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Henry War
16 mai 2020

Contresens de l'égoïsme

Je me félicite d’avoir suggéré, à travers mes articles, combien l’égoïsme est neutre dans la considération de la morale. De cette notion, on ne retient que l’engagement à satisfaire ses intérêts propres, mais ne voit-on pas comme souvent son intérêt personnel rejaillit sur autrui, et de bien des façons ?! Tout dépend évidemment de ce qu’on entend par « intérêt », et s’il ne faut que considérer le penchant contemporain à toutes les formes de divertissement, on peut certes condamner l’égoïsme au rang des turpitudes et des bassesses les plus infâmes, des inanités les plus absolues et des animalités les plus vaines. J’exècre infiniment tout homme qui se comporte comme si son confort est ce qui a le plus d’importance, c’est-à-dire : je hais et méprise presque absolument tout le monde ! Mais ce n’est pas tant parce que ces gens se regardent et s’occupent d’eux-mêmes que parce qu’ils n’ont aucun jugement sain sur ce qui figure justement leur intérêt personnel et humain – ainsi ne leur en veux-je pas d’être égoïstes, je leur en veux, au contraire et plutôt que de se célébrer, de se négliger ! C’est l’indignité assumée et la dépossession qui suscitent ma révolte, c’est l’absence vertigineuse de conduite et de direction qui me poussent à des suprêmes dédains, mais j’y suppose bien plutôt une incapacité à s’admettre individu qu’une propension à se conforter dans l’individu ! Car enfin, pour qu’il y ait égoïsme, il faudrait qu’il y ait premièrement « un culte du moi » ; or, où est ce « moi » qu’on prétend que ces égoïstes vicieux valorisent ? C’est précisément l’opposé du moi, en l’état par exemple d’une paresse fort commune, d’un abandon extrêmement répandu de l’effort, d’un délitement consenti et tout conjoncturel et temporel d’une personnalité : si l’égoïsme consiste à cela, il faut admettre que c’est l’inverse de ce qu’on y entend, et que c’est en somme quelque chose comme le culte de l’anéantissement individuel. Cet égoïste-ci, en effet, je l’abomine et le méprise, mais je crois à présent être parvenu logiquement à faire admettre qu’il ne s’y trouve justement aucun égo, ce qu’on montrerait aisément en vérifiant que sa vie, actions et réflexions, ne provoque chez lui aucun sentiment de fierté.

Mais pour l’égoïste qui s’inspecte toujours, qui examine d’abord sa nature avant d’agir, qui mesure où est sa faveur profonde, son bénéfice intrinsèque, avant d’exécuter un geste ou de prononcer une parole, celui-ci devrait vouloir s’admirer en toutes choses, je pense, car le plaisir supérieur est toujours évidemment à se sentir meilleur : quelle jouissance de se posséder et de se savoir au summum de son être, après la performance et la suprématie ! Pour cela, il faut se connaître, et éprouver son autonomie et sa puissance : il y a un mouvement centripète du sujet qui sert de preuve à sa grandeur, puis viennent progressivement les démonstrations de force et d’unicité qui confirment un soupçon, mais il faut que cette réalité, pour être légitime et sincère, procède de l’identité. Le propre de l’individu, son noyau le plus dur, c’est de délibérer, et le fruit d’une délibération ne saurait être qualifié de bon s’il consiste uniquement à suivre des préceptes inculqués : ce fruit ne vaut alors rien par lui-même parce qu’il n’émane point d’un être mais d’une foule ou d’un apprentissage systématiquement appliqué ; il n’y a personne au juste à récompenser puisqu’il ne s’agit que de la craintive réponse à une programmation ! Le bien qui consisterait à faire d’abord l’intérêt d’autrui avant le sien propre, j’ai déjà cent fois montré qu’il n’existe pas, qu’il se réduit à une représentation inconsidérée, et aussi qu’il produit dans la conscience de qui l’exécute une impression de satisfaction par laquelle, par exemple, nombre de gens conditionnés estiment que le sacrifice est une valeur et tirent donc de la moindre privation un sentiment d’honneur et d’agrément de tête. Le bien, le vrai, le juste, ne méritent nulle estime dès lors qu’ils ne sont que des émanations sociales, et la façon dont ils servent à valoriser l’au-delà de soi, je n’entends pas de quelle manière il faudrait la louer dès lors que ce processus est automatique et fournit au sacrifié une sorte de bonheur. En ce sens, tout autant quelqu’un qui se bat pour son pays qu’un autre qui donne un organe à sa fille peut être admis comme égoïste, tant il est évident que le refus de son action, très souvent insufflée par lui selon les lois de son milieu, entraînerait une culpabilité dont, au sein d’une communauté de valeurs aussi figées que la nôtre, il ne ressortirait pas indemne, c’est-à-dire avec gêne et tracas – cet homme, en s’évitant le mal embarrassant d’un choix socialement et moralement douloureux, a accès à sa moins grande souffrance : or, le voilà, justement, son égoïsme.

Je propose, quant à moi, le paradigme contraire : que quelqu’un qui s’explore sans cesse et pèse toujours minutieusement l’intérêt de sa supériorité individuelle, en tant qu’il constitue alors un exemple pour l’humanité, contribue manifestement au bien commun. Et cela s’étend depuis des considérations toutes simples et éprouvées, par exemple en ce qu’une personne fort hygiénique et belle fait l’agrément de tous ceux qui la regardent, jusqu’à des représentations plus composées mais tout aussi pratiques, lorsqu’une décision surprenante d’autonomie issue de quelque individualité forte incite tout un vaste entourage à réinterroger ses propres préjugés. Suivant cette considération, j’admets encore, il est vrai, une chaîne d’influence entre des êtres de dignité par laquelle une émulation naît de la grandeur qu’on distingue en l’autre, comme si chacun pensait en somme : « Voici un individu qui a cultivé son intelligence et qui, égoïstement, a fait de lui un véritable trésor : il importe que je ne sois pas, à son contraste, déclassé et réduit. » – et cette chaîne, j’en conviens, dans une société de la consolation du néant, n’existe guère : chacun ne regarde « qu’au pire », c’est-à-dire tantôt en soi-même pour les plaisirs et tantôt vers tous ceux qui sont manifestement inférieurs pour le soulagement d’être de moins pire sorte. Et pourtant, qu’on mesure comme notre contemporanéité à l’occidentale vante l’altruisme, alors que mon modèle explicitement égoïste aurait des moyens ô combien plus efficaces d’élever la personne humaine grâce à l’imitation, mais pour soi, des spécimens les plus achevés ! Soit, je suis égoïste, il faut être égoïste dans la mesure où premièrement l’on s’efforce d’oublier les règles de pensée et toutes les conventions qui phagocytent l’individu, et où idéalement on tâche à forger, sur cette table rase pareille à un substrat désintoxiqué et assaini, une intériorité riche, satisfaisante de grandeur, aimable à soi de puissance et de hauteur en tant qu’homme et non en tant que mammifère. Saine philosophie où l’on vérifie constamment en soi pour ambitionner ce qui nous manque : que valent par comparaison tous ces héroïsmes imbéciles et larmoyants de gens qui, obéissant à maintes injonctions sociales et irrationnelles, par exemple donnent de leur temps et de leur argent dans des associations pour aider les plus faibles, ceux-là même qui, par ailleurs, se précipitent dans les grands magasins ou dans les stations-service au moindre signe de pénurie quitte à priver les autres de ce dont ils se sont gorgés sans besoin quand ils croyaient illogiquement en manquer ? Soyez égoïste, c’est-à-dire efforcez-vous d’être aimable à vous-même, non bien sûr en déformant votre réalité et en vous mirant par l’intermédiaire de quelque prisme illusoire et avantageux, mais, une fois auto-fixé froidement, en vous améliorant sans cesse de toute la force dont vous êtes capable : c’est cet égoïsme-là que je dis et qui ne saurait se départir d’un souci scrupuleux de la vérité. Rendez-vous admirable, c’est par ce moyen seul que vous vous rendrez bon aux autres et sans tricher, que vous imprimerez à l’entour l’agrément de votre compagnie et dans toute la société le désir de se grandir ; c’est l’égoïsme conscient et éclairé, et non sa fuite suivant je ne sais quel principe hérité du christianisme humiliant, qui développera l’intérêt et le bonheur parmi des groupes d’individus égoïstes plutôt que des foules grégaires et altruistes. Partout où l’on préfère hautement des hommes on exige des êtres enrichis d’eux-mêmes, c’est-à-dire de réflexions et de décisions personnelles plutôt que de doctrines et de dogmes communs ; je ne demande pas même, pour asseoir cette vision que j’expose, quelque culte de ma parole, mais je commande qu’on y réfléchisse, seul égoïstement, plutôt que d’en disserter en public avec pour toute pensée l’adhésion forcée à des valeurs négociées.

Et quelle joie alors de s’améliorer à ce prix, dans l’allégresse générale plutôt que dans la jalousie et la bêtise unanimes, et d’incessamment s’entretenir l’être sans endurer l’inepte et envieuse réprobation des sots ! Se satisfaire de cette disposition à s’inspecter, et se savoir, ce faisant, sous l’approbation égale des égoïstes comme soi, les plus sages et les plus valeureux des hommes : ah ! plaisir à nul autre pareil ! remède à notre décadence ! Mais à l’heure où j’écris, le trait de plus grande philosophie pour la plupart – et que j’ai entendu de nouveau il y a moins de trois jours – demeure : « Si tu n’es pas d’accord avec tant de gens, c’est que tu devrais y réfléchir de nouveau », abominable proverbe où c’est plus que l’égoïsme qu’on pourchasse, bien que son substitut lui soit nécessairement lié par maintes accroches : c’est l’individu, en ce qu’il abîme de son juste orgueil la misère avérée de ceux qui parlent au nom de l’altruisme, autrement dit de leur penchant – à n’être rien comme les autres !

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