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Henry War
25 octobre 2020

Sexualité pour personnes actives

Une conséquence, à notre époque, de l’inactivité, ce n’est pas premièrement le repos ou le rétablissement, c’est la paresse : on le voit à ce qu’après n’importe quelle période de farniente le contemporain a toujours du mal à se remettre en branle, à s’agiter de nouveau, à se donner de la peine – les soi-disant télétravailleurs du confinement ont beaucoup renâclé à retourner sur le lieu d’exercice où l’on aurait pu vérifier leur dépense, ils y ont fait toutes sortes d’objections et d’excuses qui ont mal dissimulé leur aspiration à poursuivre leur inavouable nonchalance, et les occupations ineptes auxquelles ils se sont livrés pendant ce temps libre et dont ils ont souvent fait la promotion sur les réseaux sociaux indique assez quelle définition ils se font d’une vie bien remplie. Le regimbement aux moindres tâches est ainsi le propre des adolescents habitués à ne rien faire : sans l’usage régulier de défis comme autant de secousses mises bout à bout, la plus petite trémulation est une fatigue, non pas tant pour le corps qui demeure en capacité d’agir, mais, véritablement, pour l’esprit qui a perdu la faculté de planifier des projets : ces adolescents travaillent mal, n’osent pas téléphoner par exemple à un coiffeur ; ils se savent mauvais actifs pour la raison que, tandis que d’autres de façon permanente promènent sur tout une organisation mentale en perpétuelle préparation, tandis que ces autres, pour le dire autrement, envisagent constamment des actions concrètes dans la variété immense de ce qui les environne, eux sont perclus par leur absence mentale de structure et de direction, ils n’ont aucune d’idée claire sur l’ordre et la manière d’une réalisation, ils sont d’emblée pétrifiés par ce qu’on leur demande et qui en aucun cas ne saurait émaner d’eux faute d’être stylés à programmer et à décomposer une action. Ils s’aperçoivent qu’ils doivent soudain être alertes, lever des difficultés insignifiantes pour tout autre et promener quelque initiative sur un programme inédit : cela les paralyse, ils ignorent jusqu’aux improvisations les plus élémentaires, leur pensée souffre de cette vivacité anticipée qui les épuise littéralement : par où commencer ? à qui demander ? comment le demander ?... C’est ainsi qu’ils sont effectivement fatigués, non par l’action qu’ils n’ont pas encore entreprise mais par la représentation seule de l’action un tant soit peu élaborée. C’est compliqué ; or, cette complication est un motif d’immense lassitude, le rouage intellectuel, rouillé, pour concevoir, étant rendu inapte faute de précédentes et régulières tentatives. Agir est nouveau, la nouveauté est toujours difficile, il y a un réflexe en l’être primitif pour s’épargner la difficulté, et ceux dont il s’agit sont d’une primitivité telle qu’elle me serait à présent presque inimaginable si je n’en avais pas fait autrefois largement l’expérience.

Le contemporain est à peu près cet adolescent, comme je l’ai déjà démontré par ailleurs.

Un être actif, de ceux qui ne peuvent s’immobiliser sans en ressentir une culpabilité et un sentiment d’inexistence autrement dit une honte, ne se rend pas au repos ni au sommeil sans s’y sentir contraint par les rigueurs impérieuses de son corps : tout le jour, il tourne ses regards de convoitise vers des milliers de conquêtes plus ou moins ardues, il exécute sans discontinuer des commandements qu’il s’est imposés rigoureux plus qu’ils ne sont pour tout autre, et c’est seulement quand il est recru de ses succès qu’il rentre en confort, n’en pouvant pas davantage s’il tient à conserver ses principales ressources, et qu’il daigne se ressourcer, parce qu’il éprouve le sentiment de bon aloi du mérite, ce que lui communiquent évidemment les signes sensibles de ses muscles étirés et de son cerveau fourbu. Ces hommes ont par exemple l’usage des micro-siestes qui les régénèrent, ils font leur profit de tout, connaissant fort bien leur machine qu’ils estiment leur outil d’excellence, ils envisagent toute réalisation avec une idée de performance et de rendement ; c’est leur fierté d’être bons en chacune de leurs actions, et ils ne sauraient y exceller sans y être rapides autant qu’exacts, somme en quoi consiste justement l’efficacité.

Qu’importe qu’un contemporain juge cet état d’esprit terrifiant surtout par paresse d’y parvenir, le fait est que si tous agissaient ainsi avec le désir d’une réussite, avec cette propreté-là et cet intérêt pour l’effort, chacun aurait de l’estime pour son contemporain et ne se plaindrait pas qu’il est mal reçu en tous lieux où il est obligé d’avoir à faire à un « professionnel ».

Un de ces hommes actifs qui ouvre son lit et y trouve une femme, ou bien une de ces femmes d’action qui entre dans des draps et y rencontre un homme, si par exception cet individu n’a rien à faire et n’est pas encore fatigué, oriente tout naturellement sa pensée vers une action qui lui offrira de nouveau le sentiment de s’accomplir c’est-à-dire de faire : la sexualité alors s’impose à lui non comme un devoir stupidement conjugal mais comme l’occasion d’un beau geste motivée par une imagination maintenue aiguisée, et ses désirs y contribuent doublement, physiologiques et psychologiques : il trouve là l’excuse roborative à la fois d’épancher un besoin et d’augmenter l’image de lui-même, faisant ainsi plaisir à son sexe et à son estime ; il va encore à une conquête. Au lit, quelqu’un de vraiment actif veut baiser toujours s’il est assez en forme, c’est la continuité de son mode de fonctionnement et de son rapport au monde ; cet acte est son exutoire, et je dirais même si l’on me passait l’expression : son exécutoire.

Mais il n’en est pas de même pour celui qui a coutume de paresse, qui ne connaît pas le culte assidu de la performance et qui, comme la plupart, se croit épuisé seulement pour avoir visionné tard quelque émission inepte et se prétend continuellement surmené du travail et abusé par sa hiérarchie – sa mesure de ce qu’on peut exiger de lui est bien faible, c’est-à-dire la mesure de sa propre capacité, au fond son estime de soi ! C’est qu’il n’existe plus beaucoup de métiers épuisants, et la preuve, c’est que les Français, au lieu de dormir, ce qui leur serait spontané s’ils étaient véritablement éreintés et moulus, ont coutume de se prélasser tard devant des écrans, négligeant même les signes avant-coureurs de la fascination favorisant l’insomnie. Or, quelle impression peut jeter sur l’esprit d’un être si lymphatique et velléitaire la perspective d’une heure de sexualité ? La même à peu près que la pelouse à tondre pour un adolescent : l’idée vaguement inutile d’une sorte d’organisation, de composition, d’apprêt ; la sensation d’une lutte intérieure contre une intention de dépense devenue contre nature ; un abandon d’avance de cet effort où peut naître un ennui et qui passe par un minimum de concertation ; un dégoût non de la chose en elle-même qui est agréable – encore qu’il faille bien comprendre que cet agrément ne peut être sans mélange pour celui qui n’aspire qu’à recevoir une jouissance plutôt qu’à y contribuer et qui anticipe donc déjà un regret et une lassitude – mais de ce qu’il faut faire pour y atteindre – d’où renoncement quasi perpétuel. Et c’est bien par là que je prétends discerner qui, dans mon entourage, pratique ou, pour être tout à fait exact, est d’un tempérament à vouloir pratiquer, une sexualité fréquente : celui ou celle qui, déjà, dans sa vie professionnelle la plus visible et publique, sans jamais se donner de difficulté, sans s’adonner à des projets nécessitant quelque usure de sa personne, et sans réclamer, bien au contraire, le droit et l’opportunité d’être jugé sur ses performances, proclame néanmoins son courage et son désir de repos, c’est celui ou celle qui ne baise pas ou rarement

À présent, qu’on mesure pour l’expérience quel effet aura un homme ou une femme qui, par son activité redoublée, inciterait sa femme ou son mari à travailler moins, ou, disons, le lui permettrait seulement, c’est-à-dire de telle sorte que cet autre perdrait encore un peu davantage l’habitude des projets et d’une saine et naturelle vigueur et fatigue. Quelle erreur fondamentale il commettrait, cet actif, s’il croyait ainsi s’ouvrir une perspective de sexualité par l’atténuation de l’épuisement que l’autre prétend continuellement ressentir sans pourtant en vivre les effets réels et logiques ! C’est qu’oubliant que le paresseux demeure inconditionnellement débordé et qu’il est de son usage de rechigner à des nouveautés difficiles et, par conséquent, que moins on lui donne de travail à faire et plus il estime surabondant le peu qu’on lui donne, il se frustrerait lui-même et se condamnerait, par ce qu’il croirait d’abord une générosité à offrir du repos, à la conséquence inverse de son souhait d’origine, fabriquant un contentement de l’inaction, sans parler encore d’une récompense de la plainte, et cet autre, qui s’accoutumerait vite à se trouver de nouvelles et plus illégitimes fatigues et qui conclurait comme il a avantage à les publier, n’en serait pas plus actif en le domaine dont il fallait tirer bénéfice, bien au contraire ! Il est tristement banal qu’une personne à qui l’on accorde du temps libre supplémentaire n’en profite que pour être plus improductif, et le goût qu’il en tire à la pesanteur n’est guère compatible avec l’état d’esprit nécessaire à envisager un « effort » du type même dont nous parlons. C’est que, pour un être vigoureux et sain, la sexualité n’est pas un exercice comparable à un pensum, il ne s’y adjoint aucune incommodité, ni tracas ni appréhension, mais il en va tout autrement pour qui ne songe qu’à sa tranquillité, qu’à sa quiétude, qu’à son inaction et qui, peu à peu et pour se consoler de son « étrangeté », en vient à se figurer dans les ébats quelque variété de la bestialité ou de l’indignité – idée factice qui, bien sûr, s’ajoute opportunément à la répugnance provoquée par l’inappétence d’agir : tout ce qui nous dégoûte, nous préférons nous en justifier par quelque pensée d’immoralité, il faut donc alors trouver des raisons qu’il soit négatif de faire l’amour. C’est ainsi pourquoi, généralement, en appliquant strictement cette hypothèse et la vérifiant en effet par ce que je sais des gens dont il s’agit, je constate que le contemporain ne « pratique » guère : la société le dispense d’efforts, il n’accepte plus de s’adonner à de telles perspectives même agréables en ce qu’il lui faudrait rien qu’un peu de courage : mais il doit préalablement y songer, s’organiser moindrement, déployer un investissement, une imagination minimale, sans évoquer le fait que, si les deux conjoints partagent cette nonchalance et cette indécision comme c’est souvent le cas, il faut adjoindre à cela quelque force de conviction… et voilà où l’on n’en arrive : c’est non, ça suffit d’abord, un autre jour peut-être, après un autre spectacle, quand la fatigue ne sera pas là si grande !

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Commentaires
A
L'Amour vache est orange comme des bleus.
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A
J'ouïs bien le propos.
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A
Je comprends mieux ce que vous envisagez de vos temps libres. Clairement et vigoureusement. Le châpo en est parfait. Cela conforte à replonger dans la vaillance, au coeur de la bataille, à l'entrée du ventre, l'antre du cul, dans l'entre-deux, enchâssés, enlacés en cadence, nom d'un noeud vigoureux.
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