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Henry War
1 octobre 2020

En pays défait, Pierre Mari, 2019

En pays défaitC’est un livre beaucoup plus généreux qu’on ne croit que En pays défait de Pierre Mari qui s’adresse aux « élites » françaises pour les fustiger d’insignifiance ; étonnamment, c’est un livre sincère, dégagé de postures, émouvant si l’on a le cœur de le lire de façon philologique c’est-à-dire en distinguant l’intention essentielle de l’apparence thématique – la considération exclusive des thèmes d’une œuvre, je l’ai compris récemment, constitue un écueil de l’analyse, d’où la nécessité de recourir à la « psychologie » contenue largement dans le style pour entendre la mesure idiosyncratique d’un esprit humain. J’écris « étonnamment » car il eût été aisé de produire un nouveau brûlot pamphlétaire, injuste et pourtant homogène, réjouissant à la société, profitant de l’idée tant relayée et bercée d’illusions que la sortie de la crise sanitaire promettrait l’émergence d’un nouveau monde purifié des scories de l’ancien et débarrassé des fardeaux du passé notamment politique, déchirant de façon pseudo-subversive, en les agonisant d’injures, tous ces êtres « orgueilleux » et « arrogants » que le peuple français a appris traditionnellement à honnir – c’eût été œuvre de défoulement alors, propre surtout à prolonger cette bienheureuse purgation irrationnelle que nos contemporains aiment tant à éprouver, comme un sempiternel refrain d’anathèmes pour se rassurer d’être si bons et tant victimes en comparaison de ceux qui profitent tant, comme eux cependant, de n’être rien, mais, eux, avec des privilèges. Les gens de nos jours apprécient cela ; ils goûtent le rejet de toute faute sur une poignée en qui ils prétendent avoir « placé leur confiance » (c’est un mensonge, ils se sont seulement débarrassés de leur responsabilité d’agir) ; et l’accusation outrancière leur est une satisfaction parce qu’elle les déculpabilise. Ils ignorent ce dont ils parlent, bien entendu, mais ils y trouvent l’avantage d’en sortir provisoirement vidés de leurs rancunes. C’est agréable, je suppose, comme beaucoup de verres d’un vin commun et un peu trop fort, ça doit en avoir à peu près les effets, ça réchauffe en incitant à l’excès indigné, on y pressent évidemment l’ivresse où se dissolvent toutes nuances de la vérité, ça n’empêchera absolument pas la récidive quand on aura oublié l’amertume.

Mari ne tire pas de cette façon-là. C’est un homme qui, sans négliger son sentiment de gâchis, s’efforce surtout de l’expliquer, d’en mesurer la teneur, et cependant – autant le dire d’emblée – il n’y parvient pas tout à fait, le sait et s’en agace in petto. L’aveu tacite de son impuissance à circonscrire notamment les causes de la décadence d’absurdité et de vide de nos politiciens, administrateurs, journalistes, écrivains, etc se traduit par une insistance à en définir l’origine et les symptômes : le reste est plus meuble, délicat, indistinct. En particulier, il tâche à cerner les réalisations de la faillite à la fois des principes et du langage intègres, dont il situe la découverte personnelle, quoiqu’augurée antérieurement, aux environs des années 80, à l’abord d’une langue incroyablement appauvrie, managériale, systématisée et déshumanisée, rétrospectivement perçue comme immonde. Le manque de fond (ou de « charge intérieure » ou de « feu », comme il le dit, contre la « tiédeur ambiante ») qui caractérise son destinataire atteint des gouffres surprenants, effarants, consternants, que tout trahit d’évidence – notamment, bien sûr, la poursuite zélée des communicants, ces spécialistes en sophistique sans aucun apport de compétence qu’une persistante dissimulation. Certes, il a fallu une singulière uniformisation des postures et des mœurs pour produire le type de l’élite française dont l’exemple caricatural est rarement très différent de ses incarnations réelles. Une forme de cynisme, de froideur, représentée en des postures inlassables et chargée surtout de dissimuler une absence d’être, un effacement d’essence humaine, une oblitération de pensée authentique, paraît indiquer quelque point initial des déviations dont témoignent ces « responsables » : la peur aussi, indéfinissable, tapie (mais que Mari ne définira jamais ainsi que moi comme la peur d’être démasqué en tant qu’enfant), avec toutes les variétés du goût de la conformité et le refus de « se mêler de la réalité ». Manifestement, quelque chose n’a pas marché, un changement s’est opéré, plus que délétère, volatil, absurde, si sérieusement ridicule : Mari en dresse un portrait à la fois sans complaisance ni animosité, disant ce qu’il voit, ce que beaucoup voient, mais en individu abasourdi et déçu, c’est-à-dire qu’il mêle l’expérience de sa stupéfaction aux explications généalogiques qu’il en peut trouver. On sent constamment chez lui une volonté acharnée à comprendre, comme un besoin inlassable, tandis que la compréhension peut-être impossible lui échappe, que sa confusion lui apparaît et que, à cause de cela, il insiste – il portraiture à défaut de mesurer ; une perplexité l’oppresse en loin, et puisqu’il refuse de céder à la sidération, il écrit, aspirant à ce que les mots lui apportent une solution comme il se produit quand on réalise un texte c’est-à-dire qu’on concentre longtemps sa réflexion : c’est souvent que des lumières jaillissent alors, pareilles à des clés pour ouvrir les serrures de la réalité. Mais quand on écrit pour trouver et qu’on ne détermine que des nuances, on s’épanche, on continue à rédiger sans autre but, on « allonge » l’écrit ; cela viendra peut-être, se dit-on, en poursuivant. Il faut que l’effort, au terme d’une patience, dévoile.

Mais la pénétration, la lucidité, la clairvoyance, manquent ici à révéler la généalogie d’une décadence, et l’écriture seule peine à remonter aux causes essentielles d’un phénomène.

Je trouve en Mari une bienveillante innocence – je l’exprime ici sans condescendance, je ne signifie pas du tout quelque chose comme une infériorité ou une bêtise, à peine une naïveté et dans un sens alors plutôt noble, cette naïveté affectueuse que j’ai longtemps entretenue et que j’appelle mon bénéfice-du-doute, consistant en une sorte d’aveuglement involontaire et inné ; je ne prétends pas avoir compris bien davantage les causes de cette mutation, un peu seulement, assez quand même pour en fournir des éléments déterminants, des pistes fondamentales et, à ma connaissance, jamais abordées, où l’explorateur de demain sera sûr de faire d’importantes découvertes si méthodiquement il y avance encore – j’aurai déjà fort avant défriché. J’admire la façon qu’à Mari de se livrer, de ne pas traiter un problème en-dehors de sa propre nature, d’assumer explicitement une charge : un problème est toujours une confrontation et une peine, il n’existe pas de question sincère qui soit extérieure à soi – autrement c’est de la valorisation universitaire, vaine et pédante ; cela exhale l’ambition et l’opportunisme, et, à vrai dire, ça pue précisément le discours politique. Un problème n’existe pas s’il n’est premièrement ressenti ; il n’y a pas de problème, de thèse, qui soit antérieure à soi ; ne pas sentir l’homme dans un essai fait de cet essai une imposture, et Mari ose focaliser son discours sur son sentiment plutôt que feindre l’objectivité pure : il mêle sa matière interloquée et navrée, et jusqu’à des remords, du moins une culpabilité, au constat d’une sphère neutre, blanche, anéantie, dépersonnalisée, compromise et consensuelle comme un entretien d’embauche soumis à la Règle unanime. En cela, je défie quiconque de proposer une seule objection rédhibitoire au constat qu’il dresse : la forme subjectivée induit l’impasse d’une neutralisation, d’autant que Mari sent juste, a le flair équitable et ne s’abandonne pas au plaisir bête du ressentiment : une certaine consternation tardive humanise son propos. Mais décidément – je l’écris sans humeur –, il apparaît jusque dans ses atermoiements de style qu’il ne parvient pas à trouver : quelque chose lui échappe, il tourne autour. Il y revient toujours. Ça ne remonte pourtant pas : ce qui remonte, c’est ce qu’il sait – car il est d’une probité qui ne cache rien –, et c’est sa généalogie propre. À force d’écrire, non seulement il a exactement décrit le fait qu’il déplore, mais il a véritablement relaté l’origine personnelle de la réalisation de ce fait ; cependant, il n’a pas identifié sa cause. Quelque chose fuit hors de sa raison, résiste à toutes ses attentions, à tous ses pinceaux – le sujet, aussi, il faut l’admettre, est extrêmement difficile. Mais le profit du texte n’est pas échu, car il est alors porté sur une relation intime, le récit du développement d’un être en relation avec le désagrégement d’une société : et c’est sans fausse pudeur que j’admets apprécier cet être, affectionner ses états d’esprit, ses élans intérieurs, ses imperfections qui me ressemblent, et même m’y reconnaître, et particulièrement ses désirs perpétuels et indestructibles de trouver des sujets d’admiration et de former une alliance forte et amicale d’émulation intellectuelle malheureusement sans cesse inaccomplie, car il y a toujours de la générosité et de la grandeur, à défaut peut-être de génie dont on ignore toujours la substance, à ne pas se contenter – c’est le parangon de ce qui manque à notre époque (d’où la puissance naïve de cet extrait, page 181, naïveté que j’assume également ainsi formulée : « J’aurais voulu, j’aurais aimé, j’aurais souhaité – avec plus de ferveur que je ne parviendrai jamais à l’exprimer – écrire en des temps où l’on pouvait à la fois vouer un culte à une petite poignée d’aînés et admirer des compagnons qui prenaient farouchement leur tâche au sérieux. Toute ma jeunesse s’est édifiée sur la postulation d’un échange plein, riche et vivifiant avec le monde qui m’entourait. Un monde où l’exercice d’une activité, quelle qu’elle soit, bénéficiait de l’image et de la proximité de ses semblables, s’enrichissait à leur contact, se gorgeait d’émulation pour ouvrir des voies inédites. Un monde où une exigence ne se retrouvait jamais seule, où elle pouvait tabler à la fois sur des échos, des alliances et des combats. »). Mari me paraît un hyperboréen, selon la définition qu’en donne Nietzsche dans son avant-propos de L’Antéchrist. J’ai souvent pensé, en lisant En pays défait, que cet ouvrage aurait fait un excellent pendant à mon Du Feu aux poudres : le sien parle aux élites qu’il éclaire de leurs turpitudes, le mien s’adresse au peuple auquel il veut révéler le juste mépris.

Or, c’est là précisément que figure notre principale différence : Mari suppose un divorce entre le peuple français et ses élites, tandis que j’y établis, moi, au contraire, un mariage, une adéquation, une correspondance et en cela une représentation presque exacte. Je ne veux pas accabler le lecteur de la réitération, avec justifications et développements, d’une représentation de notre société, constat que par fragments j’ai graduellement développé dans mes Discussions et qui, pour plus de lisibilité, aboutira à quelque terme à la publication d’un recueil intitulé (ou sous-intitulé) : « Psychopathologie du Contemporain » ; il suffira à Mari d’intégrer que l’expérience socratique qu’il évoque à la page 112 se vérifie aujourd’hui presque toujours sur n’importe quel citoyen ordinaire. Quiconque m’a déjà lu sans prévention sait que je ne suis pas pessimiste, que je ne me plairais pas à dénigrer le monde et le siècle où je vis, que la gratuité des reproches dont on m’a parfois accablé m’est devenue insupportable (au point que je ne peux plus entendre une rumeur ou quelque malveillance même amusante sur autrui – et même vraie – sans m’en offusquer et hautement), et Mari sera peut-être étonné de découvrir qu’en plus de partager son avis sur le délabrement déplorable de la littérature, je vais justement faire bientôt imprimer un ouvrage sur un sujet qui l’interpelle sans doute, à savoir le délitement d’une rectitude morale et du sens de la profondeur chez la génération qu’on nomme « Boomers » – il me semble que nos préoccupations, du moins nos circonspections, correspondent. Mais est-ce l’effet d’une relative déconnection des affaires populaires ou plus simplement l’effet d’une répugnance intrinsèque et, pour ainsi dire, scientifique et spontanée, à admettre que l’homme français actuel ne lui est pas un semblable et qu’il ne peut pas analyser autrui avec les critères de sa connaissance de lui-même, que les êtres d’effort et de perfectionnement, en somme, ne peuvent plus subsumer autrui, est-ce cela qui incite globalement Mari, enseignant à l’université, à surévaluer la qualité du Contemporain, son sens des responsabilités, sa compétence véritable, son honneur, sa couleur morale et la profondeur de ses esprits, en tout largement exhaussés et donnés pour sains presque d’autorité et sans argument ? Je ne nie pas les soupçons, de facilité notamment – consentement et abandon –, que l’auteur adresse en manière d’accusation douce à ceux qui ont toléré ou qui se sont résignés à cette intellectuelle gabegie, et je ne veux pas dire non plus que ma profession me permet d’accéder plus aisément que lui à cette réalité ignorée de la valeur réelle de l’homme contemporain – une profession ni un âge ne veulent rien dire sur une capacité à s’illusionner, et je tiens les professeurs pour des gens qui n’ont généralement aucune idée juste sur la réalité du monde où ils vivent sans jamais l’investir –, seulement, il faut préalablement s’affranchir de cette foi automatique en la bonne disposition de son entourage, ce qui est relativement plus aisé en-dehors du côtoiement d’universitaires désireux en général de paraître dignes et instruits et qu’un a priori conforté d’apparences favorables peut faire regarder non seulement comme honorables mais comme représentatifs des citoyens – je suppose qu’un universitaire travaille (son esprit), qu’il a du temps pour élire, qu’il doit demeurer à peu près curieux, par conséquent qu’il reste, lui, plus ou moins, un individu. Mais, au même titre, la prévention inverse – celle qui consiste à préjuger d’emblée et défavorablement des « élites » – est une faute, et la preuve que Mari n’est pas tant subjugué et imprégné de la prétendue hauteur d’un milieu qu’on pourrait par exagération me le faire dire, c’est qu’il semble admettre que le « communicant » est l’habituel recours des politiciens, ce qui serait susceptible d’expliquer une déformation du peuple à l’élite – une sorte « d’école » de la pensée viciée, en simplifiant un peu, parviendrait à déformer l’aimable et franche spontanéité du Français normal ; mais je doute que l’expert en communication soit tant utilisé qu’il le pense en-deçà d’un gouvernement, en quoi je dis qu’il n’y a pas de « déformation » mais que le peuple trouve dans l’opportunité d’un « statut » de quoi exprimer sa pleine réalité qui est en effet une inconsistance. Car ce n’est pas en soi quelque chose qui peut s’apprendre, d’être fade – voilà la vérité la plus incontestable : ce qu’on atténue à la rigueur au moyen de postures et de tournures acquises doit nécessairement rejaillir à l’occasion d’une espèce de fraîcheur naturelle : mais est-ce que ces gens ordinaires qu’on interviewe en micros-trottoirs tiennent eux-mêmes des discours pittoresques et fleuris, dénotant une essence riche et de bonnes dispositions spirituelles ? Ils sont déjà politiques, c’est-à-dire qu’ils se contentent d’arborer des convictions communes en des formes usées.

Je réserve mon scepticisme de post-boomers à l’égard d’une autre théorie de Mari selon laquelle – j’espère ici ne pas réduire son propos à l’excès – pour être quelqu’un de fermement établi en tant qu’être, il faut avoir une mémoire bien claire du lieu où l’on a vécu, un ancrage dans une terre propre au sens matériel : je crois cette conception fausse parce que les générations nées dès les années 80 sont venues au monde presque nulle part et sans héritage, et parce que j’y ai pourtant rencontré de beaux spécimens d’individus, dont moi ; et si je réserve cette critique (qui, après tout, ne porte que sur un détail du livre), c’est pour revenir sur le style de l’auteur, perfectible, situé encore trop « entre deux mondes », entre deux siècles devrais-je plutôt écrire, hésitant entre le désir moderne de se faire comprendre des foules et l’accès à un art éclatant du « grand effet » et de la « belle eau ». Mari s’exprime bien, cela va sans dire, mais il demeure ici en-deçà de sa capacité et même de son jugement de la littérature, en somme de son plus difficile et digne défi : son vocabulaire est exact mais il le délaie parfois de locutions figées, de sortes de proverbes ; ses tournures sont intuitivement expressives mais il noie leur efficacité par des redites ; il travaille ses phrases mais il n’ose pas les ciseler – presque n’importe quelle page me servirait méthodiquement d’exemple si je ne craignais pas de paraître en l’exercice un odieux donneur de leçons : j’y indiquerais en particulier ce qui mériterait, en énième relecture, d’être retranché (son sens empesé de la virgule encadrant systématiquement les circonstancielles, ou, au contraire, son goût de la phrase nominale traduisant un défaut d’aventure parce qu’il faudrait, sans cela, prolonger la proposition précédente jusqu’à crainte de l’essoufflement du lecteur dont il ne présume pas de la respiration longue et de la louable patience, c’est-à-dire de la faculté artiste… entre autres choses) – ; son essai, loin d’être fade, n’a tout de même pas la dimension d’une œuvre d’art, ce qui, compte tenu du sujet, est en partie contradictoire (pour modèle, je pense à La belle France de Darien que je feuillète en ce moment et lirai bientôt : ce semble un paroxysme d’engagement artistique, sur un thème, je crois, assez similaire) : il faudrait à Mari l’effort d’un désir hardi d’écrire de façon intempestive, tandis que son éditeur lui-même ne lui accorde, en quatrième de couverture, que cette banalité presque insensée tant elle est éculée de « la pointe d’un style inimitable ». Voilà, en somme, ma formule définitive : je recommande Mari à la lecture des artistes à venir, et je recommande à Mari une écriture plus digne des artistes que mes recommandations voudraient lui permettre de rencontrer.

 

À suivre : La terre demeure, Stewart.

 

***

 

« Nietzsche l’avait dit : la volonté est soluble dans l’invocation des « valeurs supérieures ». Tellement soluble qu’il lui faut aujourd’hui, pour donner le change, puiser dans l’iconographie et le lexique du passé. Avec l’espoir d’obtenir, de cette transfusion historique, un peu de consistance et d’envergure. Le résultat est évidemment grotesque. Vos références vous laminent, votre vocabulaire et vos images parlent trop haut et trop fort pour ce que vous avez à nous dire.

Un écrivain de renom déclarait ainsi, sans peur du ridicule, que lorsqu’il s’emparait d’un sujet – et Dieu sait qu’il y a de « grand sujets » dans ses livres, bien trop grands, bien trop lourds pour ses épaules d’affable causeur –, il aimait « le prendre en tenailles ». La formule ferait seulement ricaner si elle n’illustrait pas, avec le génie involontaire de la naïveté, cette propension contemporaine à se targuer très précisément de ce dont on est le plus incapable. Dans les livres du susdit comme dans ceux de ses pairs reconnus, adulés et honorés, bien malin ou bien complaisant qui découvrirait l’ombre d’une tenaille. Rien n’est serré de près, rien n’est étreint, embrassé ou empoigné – rien n’est simplement tenu, à défaut d’être tenaillé. Et il est clair, pour des raisons plus profondes que la faiblesse ou l’absence de talent, que rien ne peut l’être. D’abord parce qu’un certain degré d’importance et de visibilité, une fois atteint, oblige à tant de rondeurs et de tiédeurs qu’il exclut le maniement des instruments coupants, contondants ou percutants : il rend les mains impropres à toute autre chose qu’au serrement d’autres mains. Ensuite parce que celui qui s’avancerait muni d’un outil patiemment fourbi – tenaille, marteau, arrache-clous ou scie égoïne, que sais-je encore –, et qui voudrait en faire l’usage que lui dicte son exigence, n’aurait jamais accès à la moindre parcelle de notoriété : on le tiendrait inflexiblement à l’écart. » (pages 87-88)

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