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Henry War
7 août 2020

Face à ceux que j'admire

Je dois toujours me méfier de ma façon d’agir – me surveiller – en présence d’individus que j’admire ou de gens dont j’ai intérêt à me faire apprécier, et même jusqu’au second degré : comme je me défie particulièrement d’avoir l’air obséquieux, j’ai tendance à prendre avec eux le ton exactement inverse, celui à peu près de la négligence, et ainsi j’abîme mes effets par désir de ne pas ressembler à un solliciteur. C’est que je ne parviens pas à me figurer que pour plaire je devrais nécessairement me présenter comme inférieur en m’humiliant, et j’entends conférer en frère, car même un disciple est d’abord un frère, un camarade qu’on tutoie, un compagnon, et je veux que toute personne que j’invite à ma table se nourrisse du pain que je lui présente. En cela, j’ai l’assurance de ne jamais pouvoir rien risquer à la célébrité si elle devait m’advenir, aucune altération de mon caractère au rapport de ceux qui ont déjà acquis une renommée : c’est que je n’ignore pas quel concours de circonstances il faut pour y accéder, et je ne saurais me représenter un trésor d’efforts très au-delà de celui que je paye quotidiennement pour produire des réflexions qu’ailleurs je rencontre rarement beaucoup plus brillantes et plus neuves. En somme, je veux chaque fois faire ma place en égale dignité et non en servile lézard qui espère se faire octroyer des recommandations ; c’est en cela que tout logiquement je ne souhaite que me confronter à ceux que je sens à ma mesure – j’y prétends à une émulation vigoureuse –, et je laisse ceux qui me sont trop élevés à l’alimentation exclusive de mon étude actuelle, réservant l’espoir de leur entrevue au jour où je les aurais compris et peut-être atteints. Il n’y a pas, dans mon tempérament à ce point rationnel, l’intention de parvenir à une hauteur sans exiger qu’on estime premièrement l’envergure de mon mérite. Je veux bien qu’on me hisse un peu sur une éminence qui m’est due ou qui m’est en quelque sorte promise, mais je réclame que ce soit à l’aide d’une main comparable à la mienne et non par la dispense d’une faveur. Là est mon absolue garantie de propreté et d’incorruptibilité, à tout jamais.

J’imagine qu’un homme vraiment estimable et sage saurait repérer cette faille dans mon entretien, cet abord âpre par lequel on distingue à la fois une pudeur mâle et une vigilance un peu excessive portée à l’intégrité, mais je sais que le temps manque aux hommes estimables et sages, et certains ne se sentent déjà plus désireux de découvrir et d’apprendre parce qu’ils se savent édifiants par eux-mêmes ; ils ne recherchent plus, promènent un blasement cynique, une désillusion passée en système sur le monde, et leur « mode de regard », le prisme de toutes leurs observations, induit automatiquement l’idée qu’il doit y avoir quelque défaut rédhibitoire sur tous ceux qui les observent et entrent en contact avec eux ; par conséquent, il ne faut pas que j’espère beaucoup réussir en les côtoyant : je ne leur serai encore à première vue qu’un solliciteur importun, mais de cette race plus pénible encore et apparemment vaniteuse qui n’a pas appris par exemple l’usage de faire d’abord des politesses et des compliments ; or, pas sûr qu’on se penche sur leur cas à seconde vue.

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