embarrasse de se trouver si inhumain ; on suit alors des événements officiels et tout organisés faute de pouvoir repérer les événements de sa propre vie. On se figure pleurer autrement qu’à blanc, on se suppose une action quand on s’est contenté de suivre quelque défilé au même titre qu’un chrétien se pense agir de toute sa force quand il prie, et, finalement, on en revient toujours à quelque idée pauvre et grégaire, faite uniquement pour se rassurer d’être : Jacques Chirac était un bon président, parce qu’il avait l’air sympathique, n’ayant alors, comme chacun à cette époque où tout était au propre comme au figuré sans gravité et sans qu’il soit besoin de la moindre philosophie, le souci de rien.

Publicité
Publicité
Commentaires
V
Rien à redire de cela. Tout est exact. <br /> <br /> <br /> <br /> (Puis-je oser dire qu’au moins, Mitterand, lui, écrivait bien? Oui, je sais, pas j’en qualité de Président de la République. C'est secondaire sans doute. M’en fous. Je l’ai lu: il écrivait bien!).
Répondre
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité