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Henry War
4 août 2020

Rien d'adulte

Il m’est devenu impossible de considérer qui que ce soit en adulte. Partout où je vais, je ne vois que des enfants qui se dissimulent, jusque dans les milieux où les gens ont le plus intérêt à cacher leur puérilité. Je n’entends plus un discours notamment de spécialiste – scientifique, politicien, consultant… – sans que mon esprit ne tâche à saisir au préalable la posture enfantine de celui ou celle qui le prononce. Et ce que je vois premièrement, ce sont tous les apprêts qui masquent la jeunesse : la barbe de mode et les tatouages parce qu’on n’assume plus d’avoir l’air inexpérimenté comme on est, l’attitude factice de dignité éloquente avec toutes les expressions rebattues mais qui font adulte, les mines par lesquelles on s’efforce de montrer qu’on n’est décidément plus au lycée et qu’on est définitivement « solide » et « sérieux », en somme, tous les stéréotypes censés incarner extérieurement le recul et la sagesse… moyens qui ne font que révéler à un regard entrainé combien on a pris l’habitude d’avoir peur de soi-même, combien on doute continûment de son identité, et combien on s’inquiète de la façon dont on présente, n’ayant guère à quoi se « suspendre » pour paraître élevé (combien cette volonté de paraître est en soi un symptôme de l’enfant qui se sait encore indigne et incertain et qui, par tromperie, essaye de se faire plus qu’il n’est !). Alors, évidemment, on s’efforce à compenser le simulacre et l’hésitation persistants par des apparences de maturité, et ces tentatives systématiques, qui se changent en « seconde nature » où qu’on aille, prouvent qu’on n’a pas in petto un fier et stable sentiment de sa valeur ! Je constate ainsi toutes sortes de gens, partout – au travail comme à la télévision – qui, rien que dans leur façon d’affirmer quelque chose, m’affirment aussi qu’ils n’en savent à peu près rien, qu’ils se situent en réalité bien en-dessous de ce qu’ils prétendent ! C’est déchirant, presque ! Des arbrisseaux portent de lourdes écorces artificielles autour de leur tronc fin, ils font bruire furieusement leur feuillage comme s’ils donnaient au vent des nues, et je n’en vois que la crainte d’être jugés trop maigres et de n’avoir pas d’envergure. Or, celui qui redoute qu’on lui reproche tel vice justement indique par là-même son embarras et son incapacité à démontrer que ce vice en lui n’existe pas : je ne suis pas confiant, par conséquent j’affiche de l’assurance.

La contradiction entre cette « affectation de tenue » et l’inconsistance d’une parole trahit toujours l’adolescent, ce jeune être qui feint une connaissance qu’il ignore pour mieux s’intégrer aux grands par pure vanité ou par « triche », et combien d’adolescents publics par exemple la crise sanitaire du coronavirus a indiqués ! Celui qui en sait peu, et qui est en ceci en l’état d’un enfant, plutôt que d’admettre sa lacune assume péremptoirement des déclarations fausses (ce n’est pas le propre des politiques : j’ai déjà expliqué comme chacun, en son travail, feint d’être plus compétent qu’il n’est, de sorte que notre société n’est plus composée que d’amateurs) : mais pourquoi ? quel déshonneur y a-t-il à ne pas savoir quelque chose et à le reconnaître ? Aucun ! c’est le propre de celui en qui on se fie de reconnaître ses insuffisances, et même en politique, parce que chacun se doute que nul homme ne peut être omniscient ! Oui mais voilà : chacun aussi, vivant dans la même perpétuelle situation de parade, a acquis en permanence la faculté à simuler en quoi consiste toute sa carrière en tant qu’être humain, et il n’entend pas que ses représentants n’y soient pas aussi aptes et versés que lui, sur quoi il les juge entièrement ! C’est là le défaut d’une assemblée d’enfants présidée par des enfants élus : ces gens obéissent au même code et n’admettent pas qu’un homme soit celui qui, justement, arbore franchement : « Je ne sais pas. » Il est vrai de surcroît – et je l’ai abondamment démontré également – que le contemporain ignore tout de la façon adulte de récolter une idée nouvelle, c’est une méthode qui ne correspond pas à la façon dont il estime que toute connaissance est supposée s’acquérir pendant les études, alors il suppose naturellement qu’elle doit être inscrite dans le professionnel avant même qu’il ait occupé sa fonction ; c’est pourquoi, s’il ignore une chose, on le suppose condamné à ne la jamais savoir, par extrapolation à partir de soi-même.

Ah ! mais moi, je vois les enfants, si mignons et si tendres, si naïvement sots, leur visage poupin, leurs désirs d’amitié, leur crainte de la solitude, la manière dont ils ont été rejetés pour leur différence et comme ça les a affectés, je le vois partout, avec tout le jeu des « types », c’est-à-dire des postures très identifiables, qu’ils se sont donnés pour rassurer ou pour complaire à leur entourage ! Leur physionomie s’est crispée en cet évitement d’être, et je ne vois plus, quant à moi, que la crispation, que la pose pétrifiée dont j’ai appris à déchiffrer la signification. C’est sans me forcer, par l’effet d’une espèce d’imprégnation psychologique, que je décrypte une part pathétique de ce qu’ils recèlent et dont la révélation prend toujours environ la forme de détentes potaches ou de complexes refoulés. Pour ce qu’ils disent, leurs moindres mots produisent leur mauvais aloi, et il suffit qu’ils s’énervent au surplus, et les voilà tout à fait publiés, réduits à ma merci, et tant disposés à me faire affectionnément pitié ! Je jure que ce que j’explique ici n’est pas une vantardise, ni une façon de me situer artificiellement « au-dessus », et pour preuve : je n’entends pas comme les autres ne perçoivent pas ainsi que moi les postures évidentes qu’on leur soumet. Seul me comprendra celui qui, à l’occasion, a eu rien qu’une fois envie de dire à quelqu’un de faux et de démasqué, et si sincèrement, et avec tant de douceur : « Ne t’inquiète pas, ce ne sont que des idées. Je veux bien être ton ami et te faire un câlin, je ne vais pas révéler combien tu es enfantin, tu ne perdras pas par ma faute ta face d’adulte ! Parlons secrètement en camarades de classe, si tu préfères : je ne dirais à personne combien tu es jeune pourvu que tu me sois sincère ! Juré-craché ! »

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