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Henry War
12 juin 2020

Conquête

Il n’y a rien de si nettement supérieur que la conquête, en l’homme : tout renoncement à cette visée magnifique et régalienne est un en-deçà de ce qu’il vaut, un pauvre pis-aller, une résignation indigne et souvent bardée de prétextes ; l’esprit de conquête est son summum, son parangon et son apogée, en un mot : son paroxysme. Et par esprit de conquête, j’entends un mouvement d’emprise sur autrui et pas seulement une amélioration subjective de soi-même, la menée d’une entreprise systématique de supplantation de quelqu’un, une ardeur véritablement guerrière et perpétuelle à l’encontre de gens identifiables : car il est toujours facile autrement de s’estimer supérieur à ce qu’on fut, de n’ambitionner que des défis intérieurs et ponctuels ne permettant pas de vérifier concrètement la réalité d’une suprématie, de se contenter en somme de succès relatifs, supposés et virtuels quand il ne s’agit que de se fabriquer artificiellement de la valeur sans jamais nuire à personne. Mais se confronter à une adversité tangible, rivaliser à intervalles contre elle pour un but défini et constater à la fin sans contredit qui l’emporte, ne point reculer aux vigueurs et aux coups qu’on subit comme autant de preuves d’une difficulté flatteuse et réjouissante, prendre un plaisir de fierté aux blessures et au sang versé, et, au surplus, n’aspirer en ces œuvres d’exploit qu’à des satisfactions provisoires et qu’à des repos de transit, je ne vois pas de plus haut mérite en l’homme, de plus mâle et noble vertu, de plus riche et vivante preuve d’humanité que cette assomption d’un souhait intarissable de victoire au sens le plus matériel, le plus physique, le plus viscéral possible. Quelle que soit même la cause d’un combat, un triomphe personnel sur quelqu’un est toujours une apothéose, bien plus éclatant et héroïque que tous les petits succès innombrables qu’on croit remporter quotidiennement sur soi-même en entretenant quelque ambition humble c’est-à-dire mesquine et en s’arrogeant des réussites modestes qui sont en effet minuscules mais qu’on se plaît aussitôt à vanter en gloire et en lauriers, pour se rassurer de ne rien accomplir de vraiment sérieux. Cette sorte de gloriole, cette vanité confinée à son for, on se l’attribue toujours faute de criterium et de podium utiles à matérialiser une compétition, un engagement, un défi – criterium et podium étant des outils de comparaison incontestable et de discrimination de valeur, c’est-à-dire autant de manifestations sensibles d’une émulation ferme et de bon aloi, induisant les conditions objectives d’un succès – ce qu’on peut résumer par « relever un gant ». À l’opposé se situe l’irréfragable authenticité d’une lutte épanouie et extériorisée, où s’exprime une pleine façon d’être au monde, une tentative – une tentation ? – d’assouvissement éhonté et sensuel de ce qu’il y a de plus puissant en soi, une volonté d’affranchissement de l’inutile servitude ordinaire, jouissive, voluptueuse, décomplexée, un projet d’élévation inscrit dans le monde prosaïque et réel plutôt qu’en une imagination vague et pleutre, cet univers douceâtre de fabrications et de consolations mentales. Et je ne puis me représenter la bravoure masculine que comme l’affrontement d’un péril, et je n’entends pas quel péril on distingue à remplir des devoirs aisés et très répandus, comme par exemple investir une maison mal défendue avec des fusils d’assaut et sous la protection d’un ou deux drones pilotés à l’abri du danger comme des jeux vidéo et peut-être par des obèses : la franche et brave dimension de la guerre a disparu y compris chez nos militaires, il ne devrait pas exister de bataille avec des armes à feu, si l’on avait le moindre égard pour l’entretien de la masculinité il ne faudrait user que d’épées en une saine égalité d’armures. Mais on a renoncé à l’homme au profit du seul et vil gain de circonstance, au point que le camp qui « gagne » une guerre aujourd’hui est en général celui qui compte le moins d’hommes consacrés par la valeur des actes et la ferveur de l’idéal. C’est pourquoi le corps est pour moi d’une toute première importance chez l’individu, non seulement en ce qu’il indique une moindre discipline, mais en ce qu’un homme entier est quelqu’un qui ne rechigne pas à se battre et qui, dans cette éventualité, tient toujours disposées ses forces au combat, sans qu’un quelconque handicap puisse lui servir d’excuse pour ne pas agir au pied levé et dans toutes les situations qui exigent de son étendue un renfort ou une efficace défense. C’est ainsi que je rêve d’une société d’hommes et de femmes vrais, et non de ces bourgeoises et pâles figures qui laissent toujours mollement à d’autres le soin d’exécuter leurs devoirs au sein d’un régime républicain de lâcheté et de déprise ; et je me figure une belle société responsable où la vigueur masculine serait entretenue par une vie saine sans le recours nécessaire à des machines, et où la superbe féminine conserverait le principe de fécondité vitale qui la rend si enviable et altière – une société de forces et de désirs. Mais pour l’heure, il faut reconnaître que notre monde récompense mal le mérite, et que tous les meilleurs efforts pour s’élever n’offrent aucun avantage social, nulle distinction même subjective, quand ils ne suscitent pas tout bonnement au contraire l’hostilité et la jalousie : ce songe que je forme est encore fort inaccessible, loin de la portée intellectuelle et émotionnelle du contemporain. Et tout ici n’est-il pas en effet que cooptations et opportunités, et triomphe-t-on d’autre façon qu’en appartenant à des groupes, et plutôt même par naissance que par prédilection ? Ce fait sinistre et injuste constitue la meilleure raison – du monde – pour n’avoir aucun scrupule à triompher par tactique, par surprise ou par ruse, pour autant que cela implique un risque et l’aventure d’un coup porté contre quelqu’un qui, sans perpétuelle dissimulation, finira par recevoir l’éclat d’une révélation subjuguée de son mal : un combat non pas lâchement instruit sans son ennemi, mais où celui-ci accuse réception, par l’aveu brillant de son opposant même, de sa propre défaite ! Même ainsi, il y aurait encore un immense mérite et beaucoup de fierté, à ce que je crois, à l’emporter contre des statuts, et particulièrement contre des status quo, qui sont imposés par toutes sortes de convention et de lois tacites comme autant d’oppressions sans acte contre l’homme ou comme autant de guerres sans déclaration. Pour moi, tout ce qui entrave la dignité humaine est un juste casus belli, même si cette entrave est incarnée par des bonhommes ventripotents et politiques, habitués à des négociations et à des compromis, et rendus incompétents à la défense et aux rixes. Sans doute, tant le monde est devenu faible, nos victoires stupéfiantes seront aisées tout d’abord, parce que personne ne s’attendra à ce qu’elles surgissent d’une telle apparence d’immoralité assumée, et aussi parce que nos ennemis ne seront plus accoutumés qu’à des luttes d’influences et nullement à des manœuvres de guerre : leur esprit continu de repos et leur espoir d’établissement long – autrement dit leur sommeil embué de confort moral et d’inconséquence comme doctrine – ne les apprêteront pas à trouver des conquérants sur leur chemin c’est-à-dire une race active et impavide, farouche et vénérable de volontés dures, tranchantes et solitaires ; car nous mènerons nos assauts implacables sans le renfort de grands dispositifs d’association collective, ce qui paraîtra même à nos victimes imprévisible et impossible. Nous triompherons ainsi de leur plate vilenie et peut-être au moyen de quelque vilenie inattendue et supérieure, mais ce sera à dessein infatigable d’instaurer durablement le culte du triomphe viril, le culte de l’homme responsable et pur, au même titre qu’il faut toujours une façon de tyrannie pour qu’un éclaireur du pouvoir accepte de se déposer pour établir la démocratie. Pour l’heure, le cycle sempiternel des lâches parvenus n’entretient que la tradition héréditaire des richesses célébrées et des amitiés d’opportunité, ce qui abaisse l’homme en son ensemble au lieu de l’inciter à des gestes de légende : comme on ne prend généralement exemple que sur qui est au sommet, ceux dont il s’agit en l’occurrence n’ayant vraiment rien pour réveiller le désir d’initiative et de grandeur méritoire qui caractérise la conquête, tout un peuple en est réduit à se cantonner, à se conforter et à vouer toute sa gloire aux idées pitoyables d’obéissance et d’ancienneté qu’une hiérarchie dont il faut vanter la bonne volonté par bénéfice du doute est supposée récompenser, et c’est sur cette morale exclusive et bête qu’il fonde désormais sa valeur ! Des brebis gonflées de politesse et de diplomatie, d’ouvertes tolérances mais de compromissions recelées, ont formé d’autres brebis bienveillantes et soumises sur lesquelles on déclare qu’elles veillent en feignant d’y croire : moi, je dis qu’il faut au moins un premier bélier en l’enclos, avec des cornes dures et la fougueuse envie de s’en servir, pour libérer en chacun la soif du mouton fondamental et inciter à de plus puissants animaux, à des animaux véritables, à de profondes et belles natures d’animaux. En les galvanisant de force et de volonté exemplaires, elles deviendront peu à peu de fiers et beaux mâles à leur tour, en désireront les vertus admirables, et à la fin certainement s’érigeront en hommes quand elles auront fait de leur laine une cuirasse et quand leurs sabots indolents leur seront d’un autre usage que pour aller brouter grassement avec quiétude et paresse. Il y aura enfin une conscience de la puissance qui est le prélude à toute action bonne ou mauvaise. Cette conscience vaut mieux que la paix, en ce qu’elle dignifie dans le faire au lieu d’attendrir dans le subir. Notre époque oublieuse et docile nous a fait oublier la vertu supérieure d’agir c’est-à-dire d’être, car en individus nous sommes bâtis de toute éternité pour le mouvement : c’est pourquoi, depuis des décennies, il n’y a plus personne chez nous, plus un individu, et c’est pourquoi aussi tout ce qui nous paraît le plus mû, par l’effet d’une décadence installée et d’une pensée d’idéal passée en facilités et en langueurs, nous semble aussi à présent le plus despotique et le plus immoral. Mais sachons contempler celui qui sait porter des coups à tout ce qui résiste à sa grandeur, gorgeons-nous d’épique et du sentiment d’enivrement affamé qui en découle : ce spectacle instinctivement, parce que nous n’avons cessé qu’extérieurement d’être des hommes, nous émouvra de gloire et de fortune, comme les Grecs vaillants d’autrefois ne redoutaient point de porter aux adulations les audaces les plus téméraires et même les plus terribles, et nous serons gonflés de la vision d’un tel choc, et bientôt nous voudrons l’imiter et l’atteindre, puisque même un crime est une invite et qu’il n’y a pas d’expression plus impatiemment troublante que celle de se « raviver le sang », au même titre que le premier enfant venu aspire à voler dans le ciel sitôt qu’il voit les oiseaux fluides et gais virevolter et s’ébattre au-delà de la terre figée, de la terre sombre et lourde où rien ne bouge, où tout demeure étal et bas, impassible et stupidement content comme le christianisme.

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