Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
15 octobre 2019

Je ne comprends rien à la guerre

Je ne comprends rien à la guerre, je l’avoue. Je dois être un homme trop concret. Mon tempérament sans rancune ne m’y aide pas, pas davantage que mon souci constant de tout faire par moi-même ou que ma propension à la philosophie qui me rappelle toujours au dérisoire de la vie à laquelle j’attache, pour ainsi dire, si peu « d’insistance ».

L’idée du crime ne m’est pourtant pas étrangère, ça non : je veux bien tuer celui qui me gêne, qui outrepasse contre moi ce que j’estime mes droits élémentaires – vie, bonheur, liberté, principalement –, ça ne m’impressionne pas, nul inconvénient : cela est juste. Le mètre de ce qui est légitime, ce que je m’admets donc comme légal, c’est ce que je crois, étant moi-même la mesure de tout ce que je pense et vis. Le jour où j’en ai vraiment assez, j’assassine. Ma liberté d’esprit, même en prison, vaut mieux que la frustration de mon enfermement mental. Quand je ne suis pas d’accord, je le dis, après quoi, lorsque la pression devient trop forte, je le montre. J’aime mieux mourir vite de mon refus exprimé que feindre d’accepter l’insoutenable et poursuivre ainsi longtemps l’agonie de mon existence. D’ailleurs, je le répète, je ne tiens guère à la vie : c’est par ce bout-là uniquement et nul autre que je puis me sentir supérieur.

Heureusement, je relativise aussi facilement : il faut bien, compte tenu de l’insuffisance chronique du monde où nous sommes ! Le plus souvent, il suffit de se construire un rempart en soi-même, et de ne pas déloger de cet abri avec donjon élevé qu’on continue d’ériger en silence à l’intérieur de douves et d’épaisses rangées de murs. On ne vient pas vous chercher là-dedans ; personne ne vous y dérange… pour l’instant.

Mais c’est à peine si je puis entendre le concept d’une armée, et moins encore celui d’une armée extérieure – il est vrai que je ne tiens pas du tout à l’extension de mes frontières, au propre comme au figuré (je veux dire que je ne suis pas prosélyte). C’est qu’il me semble naïvement que la meilleure arme contre l’envahisseur, c’est l’envahi lui-même, le citoyen, le résistant (aussi bien qu’on lutte intérieurement contre une idée, pour prolonger le parallèle). Or, c’est là que je suis trop concret. Il faut que je m’explique.

Il ne me paraît point nécessaire d’entretenir tant de chars, de munitions et de moyens militaires de toutes sortes si l’objectif n’est que de résister à un ennemi. Si, après son incursion quelque part hors des limites de son pays – invasion qu’à mon avis il est toujours inutile d’empêcher – son joug est insupportable à ceux qu’il oppresse, il suffit que le citoyen prenne un pistolet, le braque sur le premier soldat qu’il croise et tire, et le voilà débarrassé d’un envahisseur. S’il s’y prend bien, il peut même en supprimer au moins deux ou trois avant d’être lui-même maîtrisé ou abattu – les terroristes qu’on a vus œuvrer sur notre territoire parviennent en général à de bien « meilleurs » résultats, et ils ne sont pas moins traqués que des citoyens ordinaires. Si ce rebelle ne veut pas être emprisonné ou torturé après son acte, il a toujours la ressource de mourir, n’importe quelle arme à feu pouvant servir tout aussi bien contre son utilisateur. Or, je ne connais aucune armée au monde qui puisse, à ce régime, se permettre la perte de deux ou trois de ses soldats contre un civil ennemi ; la proportion deviendrait vite insupportable. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi cette armée peu à peu décimée par de pareils assassins si indiscernables y pourrait quelque chose.

Évidemment, le citoyen peut aussi accepter l’envahisseur et y prendre son parti : c’est dans l’immense majorité ce qui se fait partout, y compris dans la France occupée de la Seconde Guerre Mondiale où la plupart des citoyens « circonspects » prirent leur mal en patience en attendant surtout de voir de quel côté le vent de la victoire allait tourner, pour se donner bonne image et bonne conscience. Ce citoyen-là, j’ose le dire, n’est pas proprement subjugué. S’il ne ressent pas la douleur des privations qu’on lui impose jusqu’à se résoudre à mourir, alors il s’adapte finalement d’assez bon gré. Le mal de l’invasion n’est pas si grand, et on peut supposer qu’il n’existe même pas du tout.

Le défaut de mon raisonnement, c’est que j’extrapole à partir de moi seul, par impératif catégorique, comme on dit : je me figure qu’il n’y a pas de souffrance plus grande que de devoir vivre dans un état de frustration et d’immoralité continuel et conscient, et qu’il doit en découler une contradiction intérieure dont la pression en soi est certainement insupportable – je me vois, en cet instant par exemple (exemple faible, j’en conviens, mais il n’est guère d’autres actes de résistance reconnu qu’en temps de guerre, notre paix si inconséquente me laissant plutôt blasé, en général), au moment où un formateur de l’Éducation Nationale, assisté d’un Inspecteur strictement vêtu, demande à la cantonade et au terme de huit heures de vacuité et d’importunité sidérantes s’il n’y a pas de remarque ou de question, et je sais comme je bouillonne alors, et je vois ma main fébrilement qui se lève malgré moi, pour mon plus grand mal administratif, tandis que tous se taisent et que je prépare mon poignard – verbal, certes, j’en conviens : un poignard uniquement verbal. Mais je parle et j’agis toujours conformément à mon sentiment avisé, et je m’imagine généreusement que les gens sont comme moi, qu’en individus ils expriment leurs convictions – mais les gens n’ont guère de conviction, voilà où je me trompe.

Pour revenir au principe très concret de révolte individuelle par laquelle la guerre me paraît une dépense inutile, on comprendra mieux, je crois, et ainsi que le peuple américain, ma propension à admettre comme fondamental le droit à posséder une arme à feu, qui constitue toujours l’ultime recours contre toute forme de gouvernement oppressif. Et j’estime encore que la meilleure chose à faire, quand on s’oppose farouchement à une ligne politique qu’on a démontrée attentatoire au bonheur et aux libertés individuels, lors même qu’on devine que tout moyen diplomatique a ou va échouer, c’est de tâcher d’exécuter celui ou ceux qui imposent sur nous leurs terreurs et leurs maux.

Voilà pourquoi la caractéristique essentielle de n’importe quel peuple exemplaire, à mon sens, est d’être comminatoire vis-à-vis de son gouvernement.

Ceci dit, je ne prétends pas que l’invasion en général, et l’allemande en particulier, soit par principe regrettable. On peut fort bien être gouverné par une législation étrangère, ou même n’y voir aucune différence, au point de s’y adapter sans préjudice. Je ne dirais pas, par exemple, que l’administration de Paul Doumer et celle d’Albert Lebrun sous une troisième République d’une forme assez peu démocratique, ait, même à l’époque, laissé un souvenir impérissable et noyé de regrets au moment de l’invasion nazie : avouez vous-même que vous ignoriez les noms de ces présidents d’avant-guerre – il est permis de croire, compte tenu du peu de rébellion des Français sous l’occupation germanique, qu’eux-mêmes ne s’en souvenaient pas très bien non plus. Une bureaucratie en avait remplacé une autre, et on espérait s’y faire, voilà tout, comme pour la précédente. L’envahisseur n’avait pas mauvaise réputation, à l’époque, et, sans front de l’Est ni débarquement américain, il eût pu advenir de la France le sort échu aux peuples d’Asie sous l’occupation romaine : un état de relative et équivalente liberté sous l’administration de gens qui, plus ou moins compétents à assumer leur rôle, parlent seulement un peu mal la langue du pays.

Publicité
Publicité
Commentaires
V
La raison d’être de l’armée, il me semble, n’est pas tant de résister à un envahisseur que de le dissuader. Mais j’entends! <br /> <br /> Quant à la possession d’armes, quand une loi nous paraît mauvaise, on la contourne.
Répondre
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité