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Henry War
1 décembre 2019

Agravelle, Maxime Herbaut, 2019

AgravelleC’est une expérience bien particulière que de critiquer un auteur qui vous lira sans doute. Je n’ai pourtant pas de scrupules à rendre compte d’un livre, étant toujours sûr de mes arguments et ne travaillant jamais par passion : j’ai mes critères que je sais expliciter, que d’aucuns trouveront peut-être contestables mais au sein desquels, sitôt admis ou concédés, on reconnaîtra que je ne dis rien de gratuit ou d’absurde. Je ne m’inquiète donc pas des duretés que je peux écrire et qui retomberaient sur des vivants. J’avais d’ailleurs, il y a quelques mois, presque éreinté une anthologie de science-fiction dont les écrivains auraient pu répondre : cet article, je ne sais pourquoi, est encore beaucoup consulté, c’est même l’un des plus lus, mais j’ignore par qui, et je doute que ce soit par les écrivains en cause. C’était un recueil destiné aux professeurs, et je suppose que certains d’entre eux prennent la peine de consulter ses critiques avant de le commander – c’est sans doute ça, ou bien il s’agit d’élèves eux-mêmes ou de leurs parents. Oui, après réflexion, il y a plutôt lieu de penser que ce sont ces derniers qui examinent, et souvent en râlant, ce qu’on leur demande de se procurer : mes commentaires leur donnent sans doute de la satisfaction de pouvoir décrier un professeur : mais pourquoi donc ne m’en remercient-ils pas ?!

En l’occurrence, je connais l’auteur en question, Maxime Herbaut, que j’ai découvert sur Wattpad – l’un des vingt meilleurs que j’y ai pu lire. J’avais été séduit par ses nouvelles fantastiques, aux univers d’étrangeté merveilleuse, dont le style indiquait non seulement un soin artistique rare (pour ne pas dire tout à fait anachronique), mais surtout une réflexion singulière, une sorte de féerie continuelle, symbolique et teintée de surréalisme, où la profondeur émergeait par surprise au milieu de lenteurs volontaires et contemplatives.

Mr Punxs – c’est ainsi qu’il faut l’appeler – n’avait alors qu’un défaut de plume : c’est qu’entraîné dans ses fantasmagories aussi obsédantes qu’affectionnées (il est, je crois, un auteur qui s’amourache vite de ses personnages), il ne savait pas terminer ses récits proprement et de façon suffisamment préméditée. Son esprit s’écoulait, pour ainsi dire, dans ses propres rêves écrits, dans leur contemplation, et il en perdait en quelque sorte le contrôle, ou, pour être plus juste, il n’anticipait jamais réellement d’en contrôler la plupart : cela venait, une fluidité comme magique s’emparait de l’idée, et il faisait, ainsi inspiré, à peu près ce que son intrigue lui commandait, sans plan préconçu. Le pantin du récit semblait finir par posséder les doigts censés le manipuler. Il est de ces auteurs qu’une fantasmagorie envahit et parvient à dominer. La fiction le porte plutôt que l’inverse – symptôme très intéressant d’un point de vue psychologique, très touchant. M Herbaut, je pense, est en matière de création un enfant irresponsable et fasciné : il s’étonne, s’émerveille et s’emballe de ce qui naît sous sa plume, après quelques préméditations et tâtonnements courts.

J’ignore « Inceptio », l’éditeur, capable de réaliser des couvertures si apéritives, et je m’en moque assez, comme d’habitude : ça semble un pourvoyeur de Fantasy, genre où l’on sait que le talent est rare et même plutôt déconseillé, étant rébarbatif à la sorte de public qui le lit ; mieux vaut ne pas « bien écrire » de la Fantasy, car c’est risquer d’échouer à vendre. La faveur qu’on continue d’octroyer à Lord Dunsany, à Tolkien ou à Lovecraft est une concession vraiment exceptionnelle, et il n’est pas question de la renouveler pour des modernes qu’on jugerait ainsi des prétentieux ou des fâcheux, des « difficiles » en tous cas rédhibitoires : c’est tout à fait un privilège qu’on persiste à accorder à ceux qu’on estime des « classiques » et qui ont le mérite d’avoir été une fois distingués par d’autres. Et tant pis si un classique n’est qu’un « difficile » qu’une époque enfin exigeante s’est appropriée avec engouement : il n’y aura donc pas de « classiques » à venir, rien issu de notre siècle qui, n’aspirant qu’au divertissement, a perdu le courage de s’atteler à des Œuvres (mais j’oublie un instant que nos temps considèrent tels seulement des ouvrages adaptés au cinéma). La Fantasy et tout le reste autoproclamé « littérature de l’imaginaire » dont les lecteurs sont en général d’un amateurisme si déplorable deviendront donc ce qu’ils méritent : des bouquins que dans cinquante ans on sera incapable de placer au marché de l’occasion – à moins que le futur nous réserve, par comparaison, pire encore !

Ce dont je ne me moque pas tout à fait, en revanche, c’est qu’un éditeur choisisse de passer systématiquement une ligne entre les paragraphes de ses livres, y introduisant un curieux blanc : cette typographie m’irrite un peu – mais on dira que je suis tatillon, vétilleux, argutieux à tous les diables. On s’interroge aussitôt si cette mode, empruntée aux e-mails où il n’est pas toujours possible d’inscrire des alinéas faute d’ordre correspondant sur la touche « double-flèche », relève d’une méconnaissance des usages ou d’une volonté de surprendre, voire d’un désir de « manger de la page ». On suppose qu’il faudrait au moins supprimer l’alinéa qui n’est alors plus du tout nécessaire pour repérer où débute le paragraphe, mais non : l’alinéa reste, et on n’y comprend goutte. Je soupçonne, après avoir lu 1800 pages de Muray en écritures serrées et sur papier bible, que cela valorise le petit lecteur de fiction : il croit qu’il lit vite, il s’en trouve fier (j’ai moi-même, après deux mois d’application studieuse sur ces Essais, achevé en trois jours l’ouvrage de chez « Inceptio »). Il n’empêche que, lorsqu’une page est surtout dédiée au dialogue et que les répliques sont courtes, à force d’interlignes doublées on a l’impression d’un papier si blanc et si léger que le livre lui-même pourrait bientôt s’envoler – cette image étrange pour plaire à Mr Punxs qui ne me la reprochera pas, je pense.

C’est un détail, certes, et je ne l’ignore pas ; mais l’Art au juste n’est fait que de ça – c’est ce qu’on ne sait plus aujourd’hui, et mieux vaut ne pas regarder de trop près à tout ce qu’on nous propose. Vrai aussi qu’il m’a peut-être fallu ce prétexte pour atermoyer sur ce que je vais écrire : ma critique – ou plutôt : non ! je savais bien par quoi je devais commencer. Il me reste encore à présenter, comme on dit, « l’argument », avant de donner mon avis.

Lucien Agravelle est un vieillard assigné à un ancien château aux deux tiers abandonné, retourné en maison de retraite et où circulent périodiquement des fantômes sinistres que seuls voient certains pensionnaires et qui semblent par assauts leur dérober des objets et la mémoire. Dans cet univers parallèle où une guerre-éclair éclata entre le peuple énigmatique des Solymes et les hommes, Lucien songe longuement, l’âme grise et blasée, à sa jeunesse regrettée, à son amour manqué, à sa décrépitude inéluctable et à la mort solitaire. C’est dans un tel contexte qu’une nuit, une fée l’enjoint à prendre place dans l’Alecton, un train des temps qui le déposera loin dans son passé, à quelques jours d’une grande décision qu’il aurait dû prendre quand il était encore lycéen.

C’est sans doute vrai qu’une pareille intrigue n’est pas neuve, elle peut tout de même se réaliser en une belle épopée, subtile et originale. La puissance d’un art ne tient pas premièrement à la nouveauté de son motif, mais à sa manière de traitement – ce que Flaubert clamait avec ténacité. Il ne se mêle a priori aucune mièvrerie dans ce résumé, aucune complaisance, aucune facilité : ce thème me va aussi bien qu’un autre, et je demande à voir. Particulièrement, mes horizons d’attente, à moi, vont par exemple vers la peinture de la vieillesse, du remords, de la hantise, vers la couleur dédiée aux personnages et à leurs émotions, vers la composition du style et de l’intrigue, vers l’étonnante vraisemblance qui peut toujours naître d’une irréalité évidente et merveilleuse.

Or, autant dire à présent que je n’ai pas retrouvé Mr Punxs en Maxime Herbaut.

Des linéaments de personnages, à la psychologie consensuelle et plutôt vague, sans vraie consistance, extrêmement poreux et remplaçables – ce que, on le devine, je ne pardonne guère. Une intrigue sans grand souci de structure, cousue pour tenir en récurrentes coïncidences, avec maints deus ex machina incrédibles, pour lecteurs assez irréfléchis, exclusivement guidés, sans rationalité que le goût du transport. Des scènes esquissées, précipitées vers leurs conclusions, sans détails ni transitions et qui restent inconcevables faute de caractère propre, de descriptions minutieuses, de narration exacte et de pensées fines – de soin artistique en somme. L’impression qui va en s’aggravant d’un texte au plus-que-parfait, où tout est déjà fini avant qu’on ait pu se représenter la chose – il faut admettre sans cesse ce qui arrive, ne pas chercher à comprendre, et ceci à répétition. Une variété de nostalgie un peu plate s’exhale de ce récit où douleurs et plaisirs sont traversés sans développements éloquents, sans profondeur singulière, en dépit des occasions bonnes – Agravelle vit comme tout le monde de la « pensée-bluette », il n’est pas un individu, il n’évolue pas. Je ne me rappelle pas, passé le quart du livre, avoir pu seulement croire un événement raconté – j’ai pourtant certaines dispositions –, et je doute que quiconque voudrait s’y arrêter un instant pourrait intérioriser les motivations des personnages. Ça ne va pas, quelque chose cloche : construction, vraisemblance, signifiance, tout est en déséquilibre constant, tout chute étrangement en avant, comme précipité d’impatience, raccourci, amputé de son fond – on croirait qu’il existe une autre version du récit avec les passages non coupés.

Je sais bien que c’est ce qui se lit de nos jours, et je ne m’étonne guère que ce récit fût lauréat d’un prix et que ce soit précisément ce « genre » que sollicitent les éditeurs – ces idiots n’iraient jamais prendre le risque de publier les nouvelles si curieusement déstabilisantes de Mr Punxs –, mais je ne trouve pas à celui-ci les compétences artistiques de l’auteur : quelques évocations rares et disséminées figurent tout ce que j’admirais de ses belles envolées réflexives et troublantes. On croirait que, puisqu’il fallait des péripéties, Herbaut a choisi d’enchaîner les événements sans souci de les interpréter, et cela rend une intrigue à « ingrédients » mais où il manque, pour moi, toute la littérarité qui fait l’avantage d’un livre.

Pourtant, ce n’est pas mal écrit, ça non, c’est même rigoureux de lexique et quelquefois de tournures, mais je ne me départis pas de penser que c’est un roman sans cesse retenu comme pour coller au plus près des volontés d’un lectorat jeune et sans exigences de profondeur. Et le symptôme patent de cette capacité artistique volontairement en sommeil figure dans les extraits intercalés attribués à un certain Gilles Berne, très courts, et qui constituent des parallèles entre la fiction de Herbaut et les récits que son personnage aimait lire enfant : c’est que Gilles Berne est sans conteste bien mieux écrit que Herbaut ! C’est Gilles Berne, qui est peut-être Mr Punxs déguisé sous une autre entité et que j’aurais, moi, aimé lire ! Car enfin, si tout n’est pas manqué dans ce récit, c’est qu’on y pressent une intériorité généreuse, prompte à transmettre et partager une atmosphère intime de rêveries hallucinées, un univers fécond d’onirisme féérique, auréolé de visions floues où se déploie en loin un vaste horizon bleuté. Le bleu est la couleur dominante de ce roman : c’est comme le bleu involontaire des mystères d’enchantement enfantin et naïf, celui d’un monde des mérites incontestables où chacun n’a qu’à attendre sans faillir le moment de son élection – alors chacun patiente, se sentant intimement méritant, et la chose bénéfique arrive forcément : on reçoit sa récompense. Dans cette passivité de bleu omniprésent, chacun a bon espoir de rencontrer tôt ou tard la fée – l’événement – dont il a besoin pour se croire bon, pour se sentir juste, pour se légitimer : c’est ce qui rend cette intrigue si tendre et si puérile. Je devine quelque peu le défaut de Herbaut, et c’est surtout un vice de préparation intrinsèquement lié à un ardent désir de partage : le voyage commence en lui dès la plume posée sur la feuille, entraînant bientôt toute une merveilleuse cascade d’impressions échappatoires, et ce désir d’envoûtement lui fait oublier la rigueur de la progression et l’effort de singularité qui fait toute la littérarité d’un texte – je n’ose ici parler d’opportunisme par lequel, quelquefois, des auteurs choisissent de simplifier voire d’abêtir un texte pour être édités.

Agravelle est fluide sans aucun doute, léger et flatteur, et en cela tout à fait miscible avec notre contemporanéité paresseusement rêveuse, mais ce n’est pas une œuvre au sens où je l’entends : on y a perdu la sensation du travail qui rend admirable le fruit d’une peine intérieure. C’est trop expurgé, édulcoré, trop « à portée » : gageons qu’« Inceptio » saura trouver l’audace de publier, parmi les nouvelles de Mr Punxs, ce qui pourrait faire les grands textes futurs de Maxime Herbaut.

 

À suivre : Dans les bois éternels, Vargas.

 

Post-scriptum : Je dois rendre à Mr Punxs/Maxime Herbaut la perspicacité d’avoir deviné dès le début que ce roman ne me plairait pas. C’est une preuve qu’il sait au fond de quoi je parle – de quoi nous parlons – quand j’admets l’existence d’une littérature d’artistes.

Je ne regrette pourtant pas d’avoir partout incité à acheter Agravelle : on ne s’engage qu’en actions quand on est auteur aussi bien que lecteur, et tous ceux qui ont prétendu adorer Mr Punxs, multipliant leurs encouragements et abonnements à l’envi, devraient avoir, comme je leur ai rappelé, l’élémentaire cohérence de dépenser plus que du bavardage à confirmer leurs affinités.

 

***

 

« Mais ce retour lui coûtait plus qu’il ne se l’était imaginé à l’heure de monter dans le train. Le passé qu’il avait dans la tête, sorte de petit musée patiné qu’il entretenait dans une perpétuelle lumière de fin d’après-midi, n’avait pas grand-chose à voir avec celui qu’il avait sous les yeux. C’étaient les mêmes personnes, les mêmes endroits, les mêmes moments, bien sûr, et cependant tout semblait désormais se jouer à un autre niveau. Les pièces exposées dans ses collections mentales, qu’il connaissait à merveille pour les avoir polies de ressouvenir jour après jour, avaient brisé leurs vitrines et reprenaient vie avec une force et une spontanéité déroutantes : tout ce qu’il croyait familier lui échappait, se retournait contre lui. Son musée avait tout à coup les airs d’un zoo dont on eût ouvert les cages durant la nuit. » (page 126)

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Commentaires
M
Pourquoi devrait-on considérer la critique comme "destructrice", et non "constructive" ? Je retrouve cette attitude défensive chez beaucoup. La critique reçue devrait amener l'auteur à faire le point sur lui-même et de se demander : qu'est-ce qui n'a pas été compris ? De la sorte, il peut remanier son partage de manière plus claire...<br /> <br /> Je n'ai pas d’apriori sur le "fantasy", la S.F. ou autre sujet littéraire. La classification en elle-même n'est qu'un raccourcis estimé. Si on ne foule pas ce raccourci, on en reste que sur une vague idée...<br /> <br /> J'aime fouler les sentiers par moi-même, plutôt que de tirer une conclusion sur un point de vue.<br /> <br /> Cela n'engage que moi, bien sûr.
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V
Je commente ici tiens. J’aime autant!<br /> <br /> <br /> <br /> Moi je ne regarde pas les critiques des livres que mes professeurs me font acheter: je les fais moi-même ! <br /> <br /> <br /> <br /> Ta remarque au sujet de la Fantaisy est juste. Les ventes, les publications, en font une littérature « mineure ». La simple catégorie « fantaisy », moi, le décourage par avance, comme un gage de mauvaise qualité. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Je ne lirai pas ce roman, comme tu t’en doutes. Et finalement mieux vaut ne jamais être édit que de se corrompre. L’auto-édition est peut-être l’avenir d d’la littérature intègre.
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