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Henry War
6 janvier 2020

Animaliste

Le parti animaliste semble le réceptacle de tous ceux qui, ayant fondamentalement fini par désespérer que la politique apporte quelque chose à l’être humain, supposent naïvement et arbitrairement qu’elle tiendra ses promesses s’agissant des animaux.

Mais quelle cause mièvre, et secondaire, et puérile, et tellement peterpanesque ! Quel simplisme décevant, lorsqu’on demande à un peuple de voter pour un gouvernement avec tout ce que cela suggère d’élaboré et de périlleux, de subtilement pragmatique et d’engagé, de risqué et d’historique – un parti comprenant toujours des interprétations délicates avec leurs divisions contradictoires et leurs personnalités complexes, sans parler des conséquences imprévisibles –, quand une fraction non négligeable de ce peuple répond alors seulement par : « Moi, j’aime les animaux ! » !

Nos contemporains, décidément, deviennent des enfants, et, si le fait n’est pas nouveau, ce qu’il y a d’inquiétant, c’est qu’ils ne sentent même plus à présent pourquoi ils devraient s’en cacher.

Dans notre société grégaire – c’est du moins le mot d’ordre –, on aspire surtout à l’Union (j’y mets la majuscule des grandes kermesses religieuses dont il est devenu si facile, avec un auditoire si puéril, de se faire l’escroc), et c’est pourquoi on valorise les pensées englobantes et binaires, la nuance présentant toujours un risque important de scission et d’obscurité clivante. Plus on distingue, plus on exclut, et ce mal terrible, on l’a nommé : « discrimination » ; on en a fait la grande bête noire de notre époque, le diable universel de l’humanité à l’occidentale. Ce phénomène est révélateur de l’abaissement de la pensée humaine par insuffisance ou paresse : il y a, de nos jours, face à la complexité, une réaction presque immédiate de désintérêt, de fuite et de rejet, c’est-à-dire qu’on « quitte la place » réflexive au moment précis où l’on sent venir l’impatience qu’impose à nous une inhabituelle concentration – or, cette complexité se retrouve dans tout parti politique centré sur une vision socio-économique (dont le traditionnel clivage droite-gauche : en quoi je viens à soupçonner que sa désaffection générale, par ailleurs positive à mon avis, est surtout liée à une incapacité nouvelle à se représenter de quoi il s’agit). Chaque fois que vous intervenez dans un débat pour y dénoncer le manichéisme et y induire une idée inattendue et composée incluant surtout un certain recul, manifestement vous importunez, vous fatiguez les gens, vous « pinaillez », ils n’ont pas de temps à perdre avec ça, c’est clairement autre chose qu’ils réclamaient : il leur faut de la caricature banale, c’est-à-dire assimilable et répétable à l’envi par des esprits grossiers. Si l’humanisme, par exemple, cette philosophie pour lycéens bachoteurs, a réussi si bien à prendre dans nos sociétés et même à fonder l’essentiel de l’idéologie moderne, c’est surtout parce qu’il repose a priori sur ce credo élémentaire : « J’aime l’humain : pas vous ? » auquel naturellement on n’ose guère s’opposer. Ce credo se promenait déjà avec tous ses afférents grossiers, liés inextricablement avec d’épaisses et blanches ficelles, à savoir : pacifisme, égalitarisme, écologisme, romantisme, sentimentalisme, etc. Mais il a fallu y ajouter cet autre : « animalisme », pour exprimer, en un fond qu’on ne voit pas encore, le vœu en une régression, hallucinant au véritable penseur, et qui peut se résumer ainsi :

« L’homme est un animal. Même, souvent, l’animal vaut mieux que l’homme, c’est pourquoi il est peut-être ce à quoi doit tendre l’humain. Par conséquent, il faut que l’animal dispose des mêmes droits que l’homme – et peut-être davantage. »

(En quoi, pour périphraser Sartre, l’animalisme est un animisme !)

On doit supposer premièrement qu’un amateur de telles fadaises n’a – il faut bien en convenir – pas de trop graves problèmes à surmonter dans l’existence. Toutes ses préoccupations, toute sa ligne de conduite, à quoi se résume logiquement son action politique qui, je le rappelle, ne s’exprime chez nous dans les urnes que tous les cinq ans, se synthétisent par la question de faire de l’animal un être d’égalité susceptible d’accéder à une juridiction c’est-à-dire à une place dans le code civil et pénal.

Quand on fait d’un tel sujet une priorité politique, on imagine mal – et c’est peut-être tant mieux – à quoi se réduisent les objectifs et les douleurs secondaires d’une vie (franchir le niveau 74 de Candy Crush ?). En tous cas, si les gens ont du mal à accéder au principal, ou bien ils sont fort capables de l’oublier et alors ce mal n’est pas si grand qu’ils le prétendent, ou bien ils ont résolu que leur gouvernement, qui devrait pourtant en principe n’être que l’émanation de leur volonté, ne pouvait apporter décidément aucune solution à leur problème.

Mais admettons ; prenons cela au sérieux, je vous prie, et sans a priori. Vous voulez un examen du sujet, n’est-ce pas ? cela vaudrait mieux qu’un traitement par le mépris. Il paraît que mépris, sarcasme, ironie, dérision, exagération : c’est mal – j’aurais tort donc (je conviens que de tels procédés utilisés exclusivement ne démontrent rien, c’est pourquoi j’en use le moins possible, ce que mes interlocuteurs ont même rarement remarqué, croyant voir partout dans mes écrits des marques d’ironie). N’importe ! je veux bien, moi, expliquer à mes opposants, pour autant qu’on puisse argumenter calmement et sur une base saine avec eux, ce dont ils ne sont, en général, pas fort accoutumés, à ce que j’ai remarqué.

Donc l’animalisme, qu’est-ce que c’est ?

S’il ne s’agissait que de prétendre que les animaux sont des êtres sensibles c’est-à-dire capables de souffrances, ce serait une cause entendue, très majoritairement répandue, en somme rien qu’un sermon prêché à des convertis, et je ne vois pas du tout où il y aurait alors nécessité à militer. Existe-t-il un parti appelé par exemple « sphérisme » et qui viserait à convaincre que la terre est ronde, ou bien un autre qu’on nommerait « médicalisme » pour faire valoir que la médecine a des effets positifs sur la santé ? Certes, on trouve toujours quelques exceptionnels obstinés, des enragés à tête dure, plutôt provocateurs, je crois, que convaincus, pareils à ceux que les écologues prétendent si nombreux à nier le réchauffement climatique, mais je trouve absurde – une inutile dépense d’énergie – de monter toute une lutte organisée et militante contre une poignée ultra minoritaire et assez peu influente pris en tout et pour tout comme uniques démons à éradiquer. Si, selon cette définition étroite (mais provisoire) de l’animalisme, on ne veut que s’opposer aux cruautés gratuites commises sur les animaux, c’est une cause toute gagnée d’avance qui ne réclame qu’un peu de transparence supplémentaire dans nos abattoirs et environ l’interdiction des essais cliniques sur les animaux (en quoi, certes, les diabétiques d’il y a environ cent ans n’auraient eu qu’à mourir dans les commencements de la thérapie par injonction d’insuline issue du pancréas des chiens – mais enfin, il faut bien savoir ce que l’on veut). C’est une idée. On estime alors que l’espèce humaine ne vaut pas de sacrifier des lapins et des souris innocents qui, comme chacun sait, sont tellement adorables-trop-choux-mignons en comparaison. Et la preuve, c’est que leurs poils sont merveilleusement doux et qu’ils sont parfois de la couleur blanche. D’accord.

Voilà pour la « vision » (excluez si vous voulez l’exagération sarcastique sur les lapins et les souris, je n’ai pas pu m’empêcher). Et, étonnamment, je ne suis pas si éloigné de cet avis qu’on pourrait penser. Le lapin, lui, à la différence de beaucoup d’hommes, ne prétend pas avoir une réflexion différenciée. Un lapin ne se trompe pas autant qu’un homme, car il n’a jamais prétendu, lui, être un individu, et encore moins un individu responsable. Un lapin, certes, n’est pas un idéaliste grégaire ou un écologue moraliséduqué.

Mais je crois que l’animalisme en vérité veut aller plus loin, que sa menée est organisée assez explicitement dans une perspective plus totale que vous ne valideriez peut-être pas si vite si vous en estimiez véritablement le contenu.

Si l’animal est un homme comme les autres, il va de soi que l’animal ne saurait être mangé : tout ce qui évoque la viande a quelque chose de répugnant pour l’animaliste en tant que substance assimilable à la chair humaine. C’est même logiquement son impératif premier : l’abolition du régime carnivore, au prétexte de cannibalisme immoral. Qu’on mesure l’excès de pareilles assertions !

Et ça, pour tout dire, ça ne me plaît pas du tout. Je sens qu’on va encore m’amputer d’un droit, celui à faire paisiblement griller mes saucisses en été au nom d’un génocide, ça s’anticipe même assez facilement. Au prétexte de nature et de la sacro-morale Santé Publique, on va m’empêcher de profiter, justement, de la nature qui est en nous depuis toujours ; on va nous interdire, en plus d’uriner en plein air, de nager où l’on veut, de s’asseoir sur une plage sans payer ou de faire des ricochets avec des galets, de consommer de la viande – est-ce qu’on n’a pas déjà commencé à vous expliquer que c’est mauvais pour vous et votre espérance de vie ? On dira à nos enfants, après cent ou mille générations de bons barbecues réconfortants auxquels nos papilles n’ont pas tant de difficulté à s’acclimater que les champignons, le fromage ou les compléments alimentaires qu’on voudrait nous faire ingérer à la place : « C’est fini, bien fini, depuis nous ! Plus jamais vous n’aurez accès à cela, en plus d’un horizon de terre sans pollution ou de mer sans pylône éolien. Avalez donc vos pilules comme tout le monde et remerciez-nous d’être devenus les amis forcenés des animaux ! »

Je trouve surtout qu’un pareil vote est un symptôme inquiétant et révélateur sur notre époque. Symptôme de quoi ? Eh bien, nous devons admettre, selon ma définition perfectionnée, qu’une majorité des partisans animalistes logiquement est végétarienne ; or, ces gens estiment que la viande doit être prohibée. Réfléchissez sur ce que ça traduit des mentalités péremptoires des gens, de l’affadissement vers le binaire de toute réflexion contemporaine en l’espèce d’une criante incapacité à concevoir l’altérité : « Si je suis végétarien, quelles que soient mes raisons – et la plupart des végétariens n’en ont pas, refusant d’avouer en général qu’un dégoût gustatif ou émotionnel leur tient lieu de conviction –, alors tout le monde doit l’être puisque j’ai raison. » – et il n’est pas du tout question d’avoir aussi raison ! L’esprit humain en est arrivé à ce point d’autojustification à tout prix qu’il ne peut plus alimenter une (maigre) conception sans estimer automatiquement « mauvais », même s’il a tort (ce qu’il n’a pas encore vraiment examiné), tous ceux qui ne sont pas du même avis ; il n’admet plus la différenciation des opinions ; il ne lui suffit pas de (mal) penser, il faut, pour son salut « moral », que sa pensée soit validée par une loi lui servant d’onction. Pour celui qui va au travail en vélo par exemple, il n’est plus question que ce soit un choix personnel : il importe de militer ardemment pour que l’avenir finisse par entériner uniformément sa décision et que la voiture soit définitivement bannie – alors ce sera la démonstration qu’il avait bel et bien raison. Serait-ce le résultat, dans notre société à tendance ou à impératif homogène et grégaire, d’une gêne intrinsèque à se différencier, d’un embarras à s’individualiser, d’une difficulté inédite même à intérioriser le pluriel ? Au fond, c’est peut-être qu’on est si incertain et qu’on craint tant d’avoir tort qu’on exige un acte collectif plus ou moins arbitraire pour nous donner raison ; cette idée répandue est le fruit d’une croyance en un progrès qui serait toujours positif : « Si je fais déjà aujourd’hui ce qu’on fera tous demain, alors j’ai “de l’avance” sur l’homme, et ça, c’est bien ; il importe donc, pour mon amour-propre, que demain confirme ce que je suis : forçons donc demain à me ressembler, faisons pression pour que mon aujourd’hui advienne pour tous demain ! ». Et voilà où se situe le symptôme d’un abrutissement politico-philosophique généralisé : le « citoyen » ne parvient plus à intégrer l’idée de différence et de tolérance autrement que comme notion déconnectée, que comme une lointaine et vague théorie moralisante ; en pratique, il ne tolère que lui-même qu’il voudrait voir appliqué de force à tout autre – ce qui pourrait, certes, consister en un « bel » engagement s’il avait seulement réfléchi !

Et pour explorer l’animalisme plus à fond : qu’est-ce donc que c’est que cette conception réductrice de l’animal comme espèce innocente, pure, sans péché ni vice, immaculée ? Voici encore une façon bien lamentable de persuader avec des affects que de poser un bébé chien sur une affiche de campagne : n’est-ce pas prendre, très explicitement peut-être pour la première fois de notre histoire, des électeurs pour des enfants ? et bientôt, qui sait : placarder une console de jeu pour le parti vidéiste ? Représenter un adorable nounours en tissu au profit du programme peluchien ? Eh quoi ? est-ce qu’il n’y a pas des animaux carnivores ? est-ce que les animaux ne passent pas la moitié de leur temps d’éveil à chercher de la nourriture au détriment des autres quand ils ne s’occupent pas de courir après une énième partenaire sexuelle ? Est-ce que le moindre lapin ne creuse pas des tranchées d’un mètre qui abîment sans scrupule les racines de l’arbre planté juste au-dessus (et accessoirement, j’en sais quelque chose, le joli gravier de votre allée !) ? Avez-vous déjà regardé, vous, un documentaire animalier sans nuisance et sans mise à mort ? Est-ce que même un animal herbivore n’abîme pas des plantes et quelquefois en quantités importantes ?

L’animalisme, en réalité, c’est le concept abusivement généralisé et édulcoré de l’animal domestique, vision parisienne et bourgeoise de la nature. Un animal, c’est un chien, à la rigueur un cheval ou une vache : rien d’autre. Personne ne s’y figure l’idée de bestialité à l’exclusion de tout romantisme associant le sauvage aux livres de Jon Krakauer ou d’Edward Abbey (mais plutôt pour la contemplation seule et sans l’aspect révolté et terroriste, si possible, parce que « ça ne se fait pas quand même », ce n’est pas du tout « démocratique » et « moral » d’aller saboter des engins de chantier ; en revanche, aller se promener en week-end à la campagne en quatre-quatre urbain…). L’animal idéalisé, c’est-à-dire fantasmé, imaginaire, remplacé par de l’irréel, comme idéal de l’homme, hors de tout concret (à commencer par le fait qu’une vache laitière qu’on n’exploite plus du jour au lendemain va passer, croyez-moi, un sale quart d’heure, et c’est sans parler des races à viandes qui, sans la nécessité d’alimenter l’homme, ne seraient simplement pas entretenues et s’éteindraient probablement !) : voilà tout le contenu du slogan affligeant de bêtise et de naïveté ! Qu’on mesure combien l’homme, pendant plus de trois mille ans, s’est efforcé au contraire de mener son espèce à une forme de civilisation débarrassée des contingences et qui, certes a produit les guerres (et le moindre mammifère livre une guerre au congénère qui empiète sur son territoire) et la torture (avez-vous déjà vu un chat jouer avec une souris pour rien puisqu’au juste il ne la mangera même pas ?), mais qui semblait tout de même parvenu à s’élever intellectuellement en fabriquant d’ingénieux moyens de subsistance ainsi qu’un contrat social élaboré, et voici nos contemporains qui, après sans doute une bonne douche brûlante et luminothérapeutique devant leur télévision, se disent paresseusement, dans une sorte de nostalgie régressive et sans songer à tout l’extraordinaire appareil de civilisation qui leur permettra demain d’aller voter : « Tiens ! je vouerai bien un culte à l’animal, ce héros ! ».

Ce que je pense, et je l’ai déjà exprimé ailleurs, c’est que le moindre animal, s’il pouvait y réfléchir vraiment, voudrait gagner notre place et la prendrait à notre détriment quitte à nous exterminer. Il ne faut pas s’y méprendre, l’homme a remporté une guerre d’évolution contre les autres espèces naturelles, il doit cette victoire à une arme stratégique dont elles ne disposaient pas au même degré en l’espèce de son intelligence, et il ne faudrait pas croire qu’à notre place, s’il s’était développé dans les bonnes conditions, le jaguar des steppes ou l’orang-outan de Bornéo ne nous eût pas écrasés ainsi que nous l’avons fait pour instaurer sa vitale hégémonie : l’état de défaite où se situe un groupe ne signifie pas toujours qu’il faut le plaindre, mais peut-être qu’il a échoué à instaurer sa féroce domination contre un ennemi encore plus fort. Seulement, par un glissement sémantique et conceptuel inattendu, cette intelligence, qui fut si nécessaire pour sortir de notre état naturel d’urgence, sans cesse perfectionnée pour aboutir à l’amélioration historique de nos conditions de vie, longtemps admise comme principaux but et facteur de valorisation de l’individu aussi bien que de l’espèce, s’est chargée d’un grand nombre d’acceptions négatives, inégalitarisme, élitisme, vanité, insensibilité, et c’est peut-être parce que nos contemporains ne peuvent plus y prétendre – non : ne veulent plus se donner la peine d’y accéder –, qu’ils l’ont plombée de tous ces implicites et sobriquets dénigrants, tâchant ainsi de se consoler par d’autres vertus à portée, et surtout les « valeurs du cœur » dont chacun peut se prétendre pourvu et qui présentent l’indéniable avantage de n’induire aucune définition, aucun critère ni aucun effort, et donc, en cela, nulle comparaison. C’est ainsi que l’intelligence, symbole de puissance et de supériorité que notre société réprouve par découragement d’y parvenir, en même temps qu’elle s’est atténuée en chacun et collectivement (nombre d’études montrent que l’intelligence moyenne, pour la première fois depuis l’existence des mesures, décroît n’étant remplacée par rien d’intellectuel), pour beaucoup est devenue un vice, synonyme de machiavélisme, de spéciosité argutieuse ou de malignité, et c’est ainsi également que notre modèle est devenu son opposé, le panda et le koala, fragiles et tendres, victimes et inadaptés (mais c’est surtout à la vie sauvage qu’ils sont inadaptés et pour bien des raisons), certainement mignons et inoffensifs dans l’imaginaire urbain tant qu’on n’a pas vu comment le panda sait réagir en plantigrade c’est-à-dire en ours quand il est en colère et pour autant qu’on n’a jamais observé comment le koala viole sa femelle chaque fois qu’il a décidé de la saillir.

Mais n’importe ces concepts : je tiens le culte voué aux bêtes, particulièrement dans une société où il reste tant à faire en faveur de l’homme, pour le suprême degré d’une effémination des mœurs, provoquée par le confort où on ne se sent plus de douleur et par le divertissement où on ne se connaît plus de réalité. « Animaliste », ce n’est même pas un style de vie, c’est un détail pseudo-moral de l’existence, un infime fragment d’existence individuelle et sociale dont, de toute évidence, on ne saurait faire une ligne politique générale : pourquoi pas alors un parti féministe, yogiste, piétonniste, maquettiste ? Comme toujours, c’est le sucre des valeurs dites et martelées « universelles » qu’on plébiscite, et le goût de la déculpabilisation y tient le rôle majeur : « Ne pensez pas ! ne réfléchissez pas ! demandez-vous seulement si ce petit chiot ne vaut pas un vote en sa (notre) faveur » ; on doit à l’écologi(sm)e cette logique du don-de-soi-sans-aucun-sacrifice qui permet à tout citoyen souhaitant obtenir son « billet d’honnêteté » d’aller brandir un inutile panneau dans une manifestation où il aspire surtout à ne pas déborder, c’est-à-dire à ne rien risquer. Les mêmes il y a vingt ans s’indignaient déjà grâce aux révélations de Gérard Klein au Club Dorothée : on voit aujourd’hui comme leur indignation a porté ses fruits ! Mais enfin, toute leur vie ils auront exprimé leur désaccord, même inefficacement et bien conscients de leur inefficacité, et cela leur suffit à se sentir dignes et responsables, c’est le principal auquel ils se restreignent strictement : qu’ils puissent se sentir dégagés de culpabilité, quoique sans jamais nulle considération de leurs effets, de façon que leurs enfants périssent, mais « sans leur faute », dans les poussières de la pollution, éloignés à tout jamais de la notion de viande qui, à l’instar de celle de race, est vraiment très très très mal, comme chacun en a conclu depuis longtemps et seulement parce que chacun en a conclu ainsi.

« Aimez les bêtes ! » : c’est à quoi l’on vous enjoint, pour détourner votre réflexion atrophiée de tout ce qui, ailleurs, pourrait vous scandaliser et vous pousser à de plus légitimes révoltes. « Aimez les bêtes » : on y souscrit facilement, ainsi qu’à toutes les comparaisons qu’on prétend établir avec l’homme, car il est vrai que chez nous plus on y souscrit, plus on s’aime soi-même !

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