septembre 2020

Je trouve le suicide, pour ainsi dire, d’assez « mauvais goût », tout compte fait : celui qui met fin à ses jours ne relativise rien, il théâtralise son existence, au moins un court moment il se croit devenu quelqu’un. Désespéré, il eût mieux fait plutôt que de s’anéantir de mettre un terme à la cause extérieure de son désespoir : c’eût été apporter une amélioration à ce monde d’incorrigibles vivants ! mais sans cette émotion triste, il lui aurait suffi, pour continuer à jouir, de quitter sa... [Lire la suite]

J’ai de grands découragements parfois, il est vrai : qui donc, à part une poignée infime – la plus valeureuse pourtant de l’humanité, la plus farouche et la plus brave, celle des derniers individus –, prendra la peine de me lire ? Qui, à part elle, méritera l’appellation de compagnons d’une même substance, d’un même repas, d’un même pain ? Quand pourrais-je enfin dire, raisonnable et sincère : « Vous, frères humains », « Toi, frère monde » ? Que me vaut-il de tant cogner au marteau sur un siècle... [Lire la suite]

L’extrême proximité, cette accointance de l’esprit et du cœur, cette sympathie si étroite qui m’unit à Nietzsche en tant qu’il fut l’un des derniers !... Un des derniers quoi ? demandera-t-on. Un des derniers hommes dignes, élevés, un des derniers explorateurs de la pensée, cela va sans dire ! un des derniers individus proprement et en cela l’un des derniers penseurs à pouvoir nous apprendre encore quelque chose sur le monde tel qu’il est resté à peu près inchangé depuis lui puisque justement il n’y a guère eu d’autres... [Lire la suite]

Qu’enfin le contemporain cesse de se plaindre de ce qu’il a lui-même créé, se figurant toujours, pour son honneur (et son oubli d’opportuniste), qu’il s’agit de la création d’un autre : c’est une sale manie, surtout en France, de reporter sur autrui ses propres responsabilités (bien qu’elles tendent à se réduire à rien). Ce n’est pas parce que les médias sont largement financés par l’État et transmettent sa propagande qu’ils se perpétuent, mais c’est parce qu’en dépit du choix pourtant large des Français, ce sont justement ces... [Lire la suite]

Je doute fort que le propre d’une société qui change soit la volonté collective même réitérée (surtout réitérée) de changement ; c’est bien plutôt le changement effectif des personnes constituant cette société qui est l’indicateur essentiel de son changement global. Ce que traduit le ressassement d’un désir, c’est la difficulté d’y parvenir : plus on se plaint d’une chose ou plus on manifeste le souhait d’un profit, plus on exprime qu’on se sent incapable d’agir efficacement pour lutter contre cette chose ou pour obtenir ce... [Lire la suite]

L’étude psychopathologique du contemporain à laquelle je me livre depuis plus d’un an n’a pas pour mobile le désir personnel d’un défoulement ou d’une déploration comme certains seraient tentés de m’en prêter la motivation. Ce reproche est seulement pour eux une manière de contrecarrer d’emblée des analyses qu’ils veulent juger excessives et outrageantes par leur contenu évidemment négatif et qu’ils préfèreraient nier en me discréditant sur des intentions supposées, sur des préventions défavorables, plutôt que sur la rigueur de ma... [Lire la suite]

Par quel mobile seront amenés à se surpasser les hommes de peu d’imagination, sans génie véritable, ceux qui, comme moi, peinent à ouvrir des routes nouvelles ? Nous manquons de visions, nous autres, l’inspiration ne nous guidant guère, et ce n’est qu’à grands renforts de machettes que nous taillons dans la luxuriance végétale qui nous oppresse d’ombres et menace de nous cingler à chaque pas : cette jungle nous est rétive, hostile, belliqueuse. Nous ignorons si nous allons dans la bonne direction, si nous nous épuisons... [Lire la suite]

Il faut aimer Rabelais bien sûr – non, il faut l’adorer ! – pour trouver à Crafouilli le goût de réjouissance qu’on reconnaît à toute expression déliée, foisonnante, dégagée de la plupart des conventions sémantiques et syntaxiques, cette écriture qui est un jeu continuel de liberté, de volupté, et qui s’enthousiasme aux plaisirs du corps, exultant littéralement de toute vitalité, du manger, du boire, du chier et du baiser, où chaque trouvaille est une célébration d’une langue française considérée comme un terrain d’infini... [Lire la suite]

« Ultracrépidarien » est le néologisme à la mode pour qualifier quelqu’un qui donne des avis sans disposer de compétences reconnues sur le sujet. C’est très drôle à ce qu’il paraît, parce qu’avec ce seul mot on peut se moquer d’à peu près tout le monde sans aucun examen de ce qu’il dit, et qu’on peut critiquer celui qui rend des opinions sans y être invité comme si pour lui faire cette critique vous ne deviez pas vous aussi, en principe, présenter les gages d’une science, par exemple en rhétorique ou en dialectique.... [Lire la suite]

Longtemps un homme ne désire pas d’enfant. Il préfère attendre « d’être quelqu’un », ce qui suggère toujours qu’il ait acquis le sentiment d’avoir « fait carrière » ou « obtenu une réputation », que sa situation soit stabilisée et lui devienne un peu monotone, et qu’il éprouve, dans ses projets déjà mis à exécution et largement épuisés, un commencement d’insatisfaction, d’inaction et d’ennui – l’enfant en cela lui paraît une récompense après bien des difficultés de l’existence, l’incarnation finale de sa... [Lire la suite]