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Henry War
17 octobre 2020

Autopsie d'une décapitation

Ce qui s’est passé à Conflans-Sainte-Honorine n’est un crime ni contre l’État, ni contre l’École, ni contre les valeurs de la République, ni contre un Professeur : c’est un crime contre une personne. C’est à peine un acte de terrorisme. C’est à peine un acte islamiste. Ce n’est pas précisément, en l’occurrence, un crime de l’étranger : il n’y a que le fait d’agir qui soit étranger aux Français. Tant qu’on ne considère pas l’origine effective d’un problème, on ne peut pas le résoudre. D’ailleurs, les mêmes discours résolus succèdent toujours aux mêmes réalités, sans effet ; et il en sera encore ainsi. On fait du symbole. On ne comprend pas. On n’apportera aucun remède. Il faut démêler le nœud : mais ce nœud n’est pas externe, il est en nous, il est lié à la psychopathologie du contemporain, et c’est pourquoi nous refusons d’y toucher. Il faudrait nous réformer : c’est trop inconfortable, nous n’aimons pas cela. « Les autres », donc. « Les non-Républicains. » Bon sang ! est-ce qu’on ne voit pas que ça ne veut rien dire !

Examinons.

En France, c’est à juste titre qu’on doute de la compétence des Français : les Français suivent des routines, agissent en mauvais professionnels, ne font jamais rien pour s’améliorer. Il faut reconnaître qu’on est rarement agréablement surpris d’un prestataire. J’ai déjà expliqué cela. C’est à bon droit qu’on peut estimer qu’en règle générale, un Français vaut dans son métier à peine plus qu’un amateur. On a raison. C’est universel, en France. La Fonction publique ne fait pas exception, et les résultats des professeurs français sont objectivement mauvais. C’est un fait international. Toute notre société est imprégnée de mauvais résultats, parce que personne ne s’investit ni ne se donne de la peine. Le travail, chez nous, n’est qu’un moyen de gagner sa vie, et il importe peu d’y être efficace. On ne travaille ici que pour se précipiter dans le repos.

Lorsqu’un Français rencontre une difficulté avec un professionnel, comme il n’est doué d’aucun recul, refuse toute édification et ne sait pas agir, il vitupère et dénonce fort : sa vie étant plus que confortable, ses insignifiances deviennent des conflits colossaux. Il va jusqu’à se nuire la santé, s’abîmer dans la rancœur pour des problèmes dérisoires. Les professeurs, qui sont des Français comme les autres, sont d’ailleurs aussi des connaisseurs du procédé. Aucune distance. Au même titre que les parents, ils sont champions de la rumeur et de la dénonciation anonyme : c’est tout leur moyen d’action, et chacun en use pareillement. Les Français répètent, ruminent, se bâtissent une légende personnelle là-dessus parce qu’ils n’ont rien à faire. Ils s’ennuient, alors ils se créent des causes et des statures ; ils deviennent redresseurs de torts, des résistants – en tous cas, ils le croient. Ils ne sont jamais aussi satisfaits que lorsqu’ils peuvent trouver une foule qui les approuve. Il faut surtout que ces récriminations ne puissent jamais les atteindre en retour, que ce soit pour eux le moins sanctionnable possible. Médire sans subir est un proverbe et un mode de vie français.

La plupart des musulmans se moquent bien qu’un professeur puisse produire sans prosélytisme des caricatures de Mahomet pour illustrer la liberté d’expression. Seulement, ils aiment en parler, mais c’est bien parce qu’ils sont français – il aiment le ragot et la médisance comme tout le monde, et comme ils pressentent la piètre valeur d’un professionnel français parce qu’ils se connaissent, ils ne présument pas que le professeur ait la légitimité de le faire, même s’il en a le droit. En général, il est vrai que tout ce qu’on fait en France avec le droit, on se résout à ne plus le faire après quelque pression extérieure, parce qu’on n’est justement guère professionnel et qu’on n’y tient pas tant que ça, qu’on s’en fiche, qu’on exerce son métier sans volonté. Or, M. Paty, pour son malheur, était sans doute au moins un assez bon professionnel : il avait des raisons fermes, il disposait manifestement d’arguments solides pour faire ce cours, il y tenait, et davantage que s’il y était obligé : il faut dire que les programmes n’imposent pas à un professeur d’histoire-géo, à ma connaissance, de montrer des caricatures religieuses. Mais, M. Paty, en dépit du risque de contestation qu’il ne pouvait méconnaître, estimait que pour bien faire son métier, c’est ce qu’il devait faire.

La bataille idiote devient furieuse. Des Français se déchaînent – histoire quotidienne, histoire banale. Les Musulmans dont il s’agit ne sont pas spécifiquement musulmans, ça leur sert seulement de prétexte comme « communauté bafouée », on rencontre des végétariens qui s’emballeraient tout aussi fort : ils sont surtout français et s’acharnent en mots avec la violence passionnée d’un socialiste, d’un écologiste ou d’un détracteur de Louis-Ferdinand Céline ou de Donald Trump. La cause n’a aucune importance, il suffit que le Français soit incapable de relativiser et de rationaliser son problème : crainte et stupeur, j’ai aussi écrit là-dessus. Chaque année, dans toutes les classes de France, au moins un parent d’élève refuse que son enfant lise le livre proposé par le professeur de français, et ce parent n’est pas musulman en général – c’est exactement la même chose, avec de tout autres prétextes. Il n’est pas sûr que quiconque puisse résoudre un tel problème : la hiérarchie, publique ou privée, ne peut assurer de la compétence de son personnel – c’est qu’elle se sait aussi incompétente à résoudre un problème qui tombe largement hors de son champ d’applications, à savoir : la routine –, alors elle tâche à ménager tous les partis. En France, c’est ainsi : même, à la rigueur, bénéfice au plaignant, puisqu’il prend la peine, lui, de se manifester en premier.

Un tel litige généralement ne rencontre aucune conséquence autre que symbolique parce que personne ne veut agir : l’esprit français est passif parce qu’en France, on ne sait pas ce que c’est qu’un individu. Intenter un procès ou se faire justice soi-même, voilà qui porterait enfin à conséquence, mais cela comporte un risque personnel, et il n’en est pas question : on veut nuire, croyant redresser un tort, mais on refuse de risquer soi-même le moindre coup. On abandonne plutôt, par exemple quand on reçoit le conseil qu’il faudrait porter plainte. Voilà pourquoi en règle générale, en France, la conciliation arrange souvent les choses : on prétendra avoir perçu un soupçon d’excuse, et l’on sortira triomphant, le sentiment de succès ancré en soi – il arrive même souvent que les deux partis se croient ainsi victorieux.

Oui mais… mais si un esprit différent, une mentalité étrangère, entend parler d’un pareil conflit, prend cause dans un sens ou dans l’autre, et admet, dans ce différend qu’on a exacerbé justement parce qu’on sait qu’il n’aura jamais aucune conséquence, qu’il faut agir ? Car il est bien des pays où l’on n’a pas comme chez nous l’esprit de l’éternelle et insignifiante chicane, ce qu’on oublie. Alors ?

Alors Conflans-Sainte-Honorine. On vérifiera bientôt certainement que la préméditation existe mais qu’elle s’est faite sans aucune association terroriste, spontanément. Sans doute, les Français à l’origine du scandale et en conflit avec M. Paty expriment en ce moment même leur stupéfaction : ils ont parlé, ils ont seulement parlé, et ils ne croyaient pas qu’on pût s’aviser de juger la chose aussi grave qu’ils le disaient !

Français, on vous a pris au sérieux : un Français est quelqu’un qu’il ne faut surtout pas prendre au sérieux. Ce crime est le crime de l’éternelle bouffonnerie française que quelqu’un a mal compris comme noble cause et comme devant porter des actes. Français, cessez donc de chercher plus loin des raisons qui ne vous attentent point : vous êtes ainsi, vous êtes bien ainsi, vous ne réfléchissez guère. Quelle invraisemblance composée, alambiquée, politisée, préférez-vous à cela ? Vous faut-il encore je ne sais quel « complot arabe » ? De nouvelles dissertations sur votre fantasmatique « identité nationale » ? Mais depuis combien de temps n’avez-vous pas ouvert un livre un peu difficile ? Il vous faut des événements pour asseoir votre sentiment d’exister, parce que vous vous savez médiocres, alors vous les façonnez de toute pièce, vous fabriquez des problèmes. Mais un livre, rien qu’un livre de temps en temps, vous enseignerait à améliorer vos modes de perception. Rien qu’un livre, et la sensation fondée, argumentée, de votre plus grande dignité intellectuelle, vous verrait peu à peu dépris de cette tendance, de cette sale manie, à monter en épingle le moindre de vos préjugés.

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