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Henry War
5 janvier 2021

Jeunes femmes d'aujourd'hui

Franchement, du temps de ma jeunesse, je dois avouer qu’il n’y avait déjà pas lieu de se sentir transporté par le discours d’une adolescente, et moi-même, garçon, j’avais conscience de ne pouvoir ravir non plus par les émouvants impromptus de mon langage et de ma pensée, de sorte qu’il n’était pas fort question de tenir à nos entretiens pour les grands éclats d’intelligence ou de transport qui en émanaient – foin du rêve romantique et des brins de fougère tendres ! Nos verdures manquaient clairement de maturité et d’idéal ; nous n’étions point des littérateurs ; nos préoccupations ne passaient que par des considérations plates sur l’à peu près immédiat. Seulement, nous nous sentions attachés à cette proximité – du moins nous les garçons d’avec les filles – par quelque électrique volonté de séduire : cela nous fascinait, dans nos sentiments et dans nos corps. Une fille nous était avant tout un être à qui il fallait faire bonne impression, et nous tirions d’elle une vraie fierté rien qu’au rire que nous provoquions, une volupté parfois vertigineuse rien qu’aux vêtements qu’elle portait comme tout exprès à notre attention. Nous les convoitions, certes, sans beaucoup de distinction, pour la seule raison qu’elles étaient filles, et la possibilité de réussir à leur plaire était logiquement la grande stimulation qui entretenait l’espoir dans nos rencontres et maintenait le challenge de nos émulations verbales et physiques – nos prouesses, nos tournois : nos effets. C’est presque uniquement à cela que nous devons d’avoir apprécié nos présences, garçons et filles, peut-être filles et garçons aussi, et je ne vois guère autre chose qui nous ait liés, elles et nous. Nous vivions sur la brèche, en perpétuelles conquêtes amoureuses – les couples déjà établis de garçons et les filles ou bien sortaient d’eux-mêmes de ces rapports où tacitement ils n’avaient plus lieu d’être, ou bien ils affichaient aux autres leurs façons d’aimer, manière encore de séduire pour l’après. En ce système relationnel que nul n’eût alors supposé contingent mais qui, en nos tréfonds, nous torturait à telles intensité et régularité qu’on se le figurait universel d’évidence, même des filles assez laides, trop grandes ou boutonneuses, peu appétissantes en somme, en ne refusant pas qu’on les courtise, en se laissant approcher avec assez d’ouverture, en nous y incitant par de subtils sourires et par de flatteuses mignardises, devenaient tentantes, touchantes, charmantes, et elles recevaient avec une courtoisie assez délicatement apprise nos témoignages de courtisans, sincères quoique peut-être moins intéressés que pour les autres – je veux dire que nous n’aurions pas concrétisé avec elles un succès, encore que… le triomphe seul peut quelquefois pousser à sa consommation, et durablement. Toutes avaient leurs formes féminines pour appels. Leur parfum, leurs cheveux, leurs poignets, leurs gestes, l’absence toujours surprenante et envoûtante de bosse quelque part, et l’existence des seins, tout nous était piège et désir trouble, tout nous poussait à des sièges insidieux et tendres – nous ne devions cependant pas paraître importuns, indélicats, harceleurs, ça non : la fille nous aurait chassé et nous aurions perdu de notre blanche aura par balourdise et défaut de chevalerie. Elles savaient sans avoir reçu de leçon explicite comment nous encourager ou nous dépiter, de façon à profiter de nous pour se désennuyer et s’exercer tout ensemble à des appâts décisifs pour les moments cruciaux, mais jamais elles ne se sentaient perdre leur pudeur et leur probité. Tout dans cet art était transmission et enseignement : adaptation. Rien qu’au code mystérieux et complexe de ce langage, il y avait à apprendre même d’une fille assez vide et vaine : on s’entraînait toujours à susciter des réactions et de l’affection, on s’efforçait de lier mutuellement conversation, on devinait des règles humaines gravées dans les cœurs pour attraper, pour attendrir, pour se valoriser, et on se surveillait, on se contemplait, on apprenait à produire des questions et des réponses, on créait en nous-mêmes des critères de la pertinence et de l’émoi. Une excitation galvanisante saisissait le garçon lors d’une réussite : il avait parfois une idée fulgurante, repartie ou pensée originale, une manière de convaincre, une splendide lumière de persuasion, et l’étrangeté de son inspiration lui donnait de l’identité et de la valeur dont il prenait note, la gardant à l’esprit pour se former – c’est exactement cela, les relations garçons-filles étaient toujours à quelque degré des occasions de formation, d’édification de soi. Le jeune homme pouvait ensuite espérer que ces marques de distinction, qu’il avait mémorisées et intériorisées d’abord ainsi que de simples astuces efficaces puis psychologiquement comme de certains indices d’essence, seraient remarquées et que, en contribuant à son élection par une jeune femme, elles lui permettraient à la fin d’accéder à une main choisie plutôt qu’imposée par des faiblesses, prélude alors, bien entendu, à bien d’autres récompenses fiévreuses et affolantes. American pie, en gros, avec infiniment de nuances possibles dans la profondeur de la pensée.

Il me semble qu’en de nombreuses époques les jeunes hommes et les jeunes femmes se sont côtoyés dans l’intérêt principal d’entretenir ce jeu en même temps que leur identité, avec ou sans projet ferme ou résolution réelle d’établir un couple, et qu’ils en ont tiré l’essentiel des agréments d’une fréquentation mutuelle. S’il n’était alors pour se rencontrer et converser que le besoin de communiquer quelque chose, je crois qu’en général nous eussions préféré rester seuls ou vaquer à des occupations entre gens du même sexe : c’est qu’on joue plutôt mieux au football entre garçons, par exemple, et l’on y parle avec moins de gêne de la fille qui nous plaît. Non, décidément, je ne vois point ce que j’aurais fait d’une fille sans cela, sans l’intérêt du jeu. Un embarras ! un ennui ! même pas un désœuvrement : préférer plutôt un film d’action !

C’est pourquoi je déplore et je plains la jeunesse d’aujourd’hui.

J’ignore comment c’est venu – je me souviens qu’il y avait des prémices de cela autour des années 2000, des filles en classe de première qui s’enorgueillissaient de vivre presque toute la semaine avec des hommes ayant une profession –, mais beaucoup de jeunes femmes ont tout bonnement cessé cet art aguichant de l’ouverture, et de plus en plus nombreuses sont celles qui, manifestement, n’y ont jamais pris part ni jamais rien compris. J’ai l’impression, en les voyant, d’appartenir à une époque médiévale ou bien d’avoir pratiqué des rites versaillais révolus, avec perruques et poudres et mouches : le peu que nous pratiquions par rapport à ces aïeux a disparu. Depuis quinze ou vingt ans, séduction et engagement naissent et se prolongent numériquement d’une insistance, d’une assiduité, d’une omniprésence seule – le copain est toujours là, ouvert, allumé, en ligne, quoique physiquement absent –, et les êtres réels sont à peu près déboutés de la lice – ils sont hors-jeu. Les commencements ont lieu ailleurs qu’en tête à tête, principalement encore sur des écrans, après une brève entrevue ; cela épargne d’entrée toute difficulté pourtant inhérente à la manière de séduire qui nous motivait autrefois : à quoi bon se risquer à présent à des tentatives peut-être maladroites et s’exposer à des rebuffades ? On a fait une demande de sortie, l’acceptation était en soi un oui valable pour à peu près tout le reste – c’est en gros tout le code qui persiste. Puis c’est ferme et définitif : dès le collège à présent les filles ont contracté une allégeance sentimentale : on est longtemps « casé(e) », à moins d’une faute impardonnable. Après cela, le temps de la séduction est passé : c’est fini nettement, on porte jusque dans son esprit une étiquette « en couple », toute pensée d’amabilités a même disparu. Inutile de perdre son temps, l’affaire est faite ; on n’est plus sur le marché : chalands (courtisans) s’abstenir.

On me rétorquera peut-être qu’ainsi les relations sont plus saines, plus franches, moins entravées de complications et de vanités de toutes sortes, ayant perdu leur « lot d’hypocrisies » puisqu’enfin les jeunes femmes savaient dès l’abord si elles aspiraient à se laisser effectivement séduire, de sorte que leurs simagrées n’étaient, pour l’essentiel, qu’une façon d’abus et de profit pour se sentir valorisées ou maintenir un cercle distrayant d’admirateurs autour d’elles (même si je soupçonne qu’avant cela les femmes n’avaient pas tant de préjugés à première vue), et qu’il n’y a donc guère de mal à ce qu’elles aient abandonné ces affèteries, ces simulacres, ces machiavélisme. Le mal ? Mais le mal, c’est que sans cette hypocrisie il n’existe pas d’agrément de la conversation, une telle hypocrisie s’étendant bien évidemment à l’amitié : il existe jusque dans l’amitié des manières qui, quoiqu’éloignées du contact d’une main ou du frôlement volontaire de cheveux, traduisent une volonté d’être agréable à autrui et qui, jusqu’alors, conditionnaient le plaisir que nous prenions à tout entretien. Mais une discussion sans hypocrisie, qu’est-ce que c’est au juste ? « Laisse-moi parler ! je me moque de ce que tu as à dire, ça ne me concerne pas, tu te fais plaisir. Je refuse d’être patiente, je refuse de me contraindre, je refuse de feindre, je n’ai que ma franchise : j’ai seulement besoin de te dire une chose, d’obtenir de toi une certaine information en retour, et c’est tout. On peut même oublier le bonjour préliminaire sans utilité, avec tous les sourires qui ne sont que des moyens de gagner quelqu’un à sa cause. » S’il n’y a pas la plus petite velléité de plaire, qui dorénavant pourra supporter la présence d’autrui ? Et en l’absence de cette velléité, comment conservera-t-on l’expérience de l’art de plaire ? comment saura-t-on plaire ? Ne voit-on pas que c’est précisément ce qui arrive en notre société, à savoir la disparition rapide du savoir-plaire ?

Quelle relation peut dorénavant s’établir avec une telle jeune femme ? Certes, puisqu’il n’y a rien à tenter, aucun ridicule n’est possible avec celle qui vous insère dans son planning en amenant son copain, réel ou figuré en voix harcelante sur son mobile. Tout est clair alors, sans aucune ambiguïté, comme un arbre à côté d’un rocher. Même, beaucoup cassent d’emblée tout soupçon d’équivocité de rapport, et préviennent carrément : « J’ai un copain », sous-entendant sans finesse : « N’espère rien ! c’est le préalable à tout entre nous ». Le prétendant est évincé avant tout effort, se sent d’office méprisé, intolérablement snobé, il ne « plaira pas » ; n’étant pas là pour être évalué, il ne reste rien de ses ardeurs. Le détachement manifeste de ces filles, du reste, prouvera bien qu’elles ne seront pas du tout réceptives à leurs marques d’intérêt : elles ont verrouillé les chemins par lesquels on pouvait autrefois accéder à quelque noyau de leur personne, et elles l’ont fait si tôt, n’ayant jamais eu beaucoup besoin de plaire, s’étant même plutôt débarrassées de cet encombrement, qu’elles sont devenues, en effet, assez déplaisantes pour tous, c’est-à-dire qu’elles n’ont même pas acquis la science minimale des gentillesses de façade qui faisaient les discussions ordinaires – elles ne feignent en rien, ne se sont pas donné le temps de perfectionner ces simulations d’entrain et d’intérêt, inutile d’espérer d’elles quelque chose d’un tant soit peu frivole et mignon. Elles ne sont peut-être pas moins vaines qu’autrefois, mais la différence, c’est qu’elles ne savent plus combler les vides de leur personnalité par des formes agréables, par des manières variées qui étaient pour l’homme une sorte de spectacle et un délassement – leur charme s’est évanoui, elles sont âpres, de froids néants qu’on ne peut point conquérir, en quoi tout le plaisir du mâle se trouve anéanti. Comme au surplus le charme des hommes lui-même passait par ces incitations parce qu’ainsi ils apprenaient à se saisir d’une personnalité ne serait-ce qu’extérieure, ils ont aussi déchu parce que les apprêts féminins qui les faisaient s’élever n’existent plus ou, pour le dire exactement, ne permet aucun résultat, aucun accès, la porte est close, scellée. À tel prix, les hommes restent à leurs jeux mâles, alors que les femmes, trop fidèles à leurs téléphones-époux par lesquels elles deviennent épouvantails, fort occupées à des enfantillages pas même plaisants, dégoûtent au lieu de susciter rien que de la curiosité.

Je ne parviens décidément pas à comprendre, avec le si peu qu’elles ont à dire et à offrir, pourquoi un garçon s’encombrerait d’une amitié comme cela, si ennuyeuse et tant condamnée à rester sans avantage et sans progrès. À quoi s’exercerait-il ? Où trouverait-il son plaisir ? Il faut être bien désespéré, ressentir la solitude avec force souffrance, pour accepter de se réduire à ce rôle de domestique, de porte-chandelles, d’animal rigoureusement dressé ! Même, j’ai constaté que les rapports s’asexualisent, qu’il n’y a plus trace de séduction, délibérément, dans nombre de relations entre garçons et filles : beaucoup d’elles préfèrent les amis homosexuels parce que ça lève toute possibilité d’incommodité, d’infléchissement de leur vision des choses, de tracas causé par un éventuel imprévu. C’est ainsi que les rapports humains profondément s’altèrent et se métamorphosent, notamment au nom de cette ferme univocité par laquelle on refuse dès le commencement qu’un membre de cette compagnie sans désir puisse modifier la teneur de son rapport : l’amitié est un sanctuaire, l’ami est engagé à une fixité, on ne tolère pas même qu’il soit un humain mobile dans ses attitudes et ses sentiments – et c’est à se demander si, chez l’ami, on ne veut pas surtout l’image qui nous flatte et par laquelle on se sent entouré d’une certaine variété stéréotypée de façon à se croire tolérant et l’objet d’attentions issues de toutes sensibilités, car rien ne trouble davantage aujourd’hui, rien ne semble plus contre-nature et traître qu’un ami qui change. En tous cas, les relations deviennent autre chose que ce qu’on avait connu, d’une nature sans comparaison, tout à fait autre chose qu’une affection mue par la valeur et un désir mutuel d’admiration : on se retrouve ni plus ni moins comme frères et sœurs qu’autrefois on se contentait de supporter, il n’y a rien à attendre qu’un entourage, on s’occupe avec décoration pour soi-même et on se subit sans plus-value, on ne s’évalue, on ne se mérite pas, on ne se juge jamais : c’est le maître-mot. L’autre est quelqu’un pour passer le temps dans un rapport qui, pour moi, n’est guère éloigné de l’indifférence ou du désintérêt – c’est, qui sait ? peut-être surtout une façon de se rassurer d’être sociable quoique sans avoir le moindrement démontré sa capacité de sociabilité (nombre et occupation seuls prouvent), mais il est manifeste que ces personnes n’ont rien à se dire ni à s’apprendre. On accepte un état de permanence, tout est stable, rien ne devient, il ne faut pas que la situation d’un tel se modifie, un ami est et sera, c’est tout. Les amis étant destinés à rester tels doivent plutôt ne pas séduire, ne pas s’améliorer, tous les conseils qu’on leur donne servent à les maintenir dans l’état où on les a connus dès le début, et c’est pourquoi ces relations sont interchangeables, deviennent dangers quand elles vous séduisent ou sont séduites par vous, sont abandonnables alors sans l’ombre d’un regret – il n’y avait guère d’intérêt, de toute manière, à côtoyer celui-ci ou celle-là inoffensif, la perte est donc acceptable dès l’ambiguïté, mais c’est au même titre exactement que les autres ! Un bain d’ennui imprègne toute relation contemporaine devenue passive et immobile : le jeune contemporain est celui qui ne tire qu’un profit insignifiant de la fréquentation d’autrui et qui en a pris l’habitude, qui ne saurait considérer, avec son expérience, qu’une amitié puisse nourrir autre chose qu’un désir secondaire de paraître sociable et de tuer le temps pour ne pas réfléchir, c’est pourquoi toute sa vie il bâtit des projets stéréotypés qui n’ont rien à voir avec les principes obsolètes de la rencontre et de l’apprentissage par autrui.

Plus tard – c’est d’une tristesse, ce que j’explique ici ! mais il faut bien décrire aussi ce contemporain-là ! – les jeunes femmes qui ont un copain ne veulent plus séduire : elles forment précocement un couple que l’artificiel maintient dans un état inconsidéré et définitif, entretenu par le harcèlement routinier du portable, et cet établissement dur entre deux vides constitue une fermeture et un aveuglement, un serment programmé, accompli comme une formalité dont on ne reviendra pas : c’est fait, à rayer d’une liste tacite, il faut passer à un autre objectif… Et ainsi, quand elles s’installent avec leur compagnon – mais bien avant en réalité, dès le début en fait –, elles n’ont plus jamais regardé les autres hommes comme des tentations, elles ne les ont plus jamais flattés de leurs attentions féminines qui n’étaient que des moyens vers un but et plus du tout des procédés intériorisés de la conversation ; elles ont renié avec une fermeté androgyne tout désir de plaire d’une façon ou d’une autre à leur entourage ; elles sont devenues froides et désincarnées comme des robots. J’ignore absolument ce qu’elles conservent alors à l’esprit, ce m’est un mystère qui, pourtant, ne saurait aller chercher sa solution très loin : on ne peut pas admettre qu’elles sont fort occupées ou très malines, on les voit même communément fuir avec autrui toute conversation qui ne leur est pas imposée par une convention ou par l’intérêt le plus égoïste – ce sont des femmes qui ne disent rien, qui n’interrogent jamais, qui paraissent à leurs aînés d’une impolitesse flagrante, qui se cantonnent à tirer d’une discussion des informations pratiques, qui jouent, aussi, le jeu incongru de singer la bonne amie qu’il faut quand elles sont avec la désignée meilleure. Elles dédaignent ou se méfient des efforts des hommes pour leur être agréables, même quand ces efforts ne sont évidemment pas dirigés vers l’obtention d’une fin : elles les perçoivent déplacés, malséants, comme des religieuses intégristes, et je crois que leur malaise vient surtout de ce qu’elles se savent inhabiles à sortir de leur tranquille habitude – elles ignorent comme improviser dans une situation sociale, elles ont peur de ce qui ne relève pas de leur compétence… et c’est beaucoup de choses !. Le plus souvent, elles n’ont que des rapports superficiels alentour, ou même pas de rapport du tout, des platitudes de respect banal et d’usages formels. Un esprit imaginatif et pervers comme le mien, s’il veut s’amuser à leur figurer un amant, est rebuté d’emblée, frustré : c’est impossible, absolument inconcevable du point de vue de la seule vraisemblance, elles sont des murs, d’une effroyable dureté, d’une absence totale d’originalité, absolument hermétiques à tout ce qui les obligerait à la moindre malléabilité, à la moindre adaptation véritable : ce qu’on imagine d’elles avec le plus d’aisance, c’est qu’elles n’entretiennent une faible sexualité que pour répondre à une utilité ou à un rôle, sans spontanéité, sans fraîcheur, sans beaucoup de plaisir, toujours « pour… ». Le pire, c’est d’essayer de se représenter vers quelle sorte de hauteur, de profondeur, de vice, se situent leurs réflexions les plus intimes : elles semblent toujours préoccupables surtout par des achats à faire sur Internet ou par de menues activités qui, chez un individu de ma trempe, prennent, à planifier et à exécuter, tout au plus un quart d’heure.

Tout peut ainsi se réaliser dans leur existence en une succession méthodique sans aucun attrait ni aucune profondeur : voyage, puis maison, puis enfants qui occuperont leur esprit et les obsèderont à tour de rôle, projet après projet, sans jamais se singulariser mais sans jamais non plus se départir d’une originalité minuscule et illusoire pour le bon sentiment de l’estime de soi. Un événement de la vie n’est ainsi plus qu’une rupture conventionnelle organisée et prévue, définie selon l’ordre d’un certain usage social valorisant. Pour l’homme contemporain jeune, pour le « millenial », autrui est un facteur négligeable de plaisir, il n’apporte rien d’important à part l’image, mais au fond, c’est que rien n’est important dans l’existence hormis l’image, parce que cette image publique correspond exactement à la superficialité de son image intérieure, et tous engouements se succèdent comme passe-temps, l’un après l’autre ; jamais on n’a trouvé d’autre intérêt à parler avec quelqu’un qu’un délassement et peut-être l’oubli de l’ennui de cette vie où, bien que tout soit connecté à tout, il ne l’est qu’en surfaces – la misère de ce monde ! où pour tous il n’y a vraiment rien à apprendre, et où chez tous l’homogénéité et la persistance obtuse de ce regard sans espérance, unanimement partagée, fait qu’en effet nul ne se croit en mesure d’apprendre d’autrui, que de lui seul… ce qui revient à dire que nul n’apprend jamais rien !

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Commentaires
A
J'usurpe encore mais pour déposer un texte que je trouve joli, évocateur; <br /> <br /> <br /> <br /> de Titos Patrikios (1928 - ) : <br /> <br /> <br /> <br /> "Histoire du Labyrinthe - <br /> <br /> <br /> <br /> Lorsque Thésée eut tué le Minotaure<br /> <br /> le labyrinthe fut délaissé, les gardes renvoyés<br /> <br /> avec le temps le toit s'effondra<br /> <br /> livrant au jour les terrifiants couloirs<br /> <br /> les salles de torture, d'anthropophagie <br /> <br /> les galeries aux inventions cachées <br /> <br /> aux trésors enfouis <br /> <br /> les murs tombèrent, ne laissant que les traces <br /> <br /> de dessins compliqués sur le sol. <br /> <br /> Mais des semblants de labyrinthe, constructions obscures, <br /> <br /> n'ont cessé de s'édifier dans des matériaux neufs <br /> <br /> tout y est nouveau : monstres, victimes, héros, souverains, <br /> <br /> on bâtit avant tout des labyrinthes avec des mots <br /> <br /> où entrent chaque année de nouvelles fournées <br /> <br /> de garçons et de filles , effrayés <br /> <br /> mais dédaigneux des pièges, des trappes, des impasses <br /> <br /> prêts à remodeler, rejouer <br /> <br /> l'ancien drame adapté aux idées nouvelles <br /> <br /> donnant aux rôles principaux les mêmes noms <br /> <br /> Minos, Pasiphaé, Minotaure, Ariane, <br /> <br /> Dédale, Icare, Thésé.
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A
Cet extrait date de 1983, ce sont les prémices de ce qui va s'entartrer durablement, puisque personne ne prend la peine d'entretenir, le circuit se comporte différemment de ce que l'on aurait pu en attendre. Avec une génération "woke" et une bonne importation, (colonisés, pourquoi changer ?) de "cancel culture", on peut espérer d'une population désaffectée l'acquiescement à la disparition de toute trace du passé reconnue comme "inconfortable". Climatisée la bétaillère n'en sera que plus aisée à conduire. Nous avons là les symptômes, les prodromes de ce qui est bien intériorisé déjà. Facilité, vacuité, circuit fermé.
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A
..., c'est à un détachement émotionnel qu'aspireraient de plus en plus les individus,en raison des risques d'instabilité que connaissent de nos jours les relations personnelles.Avoir des relations interindividuelles sans attachement profond,ne pas se sentir vulnérable,développer son indépendance affective,vivre seul,tel serait le profil de Narcisse. G. Lipovetsky "L'ère du vide"
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A
Sans être plus que ça éphèbophobe (ça doit exister, si, si) et reprenant des tournures jeunes, autant que matrimoniales mais pas que, depuis les mid_90's, la répartie pourrait se résumer à : "Clairement... voilà !"
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