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Henry War
7 décembre 2019

Pour toute morale

On feint encore de croire qu’il y aura des débats sur des questions « éthiques » aussi complexes que celles soulevées par la GPA ou la PMA étendue à toutes catégories de couples, et on suppose du même coup, par cette feinte, que beaucoup d’autres débats ont été ainsi résolus, refusant de comprendre que, pour la majorité des citoyens, résoudre un débat signifie seulement légiférer c’est-à-dire prendre une décision définitive sur tel sujet au sein de nos Assemblées représentatives. Preuve qu’en République, on délègue jusqu’à la pensée, après quoi on accepte de se conformer : c’est jugé, passé en lois, et comme on n’y peut plus rien, autant s’y résoudre. La réflexion retombe au profit de la grégarité et de la conformité : on n’aime pas à entretenir des solitudes ou des colères, cela blesse. Chez nous, le légitime est strictement confondu avec le légal, point.

L’avortement, pour ne citer qu’un exemple, est un de ces sujets polémiques qu’on estime enfin franchis et dépassés parce que la France l’a autorisé une fois pour toutes : on a dignifié Mme Veil pour sa position tant « audacieuse » que « risquée », et on a oublié que sa proposition de loi fut adoptée avec cent voix d’écart, ce qui n’est pas du tout si serré que l’on pense pour une assemblée qui comptait 473 votants ; seulement, on est encore à une époque où l’on cherche du courage, de la bravoure, quitte à en fabriquer à des personnalités qui n’appartiennent plus qu’à une société du consensus où toute vaillance est devenue impossible : c’est ce qui explique pareille propagande, parce qu’on réclame des héros qui n’existent plus et chargés de représenter notre héroïsme soi-disant quotidien et obscur, inexistant en vérité. Or, depuis cela, les Français supposent que maints Américains, qui n’envisagent nullement l’avortement et même décident d’y revenir, sont des arriérés et des crétins, pour la raison essentielle qu’ils ne vont pas dans le sens où nous avons marché que nous estimons automatiquement la direction du progrès positif. Or, ces Français suggèrent qu’il n’y aurait qu’une seule bonne évolution à l’histoire comme c’est bien connu, et ils ne conçoivent pas qu’on y puisse seulement résister.

En pratique, tous nos débats ne consistent plus qu’à mesurer ce qu’on estime « le sens de l’histoire » et à s’y résoudre avec une bonne volonté chargée surtout d’oblitérer le fatalisme désespérant de tout cela. Il y aurait bien de la douleur, bien de la peine, à résister contre ce dont on ne peut rien, pas vrai ? alors, pourquoi se l’infliger, hein ? C’est ainsi qu’on en est venu à ne blâmer que le rétrograde, et nullement l’irréfléchi : c’est plus facile, plus consolateur, moins affligeant – tout nous paraissant au fond tellement décidé d’avance. Notre philosophie et notre morale ne consistent qu’à défendre ce qu’on croit « le courant » sans plus d’arguments, c’est-à-dire que tout l’échafaudage de notre réflexion se fonde que sur ce qui a déjà été adopté et approuvé. Il n’y a qu’un Progrès, a-t-on appris par cœur, au point que cette doctrine se retrouve jusque dans nos inconscients. Ce serait pourtant curieux, je trouve, de le penser au bout : les totalitarismes, en tant que nouveautés autrefois, auraient donc été une marche supplémentaire vers le Progrès, et il n’aurait pas fallu alors s’y opposer ? Si ?

Alors c’est que l’histoire peut aussi, et légitimement, retourner en arrière.

Mais pour revenir à mon exemple, nombre d’Américains estiment, non sans raison, que la question de l’avortement n’est pas foncièrement résolue. En France, on s’empresse de les caricaturer par refus de porter une considération peut-être dérangeante à leurs idées opposées aux nôtres – nos lois risqueraient d’en être mauvaises et fausses, on s’y refuse (il est vrai que nos médias ne font que simplifier à l’excès les opinions qui nous sont contraires). Ces étrangers, affirme-t-on, veulent l’abolition des droits de la femme, en puritains endurcis et indéfendables. Affirmer une telle chose, c’est refuser furieusement de voir que les Américains, dès l’origine, constituent un peuple libertaire, et bien plus que nous : pour le constater, il suffit de lire leur Déclaration d’indépendance et leur Constitution qui sont bien plus garantes que nos lois des libertés individuelles. En réalité, ils ne luttent absolument pas contre les droits de l’individu, mais ils considèrent, eux, qu’un fœtus est peut-être déjà un individu. Ils ne réfutent pas le droit de disposer librement de son corps, mais ils admettent qu’un embryon est déjà un corps qui dispose de ce droit inaliénable pour que, justement, d’autres ne disposent pas de lui comme ils veulent.

Or, qui chez nous a véritablement résolu la question ? Le législateur ? qui oserait encore prétendre qu’un législateur est un penseur – avez-vous seulement lu et considéré leur message Twitter ou Facebook avant d’oser aventurer une telle conjecture ? Alors qui ? des comités de scientifiques peut-être ? En quoi cette question les concerne-t-elle ? en quoi y seraient-ils plus concernés ou même plus compétents que les autres ? Et depuis quand des études scientifiques forment-elles à la sagesse, ce que pas même ne réalisent des études philosophiques ?

Rappelons que la Gestation Pour Autrui se pratique légalement aux États-Unis, et on ne voit pas comment cette procédure serait compatible avec l’idée caricaturale qu’on se fait ici que les hommes de là-bas réclament contre les femmes leur soumission et la perte de leurs autorité et capacité – d’ailleurs, au nom de quoi refuserions-nous ce « Progrès »-là, nous qui, de ce côté-ci de l’océan, passons notre temps à défendre furieusement tous les Progrès que nous appelons « acquis » ? Ce qu’on nomme par proverbe « marchandisation du corps » ne pose là-bas aucun problème particulier, dans la mesure où nul n’y est contrarié ou atteint dans ses libertés individuelles : ni l’enfant, ni la mère porteuse, ni les futurs parents acquéreurs. Ce proverbe est encore d’une singulière bêtise, faute du moindre recul, et on ne le prononce que parce qu’on n’y a pas réfléchi, comme tout argument d’autorité (je m’étonne qu’un tel proverbe soit encore prononcé sur des plateaux télé sans y trouver de contradicteur : c’est, je suppose, parce que ces « débatteurs » plus ou moins mondains tiennent davantage à leur réputation qu’à la vérité) : et comment ne pas admettre que tout travail rémunéré est déjà une « marchandisation du corps », que le moindre ouvrier qualifié précisément loue ses bras, ses jambes et toute sa force physique et mentale au patron qui l’emploie ? Si une femme peut faire votre ménage ou même vous masser contre rémunération, si l’on accepte qu’elle se fatigue à votre service pour une durée indéterminée et selon les conditions admises par contrat auquel elle a souscrit en pleine liberté et en toute connaissance de cause, alors on ne doit pas s’opposer que cette même femme puisse aussi user de son corps de toute autre manière consentie par elle et à votre bénéfice contre un salaire juste, par exemple en portant votre fœtus ou en vous pratiquant une fellation. Je ne vois pas du tout, et très sincèrement, par quelle raison mieux qu’arbitraire on veut fixer une limite entre ces différentes pratiques : ce n’est, comme toujours, qu’une tradition morale irréfléchie qui s’en offusque, et l’on peut raisonnablement penser, avec seulement un peu d’imagination, que dans une société concevable où chacun depuis toujours ne travaillerait que pour lui-même, on jugerait scandaleux et indécent le fait de se déposséder de soi pour œuvrer en faveur d’un inconnu.

Mais, de toutes manières, la question d’un véritable débat éthique ne se pose pas : les députés n’en ont pas les moyens intellectuels, ni la plupart des Français qui ne sont bons qu’à répéter comme ici des lapalissades inculquées au berceau, et on peut prévoir sans aucune peine comment toutes ces questions vont se résoudre : après toutes sortes d’amendements qui seront refusés les uns après les autres par la majorité pour des motifs politiciens, on finira tôt ou tard par tout accorder à tous, et les couples homosexuels de tous sexes pourront user de la PMA remboursée par la Sécurité Sociale, et les homosexuels célibataires et peut-être hors d’âge d’être parents par voies naturelles obtiendront aussi cet avantage, pour la seule raison qu’on suppose notre société inscrite dans une tendance aux libertés contre laquelle le moindre opposant serait aussitôt taxé de rétrograde et de conservateur ; et ainsi, dans le doute moral (et le maintien ardent de sa réputation et donc dans la perspective opportune de sa réélection), on permettra, en se servant au besoin de lois extérieures, de directives européennes et de jurisprudences « anti-discriminatoires », que cette légalisation s’inscrive jusque dans nos mœurs. On ne songera pas un instant qu’un individu mérite peut-être d’être frustré de certaines choses, qu’on assoit ses caprices en acceptant toujours plus loin la réalisation de ses désirs, que c’était autrefois le propre de l’homme de n’avoir pas toujours absolument tout ce qu’il souhaite, et on finira certainement par reconnaître aux hommes le droit de porter un enfant comme on leur reconnaît déjà de nos jours le droit d’être considérés juridiquement des femmes, faute d’une justice naturelle pour l’avoir initialement permis – étant vrai que la naissance est en soi un facteur de différences que d’aucuns jugent inique et intolérable.

Mais nous ne sommes plus des hommes de l’histoire, comme l’écrit Philippe Muray, l’un des derniers analystes de notre monde ; ces hommes sont révolus, ce qui revient à dire que nos attributs humains ne sont plus même reconnaissables à tous ceux qui nous ont précédés. Ce changement, certes, ne serait pas un inconvénient si l’on savait aujourd’hui assez précisément pour quel homme nouveau on sacrifie celui d’autrefois, celui de toujours et qui ne paraissait pas si mauvais, du moins pas entièrement désastreux, à ceux qui l’avaient connu.

On insiste pour tout révolutionner, certes, et le changement, le différent, le « neuf », est une valeur automatique, parce qu’il y a « Progrès » posté derrière et qu’il faut que Progrès soit notre ami, tâchant à tout prix, par désir d’optimisme, d’oublier qu’une corruption est aussi, par définition, un progrès négatif. Mais sait-on au juste, a-t-on la moindre idée de l’émergence où l’on va, et si cet humain à venir est bien nécessaire et souhaitable ? On devrait au moins, par précaution, considérer à mesure l’évolution de ce que nous sommes, et tâcher d’y influer si on ne parvient plus à s’inspirer de la fierté : mais il n’y a personne pour observer, examiner bien sérieusement ce devenir, et nous nous contentons de nous laisser entraîner par la pente facile au profit du moindre de nos plaisirs, n’étant toujours actifs qu’à réclamer pour notre bénéfice. Il suffirait pourtant de vérifier comme l’homme est devenu seul avec lui-même, ne trouvant plus nulle part la satisfaction de quelqu’un à admirer : on reviendrait par degrès à plus de hauteur, et on oserait réfléchir à des problèmes qu’une saine et simple philosophie permettrait aisément de résoudre.

Quels humains, alors ? quels humains de l’avenir dont nous sommes le processus ? J’y vois, je crois, mieux que quiconque : nos humains à nous sont des enfants, et le progrès de notre civilisation consiste, ni plus ni moins, en un lent retour vers l’âge censément d’or de notre innocence, de notre ingénuité, de notre candeur tendre et bête.

Une société de l’enfance permet tout, fuit la difficulté et l’effort de l’esprit, et n’a de vrais égards que pour le jeu.

Voilà exactement où nous sommes.

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