Prétexte du cas de force majeure
Le « cas de force majeure » est une opportunité pour la plupart des services qui faisaient déjà mal leur travail avant la crise et qui trouvent enfin une occasion de légitimer leur gabegie : c’est en soi la preuve que notre pays était parasité d’une foule d’incompétences qui n’avaient besoin que d’une occasion pour s’arrêter tout à fait de faire semblant de travailler. Le contexte d’urgence sert de prétexte à des désordres qui induisent des retards, autorisant à davantage de désordre et de retard : des gens qui mettaient un temps excessif à se réunir et à délibérer ont à présent une excuse leur octroyant la tolérance et la patience universelles d’au moins trois mois supplémentaires ; toute désorganisation qui existait précédemment du fait de mauvaises gestion et volonté patentes est confirmée en nonchalances disproportionnées ; plus aucun colis n’arrive à l’heure ou dans le bon centre-relais en dépit des mails qui vous annoncent que tout est parfait. J’ai souvent l’impression que le virus constitue en réalité une aubaine pour maints Français, de façon qu’ils continuent à ne pas faire ce qu’ils ne faisaient pas, mais, maintenant, avec meilleure conscience. En somme : « C’est à cause de la crise, arguent-ils tous pour se défendre de tout dysfonctionnement, et on n’a plus le droit de nous le reprocher. — Enfin, il y a un an ou deux, je rencontrais la même difficulté et je vous en portais déjà réclamation ! — Oui, mais alors, ce pouvait être notre faute, et l’on était obligés de résoudre le problème et de s’en sentir coupables, de vous dédommager, notamment. Mais à présent, nous sommes légers, nous nous sentons en harmonie avec nous-mêmes, tout trouve sa solution dans le Cas de Force Majeure, de sorte que si votre maison n’est pas construite dans les délais ou votre augmentation pas encore actée par une commission qui ne peut se réunir, nous ne nous en trouvons, pour une fois, pas plus embêtés que cela, c’est tout à fait sur le dos de ce virus que vous devriez déposer vos plaintes et exprimer vos mécontentements. Et puis, cessez donc de vous énerver contre nous, c’est indécent, car vous voyez bien qu’il y a pire que d’être frustré de ce qu’on paye ou de ce dont on a droit, puisqu’il y a des gens qui meurent dans des hôpitaux. »