Donneurs de leçons

Il ne faut pas trop s’étonner des risques que prennent certaines personnes en s’arrogeant le droit et l’autorité de réclamer que les autres respectent la loi quand la loi dont il s’agit est si décriée. Il ne me viendrait pas à l’esprit, au prochain rond-point, de descendre de voiture et de dire au conducteur de devant que la portion qu’il a traversée est passée à 80km/h depuis plusieurs mois et que ce serait bien qu’il l’applique : en le faisant, du moins, je m’attendrais logiquement à des réactions et me préparerais à quelque variété de la violence.

Les gens n’ont manifestement même pas conscience de l’importunité qu’ils causent en devenant insupportablement des porte-parole de la contrainte et d’une certaine oppression. Ils se sentent bien parce qu’ils appliquent des protocoles simples, ils se font les agents d’une morale aveugle – la loi bête –, et ils sont incapables de se rendre compte qu’ils manquent de rigueur et de professionnalisme dans tous les autres domaines de leur vie. Ce qu’ils appellent civisme est une façon de masquer justement qu’ils ne sont décidément aptes qu’à appliquer des ordres, au point de se croire permis à les répéter à tout le monde, même quand ces ordres sont douteux ou mauvais – ils sont en somme incapables de recul, car non seulement il ne leur viendrait pas à l’esprit de contester ces ordres, mais en plus, se sachant justes sans contredit, ils ne savent plus se mettre à la place de quelqu’un qui serait résolument d’un avis contraire. C’est en soi une preuve d’obtusion et d’imbécillité que de s’étonner de la brutalité qu’on suscite en se faisant le vecteur de telles lois.