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Henry War
10 avril 2020

Par-delà le mur de l'amour

Quiconque refuse délibérément le jeu ordinaire de l’autosatisfaction entretenue par les passions estampillées « positives » ; quiconque a pris systématiquement le parti, dans le doute du bien-fondé de ces valeurs, de dénigrer les simagrées de bonne conscience qu’on se répète à soi-même et à intervalles rapprochés pour se sentir du « cœur » ; quiconque renie l’absoluité des tendresses valorisantes que seule une variété de la rumeur et du proverbe s’empresse d’appeler « humanité », celui-ci voit toute manifestation de bonté morale avec ô combien de scepticisme et de froideur ! Ces épanchements lui sont louches dès lors ! dès lors il fait peser un soupçon d’extrême malhonnêteté, dont les causes dissimulées les rendent même plus blâmables que la méchanceté, sur ces marques convenables et sollicitées de douceur où l’hypocrisie consciente ou inconsciente lutte insidieusement comme une sape contre la rationalité ! Avoir des amis, être d’accord, exprimer son agrément, vouloir faire plaisir, souhaiter appartenir à la vaste secte de ceux qui se réclament sympathiques et généreux, et, au suprême degré, considérer l’amour comme idéal incontestable, voilà qui provoque en le scientifique des comportements humains, en l’observateur scrupuleux des êtres de troupeaux, en le behavioriste expert de cette bonasserie à l’occidentale, un haussement d’épaule méprisant doublé d’une vigilante méfiance. Plus on sonde nos motifs, plus on discerne que le désir de faire comme tout le monde, augmenté d’une imprégnation éducative digne de la plus imparable propagande, conditionne les moindres de nos sentiments absurdes, au point qu’à bien y regarder, quand on s’épanche ainsi, on découvre qu’on n’y croit guère soi-même et qu’on se contente en loin de faire ce que l’on suppose son devoir d’« âme sensible ». Cela vaut pour toutes les affections qu’on éprouve, y compris de celles qui nous semblent tombées du ciel, spontanées, incoercibles, venues de l’extérieur et en cela censément « naturelles » ou « universelles » : rien que des pathologies encore, consistant presque toutes en des déformations du sens rassis, véritablement acquises et généralement peu nécessaires a contrario de ce que prétendent les philosophes noyés eux-mêmes sans y penser dans cette gluante soupe, car j’ignore encore en quoi l’individu aurait besoin, pour lui-même ou pour vivre en société, de l’amour ou de la pitié. Ce penchant qu’on lui incite dès le plus jeune âge, à dessein de se sentir appartenir à une communauté morale, à communiquer, à entretenir et à exacerber ses affects, n’est pas, quand on s’y penche vraiment avec examen, d’une salubrité fort digne : on offre ainsi la permission, et même on encourage, à se purger ostensiblement de ses compassions, et on constitue par là même un prémice mal hygiénique mais très bien vu à tous les débordements de faiblesse égoïste et déraisonnable où quelque bonheur insane naît du succès relatif et artificiel de partager le malheur d’autrui ; or, ce partage sentimental, qui n’a d’utilité qu’à se représenter la mentalité des gens c’est-à-dire la piètre mesure commune, n’est en fait un remède à rien, ne résout jamais le mal qui peut même être imaginaire, et oblige surtout à se figurer le moyen propice à consoler des imbéciles qu’on s’assimile alors, automatiquement, semblables à nous, ce qui est bien le procédé le plus efficace à déchoir dans telle assomption du bétail ! Cette subsumation de soi en l’autre en quoi se définit principalement la compassion, cette inclusion automatique de son être individuel et distinct dans le genre étranger de toutes les autres personnes, en tant qu’elle tend à s’imposer comme méthode et comme paradigme de pensée pour appréhender les hommes, est même un piège de la raison devenue incapable de s’objectiver singulière et unique. De surcroît, telle procuration de douleur, qui sert surtout de prétexte, à une époque où l’on ne vit plus guère de difficultés, à se donner l’illusion d’une existence intérieure, est d’une névrose assez répugnante, et son délire est suffisamment prouvé en ce qu’on n’entend jamais quelqu’un argumenter sur ses sentiments à dessein de les légitimer ; mais le sentiment, à l’opposé de toute justification, ne se réalise généralement que par imitation, et il a l’avantage de s’imposer plutôt en système facile non parce qu’il est humain et relèverait d’une quelconque nature, mais surtout parce qu’il est accessible, ne nécessitant que de répondre à une situation identifiée comme pathétique, à un stimulus en vérité, par une réaction-réflexe d’effusion plus agréable pour soi que pour n’importe qui d’autre. De sorte que le cynisme dont on voudrait m’accuser vaut encore mieux que celui qui consiste à feindre même de bonne foi des sentiments qu’on lui a inculqués et qu’il expose de telle manière et à telles conditions.

Vraiment, j’en suis venu à croire que tous les affects, amour compris, n’ont d’illusion de grandeur que parce qu’on s’inspecte peu et qu’on s’ignore la pantomime réglée à laquelle on se livre en s’y adonnant. Je suis joyeux, je m’en rends compte, uniquement parce qu’un confort de gaîté m’est plus avantageux pour me sentir vivre, et rien au monde ne vient me communiquer réellement du bonheur : cette sensation est une pure création de ma personne, je la sens parce que je l’appelle – seulement, moi, je suis encore l’un des seuls à le savoir. Au même titre, rien n’est triste en soi, et les larmes ne nous coulent toujours que parce qu’il y a du soulagement à pleurer, par conséquent, ayant compris cela, je ne m’émeus plus d’une affliction extérieure, ou du moins sans mesurer comme je désire surtout m’y soumettre. Et je n’aime plus – cela est vrai –, je me suis élevé au-delà de ce mur conventionnel où je ne trouve plus qu’affectation et que succombance de mièvrerie, j’y discerne même un entretien de l’état déplorable de la morale humaine où nous existons, un asservissement à l’irréfléchi, exactement comme le goût pour les plages bondées ou pour les parfums capiteux. Cette défiance, effectivement, fait que je n’aime plus, du moins plus du tout au sens collectivement admis, je ne m’abandonne jamais plus à une douceâtre humeur de tendresse, je me trouve aussitôt ridicule d’étancher dans la dépendance mon désir de complétude. Cette hauteur, je crois, me va assez bien, et je prétends qu’elle ferait de l’humanité entière le réceptacle bien plus noble d’Idées au détriment d’un laisser-aller assez contraire à la discipline qu’il lui faudrait pour se définir comme une somme d’individus, et j’en suis à ne percevoir les sentiments qu’ainsi qu’autant de moyens de soumission et d’aliénation efficaces à l’éloigner de la Grandeur à laquelle il serait en droit de prétendre – mais les Chrétiens détestent la grandeur individuelle où s’accroissent le jugement et la désobéissance, et je n’inventerai rien en clamant que c’est une religion d’ouailles au bénéfice exclusif des bergers.

Il est pourtant singulier qu’à trente-cinq ans j’ai atteint ce stade où presque plus personne ne peut me reconnaître un homme comme lui, un semblable ; où pour mon contemporain je me distingue en monstre tandis que c’est sa ferveur aux miséricordes qui me semble monstrueuse et grotesque ; où j’ai perdu toute commune mesure avec la morale traditionnelle et qui m’est si honteuse et odieuse, insensée et perfide, m’empêchant de trouver un terrain d’accord pour parler avec quelqu’un de quoi que ce soit d’important. Le détachement extrême que j’ai acquis par rapport à mes affects en opposition à l’extrême adhésion de chacun à son réservoir circonscrit et figé de valeurs émotionnelles, m’isole radicalement de toute cette cohorte de béatitudes et de complaintes sur commandes qu’on nomme « humanité ». Je songe à l’instant comme mon recul face aux sentiments est comparable à mes premiers mouvements d’effroi devant une télévision : l’impression d’être happé en vain, de ne pas accomplir ce pour quoi j’existe cependant que des images captent mon attention sans travail de la mémoire, la prévision coïncidente d’un temps passé à regret sans construction de mon être, en somme un épouvantable gâchis. Cette étape est rarement atteinte et les hommes du jour s’engouffrent avec un grand appétit d’oubli dans leurs séries abêtissantes et dans leurs divertissements futiles, comment donc entendraient-ils avec discipline l’inanité de ces supports qui entretiennent le mythe que l’homme est une créature de passion ? Ils ne sont pas du tout contraints en vérité à gober ces fadaises, nul ne les manipule, mais ils aiment aimer, c’est-à-dire qu’ils ont de l’agrément à s’imaginer autre que ce qu’ils sont – c’est en soi bien moins difficile que de se représenter un effort, une réflexion, une altitude à laquelle il faut atteindre par des étirements d’esprit. Mais l’immense bienfait de ne plus aimer comme moi c’est que la détestation, la haine, l’envie et toutes sortes d’autres humeurs négatives similaires tiennent une place tout aussi relative dans l’ensemble de mes perceptions, si bien que je ne me sens plus aucune disposition à me contrarier d’une crétinerie ou d’une offense : tout ceci est du registre des fatalités qu’il vaut mieux tâcher de prévoir ; c’est drôle, c’est si drôle ! Mon amusement est certes peut-être un peu factice comme le reste, mais je ne me figure pas, moi, qu’il existe pour d’autre raison que parce qu’il me sert à appréhender avec légèreté tout ce désert humain fatidique qui m’environne et auquel je ne peux rien. N’aimons rien au sens général, admirons tout ce qui a du mérite et efforçons-nous d’être admirable autant que nous apprécions de rencontrer une Grandeur et une Force : quant aux « Je t’aime » et aux bouillies de tristesse, réservons-les pour nos moments de solitude ridicule et sotte quand nous sommes fatigués et que nous ne savons plus très bien ce que nous pensons, car enfin, à bien y réfléchir il s’y mêle trop de conditionnement et d’irréflexions pour ne pas être aussi les dupes de ces maladies-là. Eh quoi ? sauriez-vous expliquer, vous, et par la saine raison, une seule cause existant aujourd’hui qui justifierait même l’amant ou l’affliction ? Le piteux dérisoire de notre époque ne vaut pas de succomber à ces faux-semblants comme si elle était encore en capacité de nous surprendre : sachons donc conserver de notre dignité et, du moins, garder en réserve nos hauts sentiments pour des circonstances supérieures à celles qu’on trouve dans cette vallée de continuelle misère, et qui, logiquement, ne se présenteront sans doute jamais ; et ce sera la preuve que nous serons déjà au-dessus de ce que l’ordinaire des vies mornes nous contraint quotidiennement de subir.

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Commentaires
L
Dites, Chef, avec ce texte qui ne dégouline pas d'amour, qui n'est pas tendre selon les critères bisounounesques, qui se fout de toute la bande de pleurnicheurs attitrés qui tiennent le haut du pavé dans notre société de fragiles, vous allez encore vous faire des ennemis (et des ennemies, faut pas oublier les chialeuses que sont les vertueuses et castratrices "féministes" actuelles).<br /> <br /> <br /> <br /> C'est tout pour aujourd'hui, Chef. Je constate que vous n'avez pas besoin de mon stock de shrapnels pour bombarder les connards.<br /> <br /> (J'ai écrit shrapnel au lieu de bombe ou autre obus en "exquis" hommage à vous-même. J'imagine que vous devez connaître le prénom de l'inventeur de cette "délicieuse" invention https://fr.wikipedia.org/wiki/Shrapnel
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