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Henry War
14 décembre 2020

Interdire le travail

On me jugera certainement trop libéral – c’est un vice qu’on ne pardonne pas facilement, de nos jours –, mais c’est avec une sorte de stupeur révoltée que j’ai découvert, il y a plusieurs mois, qu’un État pouvait interdire à quelqu’un, et sine die, de travailler, c’est-à-dire de toucher un revenu, sur simple décret général, sans qu’il en retourne aucunement de la responsabilité de cette personne ou de ce qu’il vend, et, de surcroît, sans compensation de ses pertes. Je sais bien que ceci est depuis devenu évident et que j’ai l’air naïf, à rebours, à ne l’avoir pas anticipé, mais j’étais si sûr qu’une telle législation était illégale, je croyais tant en avoir lu les termes dans je ne sais quel texte de loi, que j’en ai cherché des recours et la trace, en vain. J’ignore où j’ai lu ce document, pourtant je demeure certain qu’il a bel et bien existé.

…Je crois le trouver, enfin, mais sous une forme qui n’est pas aussi rédhibitoire que je l’avais cru ; c’est l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, Déclaration réaffirmée en préambule des Constitutions de 1946 et de 1958 (article 1er), qui stipule : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Et je demande donc où se situe, dans les faits, l’exécution de cette « condition », à savoir une indemnité « juste » mais qui chez nous n’est en pratique pas du tout égale aux pertes du chiffre d’affaire, et « préalable » quand souvent elle n’a même pas encore été versée plus de six mois après le premier confinement ! On me rétorquera peut-être que l’État d’urgence induit des lois d’exception, mais je répondrai que, légalement, même l’État d’urgence implique le respect de le Constitution, qu’aucune loi prise sous son égide ne peut y être contraire, ce qui est confirmé par maints retoquages historiques. C’est pourquoi je conseille à ceux qui doivent subir des poursuites administratives ou judiciaires au motif qu’ils ont tenu un commerce ouvert pendant tout ou partie de la période d’interdiction, d’émettre une Question Prioritaire de Constitutionnalité qui sera transmise par voie indirecte au Conseil constitutionnel, et qu’ils peuvent, je penser, formuler de la façon suivante : « L’État d’urgence peut-il justifier la fermeture d’un commerce sans la contrepartie d’une juste et préalable indemnité » ? Je crois cette question sérieuse et recevable, raison pourquoi j’incite à partager ce message, dans l’espoir que quelqu’un se saisira de l’occasion d’un procès pour œuvrer d’une manière utile et nécessaire au bien commun. Votre affaire alors devient soluble si vous parvenez à faire admettre que cette contradiction vous était connue et vous plaçait dans la nécessité de refuser une loi pressentie comme anticonstitutionnelle. C’est un coup à tenter en tous cas, qui n’est pas du tout désespéré.

Car il me semble en effet qu’une démocratie qui voudrait établir fermement la liberté et la sureté de ses citoyens comme un principe fondamental devrait avoir inscrit dans sa Constitution un article équivalent à ceci : que nul ne peut être empêché d’exercer sa profession s’il n’a été reconnu défaillant dans la pratique de cette profession par un tribunal compétent et si la nature de ce dont il fait commerce n’a pas été démontrée comme dangereuse, à moins que la réalisation de cette interdiction ne donne lieu à une compensation strictement égale au revenu de ce travail sur toute la période où sa pratique est et sera interdite. Sans ce genre de garde-fou, je crois que le citoyen se place dans une sujétion terrible vis-à-vis de son gouvernement, car on tolère alors que l’État puisse, sans décision de justice particulière, interdire un individu à gagner sa subsistance, et on l’autorise donc à affamer son peuple, et on lui permet donc d’exercer sur lui une tyrannie et une torture illégitimes et infâmes. On pourrait certes prétexter que ce droit, s’il existe, est tout théorique et ne se réalise jamais, pareil à ces armes dont on n’a jamais vu utiliser une seule balle. Mais c’est malheureusement chose faite, et depuis des mois. Et les gens maigrissent déjà. On fait dépérir un peuple exactement comme on veut, en somme. On peut les réduire à la mort par prohibition d’exercice professionnel, à ce qu’on constate.

S’il y a actuellement un argument à avancer pour annuler ce régime de privation affreux auquel on oblige, par intervalles devenus réguliers, tout le peuple de France, c’est celui-là. Et je crois vraiment qu’il peut porter – j’en connais assez sur le droit et sur l’esprit des lois pour supposer qu’après une telle procédure, il a des chances de marcher et de servir de jurisprudence. Certes, il n’empêcherait pas le confinement des populations, mais ce serait après un autre point à aborder que de vérifier si un gouvernement peut entraver la liberté de circulation au détriment de ceux même qu’il prétend défendre, quand les citoyens n’y consentent pas eux-mêmes et en-dehors de toute urgence qui ne permettrait point la tenue d’un referendum sur la question. Ce que je dis en somme, c’est qu’un État démocratique ou républicain ne peut pas se mettre dans la position d’un esclavagiste ou d’un bourreau dont il a lui-même aboli les usages, en empêchant des gens de manger ou de percevoir par leur travail de quoi manger. Même notre droit pénal peut fort bien désapprouver qu’on sanctionne la liberté de commerce, c’est-à-dire des justiciables, pour une faute qu’à vrai dire ils n’ont pas commise, comme s’ils en étaient responsables. C’est plaidable, en réalité, et même bien plus que tous les recours que j’ai lus jusqu’alors, s’agissant par exemple des métiers de la culture qui veulent à tous prix rouvrir leurs portes. Quand on échoue à ces procès, en général, c’est qu’on se contente d’attaquer la forme d’une loi qui est très souvent verrouillée, et non le fond qui est plus essentiel, parce qu’il y faudrait des avocats d’une certaine hauteur qui ne se rencontrent plus et ne veulent pas perdre leur temps à de nobles causes. Mais comment une législation saine admettrait qu’on pût, quand la chose lui serait ainsi froidement représentée, interdire sous peine d’amende et sans procès un citoyen d’exercer une profession dont la pratique n’est objectivement d’aucun danger pour personne ? Car enfin, si l’on suppose qu’un vendeur de lunettes met sa clientèle en péril pour ne faire que la réunir dans sa boutique, pourquoi ne pas le supposer aussi d’un père de famille avec ses enfants, chez lui ? C’est absurde, et c’est ce qu’une législation nouvelle, parmi beaucoup d’autres choses du même ordre, devrait résolument s’atteler à combattre.

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Commentaires
A
Sa tante Alice lui apprend à jouer de la guitare, et son cousin J.C. lui fait découvrir le whisky.
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A
Croire en les libéralités du libéralisme, surtout ses différentes déclinaisons, ferait de vous un optimiste ? Supputé-je ?
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