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Henry War
23 février 2020

Féaux dans la mêlée

Qui a dit que nous avions choisi ? Qui a prétendu que nous avions décidé de combattre ? Qui a affirmé que nous pensions un jour l’emporter ? Ah ! notre vérité est comme l’air que nous respirons : il faut bien que nous l’exhalions au risque de n’être plus : notre hygiène, c’est de ne pas nous contenir ! de ne point retenir l’homme que nous subsumons. Longtemps nous avons enduré l’aliénante compression de notre identité, et sitôt que nous l’avons reconnue, si outragée, si négligée, si uniformalisée, le goût grandiose de la mort nous est venu avec le besoin d’être ; il faut du spectaculaire unique contre la monotonie avilissante de tout ce qui nous oppose. Nous préférons évidemment mourir que confiner comme tous au végétal, au zombie, au mort-vivant.

Nous n’avons pourtant point l’illusion de la victoire, même partielle, parce que nous savons contre qui nous combattons et que nos cruelles résistances abîment l’image bienheureuse des existences animales – or, la bête est nombreuse et veut vivre, elle résiste de toutes ses forces en se sentant blessée, sa conscience se débat à la lumière de ce qu’on révèle de sa misère, car c’est une créature qui, en plus de n’être rien, éprouve la nécessité de se croire de la valeur, de se sincèrement mentir, de se leurrer avec une clarté sans macule. Nous lui sommes sans conteste un mal, au même titre que le mal du champignon c’est le grand air pur, que le mal du microbe c’est le remède, et que le mal de Satan c’est Dieu.

Dans un grand rire de souverain recul, nous admirons notre défaite inexorable, apprêtons nos coups avec puissance et grâce, nous jouons des prévisibles subterfuges qu’on veut rendre à nos si impartiales et destructrices éloquences. Une drôlerie funeste, le comique de la fatalité, la dérision de l’absence d’un seul homme pour nous répliquer, l’ironie désenchantée de tous les mirages à quoi s’accroche comme à un vieux rocher de convention le sinistre coquillage obstiné qui ne sait que sucer, ont envahi et lavé il y a longtemps notre cœur distillé de l’absurde des viles feintes, et c’est superbement que nous lançons alentour cet éclat haut de supérieur mépris : Ha !

Nous sommes rares les derniers, les ultimes, mais fédérés sans contrat, mercenaires sans solde, belligérants condamnés, sans rien à défendre que la vastitude contenue dans nos unicités ; les armes à la main et nos peintures à la face nous nous reconnaissons frères humains, solidaires, intimes étrangers, les seuls. Combien de bouillonnantes et matérielles cervelles jailliront de nos fléaux véloces et écrasants, repeignant nos corps qui sont toutes nos cuirasses et nos armures et nos étendards et nos médailles ? Dans la tripaille invaginée des ventres, même des nôtres, nous serons ceux qui frappent allègrement jusqu’aux suprêmes limites du trépas, sans crainte et ainsi bien mieux et plus efficacement, en quelque danse dionysiaque de berserkers à demi fous. Nous tracerons des croix de sang sur nos poitrines et défierons nos ennemis d’y atteindre, plaisantant, oh ! gravement ! Et nous nous sentirons heureux, béats et sanctifiés ainsi, fiers de cette société idéale de dignes tueurs assemblés en nos rangs, tous distincts, tous admirables, tous arborant l’assomption de l’humeur singulière qu’on prête ici-bas aux criminels, aux déments comme aux damnés. Et nous nous envierons affectionnément de nos élans meurtriers quand viendra enfin la mêlée, car il est un honneur qui, objectivement, nous reviendra exclusivement, et c’est, fors l’inutilité même de l’appréhension et du doute d’une trahison, dans cette sérénité camarade où la chaleur des assauts nous confortera d’aise comme quelque étuve de jouvence, la gloire d’une bataille franche, d’une geste admirable, d’une mort confiante et propre, sans nul recours et sans demandes de grâce ! Vraiment, un moindre témoin qui passerait par là sera saisi de la beauté de nos farouches énergumènes livrant contre une masse fébrile et resserrée de droit innombrable et piteux une puissance de démons maniaques et désespérés, si contemplable !

Et n’importe tout de même s’il ne passe personne sur la plaine reculée où d’autres auront par couardise voulu isoler nos cris altiers et les humiliant : pas besoin de ce spectateur non plus, pour ce que le témoin d’une lutte, c’est d’abord l’être en soi-même, raison pour laquelle nos adversaires ne sont et ne seront pas même – des témoins.

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