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Henry War
17 octobre 2020

Mentalité d'hypocondriaques

Le problème contemporain dont je ne cesse de parler depuis des années est celui d’une mentalité générale d’hypocondriaques : il est fondamental et peut suffire à expliquer la plupart des faits d’actualité. Le Français notamment n’a plus de bravoure, il en ignore jusqu’à la pensée, il ne s’aventure jamais, car il n’a de conviction qu’au sein du moral et du licite. Il ne désir que l’anodin, le bénin, cultive la passivité. La priorité accordée au confort et au bonheur, dont le souci d’égalité s’avère un paroxysme, est incompatible avec la fermeté nécessaire à une révolte risquée de la liberté et de l’individu. Chez nous, il ne faut que gêner personne, accepter, tolérer et dire, et toute volonté d’action véritable, qu’aux États-Unis on concrétiserait par des milices, se résume à des messages sur des réseaux sociaux et à différents commentaires dont la teneur consiste ou en un défoulement imbécile, ou en une absence de solutions pratiques convertie en symbolisme théorique et puéril.

 Examinons si, dans une société de la bravoure, on verrait des professeurs permettre à des élèves de ne pas assister à un cours, ou de ne pas lire un livre, ou de ne pas faire telle chose qui peut les embarrasser, de façon à s’épargner la poursuite de parents à la sensibilité devenue si délicate et processive. Examinons si ce professeur susciterait l’adhésion de ses collègues ou si ces derniers fuiraient le péril en se plaçant du côté du plus grand nombre, incitant même aux poursuites, suivant une logique de « solidarité » tout d’intérêt et de tranquillité. Examinons si les parents n’écriraient pas au rectorat, usant anonymement de leur droit français pour dénoncer non une atteinte portée à leurs fils, mais celle qui, évitée fort pudiquement à leurs enfants, est supposée troubler la morale de ceux qui ont consenti à suivre la leçon, ou le livre, ou leur désir. Examinons si la hiérarchie, en pareil cas, aurait pris ses responsabilités et cherché à identifier les plaignants, rappelé les principes incompressibles de la laïcité, porté les lettres à la justice pour dénonciation calomnieuse, ou si elle aurait plutôt demandé au professeur concerné, après convocation, d’arranger et de ne pas ébruiter l’affaire. Examinons si les parents eux-mêmes, forcément mécontents de cette absence de réaction qui cependant aurait semblé les approuver, n’auraient pas exprimé leurs plaintes sur tous les réseaux de France de façon, par l’expression sempiternelle de leur colère, à simuler un acte. Examinons, lorsque ces mots – car on ne parle jusqu’ici que de mots, et rien n’est arrivé encore – se seraient cristallisés en quelque tangible agression par un acteur d’une mentalité forcément étrangère, si ces professeurs, cette hiérarchie et ces parents ne diraient pas – avec des mots, toujours, des mots prudents et sans responsabilité – qu’ils n’ont fait que parler et tâcher d’atténuer des tensions. Examinons encore si, après cela, on ne verrait pas fleurir, par exemple sur Facebook, toutes sortes de messages d’indignation emplis de bonnes intentions qui, venus de l’extérieur de la situation quoiqu’encore de France, par ceci même ne résolvent rien, et sont chargés surtout, en exprimant verbalement des émois, d’empêcher leur manifestation d’une autre façon qu’en brandissant des pancartes, et de rétablir la bonne conscience de tous les partisans de ce bien passif qui, des dix derniers mois, n’ont pas encore lu les cinq livres piteux et inoffensifs qu’en moyenne l’industrie française du livre leur attribue officiellement chaque année. Examinons enfin si les politiques, qui sont après tout des Français comme les autres, n’exprimeraient pas de la même façon, probablement avec la même sincérité, combien ils sont scandalisés qu’un fait ait surgi.

Tout ceci est virtuel, bien entendu, et il ne saurait, on suppose, être question de le vérifier bientôt. Mais c’est pour montrer que notre contemporanéité se soucie de toute autre chose que ce qu’elle devrait, qu’elle ne s’intéresse jamais aux causes des problèmes qu’elle rencontre, et c’est parce qu’au fond elle tient à les conserver : cela, en effet, préserve chacun des actions qui pourraient punir sa bêtise et son insignifiance, puisque les vraies actions, chez lui, heureusement ne sont pas acceptées, et que le mépris, qui est un commencement d’action morale contre celui qu’on estime inférieur, est jugé illégitime. Chacun veut se purger, condition exactement propice au développement d’une mentalité d’hypocondriaques, mais nul ne songe vraiment à corriger. Il faut se plaindre, mais sans haine : la haine est une plainte qui, psychologiquement, se change en acte. Le christianisme apprend à souffrir, il n’enseigne pourtant pas à se taire, ce qui vaudrait mieux : on n’entendrait pas des malades qui, par la parole, se transmettent la coutume de se rendre malades par des mots sans jamais vouloir y porter remède – notre siècle est celui des victimes démultipliées grâce au langage. Bavardez, soit ! mais ne parlez pas d’agir, ne parlez pas de rien changer, simulez comme toujours des « ordres de changement » ! Vos révoltes, au fond, sont exactement la réalisation de tout ce qui vous révolte, à savoir : l’esprit du siècle où vous vivez, et vous vous déchargez du « mal » en parlant, et vous vous sentez provisoirement soulagés et ragaillardis après cela, parce que vous croyez que vous avez agi. Tous ceux qui vous opposent, et tous ceux à qui vous vous opposez, témoignent d’une pensée strictement similaire à la vôtre, et vous êtes pareils : ils ne réfléchissent pas davantage, ne désirent que la paix de la purgation, et ne s’attachent qu’au domaine de l’émoi. Moi, j’écris des livres. Je propose une œuvre. Je m’y épuise sans cesse et sans solidarité ; il n’y a pas, que je sache, un seul de mes articles qui ne soit un inédit. À ce même tamis, passez toute parole, tout écrit, toute conférence que vous lisez ou que vous entendez, et voyez après cela s’il reste un seul écrivain et penseur comme moi.

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