Médias du contemporain

Qu’enfin le contemporain cesse de se plaindre de ce qu’il a lui-même créé, se figurant toujours, pour son honneur (et son oubli d’opportuniste), qu’il s’agit de la création d’un autre : c’est une sale manie, surtout en France, de reporter sur autrui ses propres responsabilités (bien qu’elles tendent à se réduire à rien). Ce n’est pas parce que les médias sont largement financés par l’État et transmettent sa propagande qu’ils se perpétuent, mais c’est parce qu’en dépit du choix pourtant large des Français, ce sont justement ces médias qu’ils regardent spécialement : s’imagine-t-on qu’une chaîne ou qu’un magazine pourrait se poursuivre sans un minimum de téléspectateurs ? On paraît croire que le journal le plus regardé d’Europe (d’Europe !) n’est pas celui, si racoleur, de Jean-Pierre Pernaut : est-ce qu’on force les gens à s’asseoir devant ça ? Depuis longtemps, on fait semblant de s’offusquer de ce que la télévision propose, mais c’est exactement tout ce que les Français veulent voir ! On surestime beaucoup nos compatriotes en supposant qu’ils sont condamnés à élire ces vacuités, que les médias abusent d’eux, qu’ils les influencent et les exploitent notamment en jouant sur toutes les émotions viles de l’humanité, mais ce sont les gens eux-mêmes qui se précipitent aux médias, qui les réclament, les modèlent et les exploitent tels qu’ils sont ! Si la télévision les hypnotise, c’est uniquement parce qu’ils ont grand plaisir à être fascinés, mais rien de tout ceci ne les révolte, ils n’y résistent pas, ou ils n’y retourneraient pas ! On voudrait que les médias aient pour mission d’édifier, qu’ils se situent au-dessus de leur public, qu’au lieu de conforter le Français dans des humeurs françaises ils véhiculent des valeurs étrangères, en somme il faudrait que la télévision parlât un autre langage que celui de son pays pour l’habituer à la dignité et à la grandeur : quelle naïveté ! on a l’air de ne pas savoir que tout ceci est du commerce. Face à la concurrence, face au marché audiovisuel qui n’est qu’une façon d’apporter une offre à une demande existante, les chaînes se conforment à la mentalité la plus répandue ; or, qui oserait contester que la forme actuelle de nos médias ainsi que leur ordre d’importance représentent précisément l’état d’esprit national ? Non, les Français ne sont point meilleurs que les médias qu’ils ont : s’ils désiraient par exemple une information pertinente et complète, ils iraient la rechercher, et c’est un autre journalisme alors, qui existe pourtant quoique comme « niche », qui en profiterait et deviendrait la référence. La vérité de la demande ? Le contemporain ici aime : l’émotion facile, l’information simplifiée, les scandales fabriqués, le sport, les brèves d’Internet, les fragments de vie quotidienne, toutes les variétés de la calomnie ou du ragot, les petites phrases médisantes ou stupides, ce qui est immédiatement accessible et impressionne, ce qui suppose un jugement aisé et conforme, les résumés, synopsis, digests, en somme : tout ce qui ne lui demande aucun effort, ni de mémoire ni de compréhension. Il souhaite ce qui lui ressemble : une longue et confortable paresse – eh bien ? il l’a ! c’est tout juste ce que ses médias lui donnent ! Il semble que par obstination à ne pas voir qui est vraiment son voisin, on l’admette d’emblée comme sage, qu’on le respecte comme l’individu qu’il n’est pas et qu’on ne lui a jamais constaté, qu’on le prenne pour un De Gaulle, et l’on s’insurge pour lui de ce dont il est censé s’insurger lui-même ! Est-il trop timoré ou trop idiot, selon vous, pour le faire lui-même, s’il veut ? Le peuple français, comme presque n’importe quel peuple, est une meute qui sait montrer les dents à l’occasion et dont on craint toujours le mécontentement : jusqu’à présent on lui donne un os à ronger, avec de la pâtée, et il remue la queue ; songez-vous bien à lui donner du caviar ou du saumon ?! Mais il vous mordrait peut-être !…