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Henry War
9 septembre 2020

Dans l'attente d'un procès

Le procès de l’attentat terrible de Charlie Hebdo, à ce qu’on en voit, est jusqu’à présent révélateur de la façon dont on comprend la justice aujourd’hui comme instrumentalisation de la symbolique du mal et des victimes. On a établi comme toujours une multiplicité de parties civiles qui se sont constituées par associations dont beaucoup n’ont rien à voir avec l’affaire que de manière tout symbolique et ne savent dire que des généralités qui font perdre un temps considérable à l’exposition de la vérité, et, depuis le début, on exprime des sentiments, on crée et entretient l’émoi, on relève des détails pitoyables, on dévoile des sensations fortes, odeurs du sang et de la poudre, on explique le soin des blessés, leur mine funeste, leurs derniers mots, on veut rendre hommage à des morts, une variété de ferveur réunit tous ces gens à qui l’on donne la parole ou qui la réclament sans intérêt. On pleure, on s’épanche, on demande des avis à des personnes sans qualification, les avocats poussent aux épanchements, on s’exclame, on vibre, c’est touchant si l’on ne considère pas combien on fabrique ce climat, ce doit l’être, on exige que ce soit pathétique, il le faut, dit-on, par « devoir de mémoire » comme si la mémoire, c’était la compassion et la transmission des sanglots. Je ne sache pas que ces jérémiades, aussi sincères et éloquentes soient-elles, apportent quoi que ce soit au dévoilement de la vérité, puisqu’on dispose déjà de toutes les vidéos des faits et puisque ce ne sont pas même les assassins qu’on juge, étant morts, mais ceux qui ont pu leur venir en aide. On semble confondre un procès avec un cabinet public de psychologie, une manière de thérapie de groupe où je vois de la faiblesse dégoûtante à cette incitation grégaire à parler des souffrances, où l’on expose impudiquement des blessures, où l’on aspire à partager des passions en les comprimant aussi fort que possible et en les faisant volontairement suinter – j’y vois, et ce m’est atrocement hideux, non pas l’impartialité du haut tribunal au grand recul, mais une variété du divertissement pour foules en mal de sensations, un manège, une foire, mais pour l’effroi ici au lieu de l’excitation – ; on institue une façon de reconstruction mentale par la catharsis et par le deuil sursolennel d’où une croyance populaire voudrait qu’émane une sagesse, d’où toute une société, quand même fort voyeuriste et en quête d’événements qui manquent à son existence, espère tirer, comme devant une assemblée d’individus devenus soudain profonds par l’adversité (mais c’est une illusion de croire que l’adversité rend profond), un enseignement de grandeur, avec exemples à l’appui. Et pendant ce temps, on ne récolte pas des pièces, on ne dresse pas des interrogatoires nécessaires et serrés, on n’instruit pas une culpabilité, on fait le travail jadis dévolu à l’église en formant une sorte de cercle de cohésion humaine, en activant une solidarité-réflexe par la tendresse et par l’image trop faciles : moi, j’attends encore le procès, raisonnable et objectif. Un procès ne devrait jamais consister en un exutoire, avec ou sans bonnes intentions.

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