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Henry War
20 janvier 2021

Le théâtre va fermer

Qui tolèrera encore, dans dix ans, le théâtre ? Ce sera bien trop de conventions pour un genre qui en contient une de moins que l’opéra déjà déserté (je veux dire : la parole chantée). On ne s’offusquera pas que tout ait lieu en un seul endroit ou bien en plusieurs, ni que l’action représentée en deux heures dure trois jours dans l’univers de la fiction, ni que décidément un tel langage soit si dissemblable de celui qu’on parle dans la réalité. On s’interdira peut-être, il est vrai, de s’amasser à tant de monde dans une salle de spectacle et parmi des gens qui ont bien du mal à se concentrer et à se comporter, mais ce n’est pas encore là l’objection principale et rédhibitoire dont il s’agit – le divertissement, s’il est puissant, trouve toujours comme au cinéma des prétextes ou des palliatifs à ces inconvénients sanitaires et sociaux.

Alors quoi ? De quoi, au juste, « s’offusquera »-t-on ?

Mais de l’invraisemblance, bien entendu, pas d’autre chose, une invraisemblance rendue nouvelle par l’altération (pour ne pas dire la décadence) de notre société ! Car enfin, comment le « millennial » pourrait-il admettre une convention si déplacée, si inconnue, si inédite, selon laquelle des hommes et des femmes peuvent tenir une conversation pendant deux heures tout en construisant une réflexion progressive et logique ? cela chez lui ne se rencontre jamais ! ce lui est déjà tout à fait bizarre et alambiqué ! Par conséquent, l’exercice de la raison dialectique, avec toute l’impatience fourmillante que suppose chez ce spectateur d’assister à un échange de mots, fera exactement l’impression du théâtre en chant ou du théâtre en vers que nul n’ose plus composer ni représenter que par exceptions et par succès assuré de « patrimoine ». Nos enfants ne comprennent simplement plus par quel absurde miracle des personnages peuvent s’exprimer si longtemps sur scène, comme si la parole était de quelque conséquence et plus qu’un vague passe-temps, comme si dans l’existence on pouvait tenir à communiquer quelque chose, comme si un propos articulé durait ordinairement plus d’une poignée de secondes et servait par exemple à convaincre ou à émouvoir – tous usages disparus depuis qu’autrui n’est plus par eux considéré que comme objet extérieur au service de soi et notamment de son insouci : ce leur est grotesque et probablement humiliant ; il n’y a en tous cas aucune raison décente pour laquelle ils peuvent vouloir en être les spectateurs.

Il y a cependant plus arbitraire et révoltant que des personnages qui discutent en ayant l’air de savoir quoi dire et à dessein de faire progresser leur avis, c’est le monologue intérieur : en effet, qui constate jamais qu’il existe ainsi des individus capables d’une réflexion élaborée ? Ils distraient déjà leurs pensées par de la musique et des images quand ils les sentent poindre parce que la réflexion leur est une inquiétude, mais quel degré d’angoisse peuvent-ils se figurer d’assister aux développements intimes d’un homme qui, invraisemblablement ou d’une façon perçue comme nécessairement dépressive, pense seul sur scène ?

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Commentaires
L
BonJour Chef,<br /> <br /> <br /> <br /> "comment le « millennial » pourrait-il admettre une convention si déplacée, si inconnue, si inédite, selon laquelle des hommes et des femmes peuvent tenir une conversation pendant deux heures tout en construisant une réflexion progressive et logique ?"<br /> <br /> Vous savez, tout comme moi, que le "millennial" (comme on dit) est un con, (ou une conne, parité oblige) même pas millésimé, et bientôt complètement inculte et abruti(e) par les écrans. Alors le théâtre, n'y pensons même pas pour lui (ou elle).<br /> <br /> <br /> <br /> Monologue intérieur : mais quel monologue intérieur peuvent donc avoir ces "zombis" "millennials" ?
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A
L'aboutissement, la plus belle scène est indécemment sacrificielle. James Marshall est le païen brutal le plus amoureux, sa cohérence enfourne Georges Bataille. Sur le plateau, redevenu cette arène dégueulasse, nu, se doit à s'embraser le prétendant volontaire; mais il y a tant à entendre qu'il faudrait bien que tellement tant soit exprimé en intensité, qu'il reste à penser, se dessaisir des habitudes mais aussi bien conduire la terrible poésie en sa véracité; la crudité des distorsions en témoignait, malgré les lâches, toujours présents à dénaturer l'offensive. Nous sommes le théâtre, la plus authentique voix des hommes.
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