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Henry War
30 juin 2020

Les nouveaux populaires

Au nom de quoi s’arrogent-ils le qualificatif de « populaire », ces Ruffin, ces Onfray, ces acteurs amicaux et tous les autres pseudo-humbles qu’on consulte beaucoup mais à qui nul ordinaire ne parle jamais ? D’aucun feint de rendre des interviews naturelles avec des simples qu’il a d’abord soigneusement sélectionnés ; d’aucun a tenu des conférences dans une université dite « populaire » parce que gratuite où, au même titre que n’importe quel fat d’enseignant-chercheur, il avait toute latitude d’élire ou de négliger les questions qu’on lui posait (c’est même prodigieux, je trouve, ce pléonasme « d’université populaire » où nul professeur n’a corrigé une seule copie ! A-t-on déjà vu qu’une faculté soit autre chose qu’un endroit où monologue pendant deux heures et sur un sujet extrêmement élitiste, théorique et rasoir, un enseignant qui finira par déclarer, inévitablement, au terme de sa conférence : « Je regrette d’avoir dépassé mon temps de parole : il me reste huit à dix minutes pour répondre à quelques questions, si vous voulez. ») ; d’aucuns ont raconté leur quotidien confiné depuis des appartements manifestement luxueux où ils ont dû remercier des employés d’hôpitaux publics que de toute évidence ils ne fréquenteront jamais : tous ces gens, la plupart demeurant par commodité à Paris, ont cessé depuis longtemps d’appartenir à la classe qu’ils prétendent défendre – ils se contentent d’entretenir un mythe qu’à présent ils ignorent, ils ont insensiblement glissé vers une autre sphère, ils sont déconnectés eux aussi. Eh quoi ? en doutez-vous ? avez-vous essayé d’obtenir de l’un d’eux la réponse à une question ou le moindre petit autographe ? Il vous faudra d’abord passer par une multitude d’intermédiaires rémunérés qui, une fois de plus, permettront ou ne permettront pas qu’on accède à ces messieurs selon que vous serez : déjà introduit, un peu célèbre, médiatique en quelque sorte, profitable à leur réputation, etc. Ces personnes ne se laissent pas aisément approcher, au point qu’elles ne procèdent plus elles-mêmes au choix de qui peut les joindre ; ce sont des philosophes mercenaires qui ne consentent à réfléchir à une question que le temps qu’ils sont payés pour cela et qui arrêtent leur rédaction ponctuelle à la minute exacte où leur tarif est échu : c’est pourquoi on constate qu’ils varient rarement leurs sujets, qu’ils ne font sempiternellement que retourner une même idée qui les a fait connaître depuis quinze ou vingt ans. Ils s’assoient dans les sièges qu’on leur dit, à telle heure prévue, snobent tous ceux qui ne sont pas inscrits à leur planning, rédigent quelque papier avantageux de vulgarisation superficielle ou filment une vidéo où ils paraîtront accessibles : ils ne font plus que ressasser une idée du peuple d’il y a longtemps et qu’ils ne côtoient plus. Ils prétendent parler pour nous sans jamais daigner parler avec nous. Ils se sentent provinciaux parce qu’ils accèdent une ou deux fois l’an à leur domicile secondaire où ils sont supposés avoir leur racine et se « ressourcer », et cependant ils défendent qu’on accède chez eux, ont un service d’ordre privé ou bien de sérieuses murailles pour interdire tout contact avec l’extérieur. Ils se sentent « normaux » pour ne faire qu’entretenir depuis des décennies des relations qui ont grâce à eux accédé à des places, obtenu d’être édités, accrédités quoi qu’on entende par là, et, si vous n’êtes pas connu, si vous ne disposez d’aucun autre titre que celui que vous confère un esprit ferme et délié en dépit de vos idées peut-être fortes, il n’est pas question de les trouver, il vous faudra faire siège longtemps dans des antichambres de négligence avant d’obtenir audience, remplir des formulaires, faire bien des insistances, car tous ces gens exigent au préalable que vous leur présentiez des appellations certifiées – professeur, député, écrivain, homme d’affaire – tout cela pour gagner d’être considéré cinq minutes comme un importun ordinaire et laudatif, surtout utile, bientôt oublié, parmi ces fâcheux nécessaires à qui l’on fait un sourire de mauvais aloi et qu’on fuit sous mille prétexte aussitôt qu’on le peut. Les plus populaires de nos tribuns ne sont que des consultants appointés, incapables d’entendre comme leur retraite est effective tandis qu’ils déblatèrent, éloignés qu’ils sont des illusions de proximité du peuple qui font toutes leurs recettes et qu’à toute force pour leur image et leur conscience ils préfèrent entretenir, bien résolus au fond à faire sur ce mirage surfait tout le profit qu’il leur est possible et dont ils ont besoin comme d’une dépendance pour nourrir leur famille. Ce sont des poseurs professionnels, et on serait bien en mal, depuis qu’ils ont commencé leur carrière et existent comme consultants, de vérifier quelle nouveauté et quel service ils ont rendu au monde auquel ils prétendent encore apporter leurs si précieux conseils.

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