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Henry War
1 février 2021

Les libraires

Les libraires, même quand ils se rangent sous l’appellation d’« indépendants », font en général un aussi mauvais travail que les autres, un travail qui ne contribue point à l’amélioration du livre. Ils prétendent donner conseils à leurs clients, renseigner sur des raretés précieuses, sur des pépites dénichées, ils affirment que cette relation est leur avantage essentiel par rapport aux centres culturels qui leur font concurrence (comme si ces centres n’employaient pas justement des personnes issues des mêmes formations qu’eux, souvent d’anciens employés de librairies qui ont déjà fermé !), mais quand en clients on les interroge, ils n’indiquent en majorité que des ouvrages connus et déjà fort plébiscités, ils exposent surtout les grands éditeurs avec leurs best-sellers, ils ne savent guère identifier des goûts personnels, sont le plus souvent perdus à vous diriger vers du neuf qui vous élève ou qui même vous correspond.

Ils ne promeuvent d’ailleurs environ rien, et c’est très rarement qu’ils ont un étal distinct pour éditeurs confidentiels ou pour auto-édités. Je ne me plains pas de ceux chez qui je dépose mes livres, ils exposent mes ouvrages avec assez de complaisance, quelques-uns en font même une promotion fine (certains centres aussi), mais ils ne reçoivent jamais mes publications avec agrément, je veux dire qu’elles occupent un bout de rayon dans des boutiques déjà étroites, et comme mon peu de publicité ne contribue pas à l’écoulement rapide du stock, ils s’inquiètent de la place qu’elles occupent ainsi que du temps qu’elles resteront. J’ai même remarqué que les petites librairies sont plus particulièrement frileuses à recevoir ces dépôts qui les encombrent davantage : jamais un grand centre ne me les a refusés (cela leur fait une image de « promoteur local » qui les vante, c’est un argument marketing auquel même, je crois, les chefs de rayon sont hiérarchiquement incités), mais par exemple chez tel petit indépendant où je ne livre plus, mes livres demeuraient sur l’étal trois ou quatre semaines seulement, peut-être moins, et, à mon retour, ils étaient nichés à l’abri des regards derrière le comptoir du commerçant. Un autre, plus aimable, ne voulut point prendre mon recueil de nouvelles, considérant à peu près comme tous les éditeurs géants que c’est un genre « qui ne se vend pas », refusant même de vérifier cette présomption – je n’insistai pas, n’étant que piètre solliciteur, et puis je ne suis pas chez moi, après tout.

Évidemment, le temps est loin où les libraires imprimaient et publiaient des livres ! Mais enfin, pour mériter une appellation comme celle d’« indépendants », ne faudrait-il pas au moins qu’ils proposassent une majorité d’ouvrages parmi une sélection de petits éditeurs ? Je veux dire que quand vous y demandez un livre qui n’est publié chez aucun des dix plus riches maisons françaises, vous devez systématiquement le commander, et le libraire ignore même souvent de qui il s’agit ! Un libraire engagé devrait au contraire, il me semble, n’exposer que des ouvrages rares, et ne passer commande que des Galligrasseuilflam, les Gaflam du livre, qu’il négligerait et que tout le monde connaît déjà ! Sinon, qu’on m’explique l’avantage de poursuivre ses achats chez un cordonnier local qui ne propose à la vente que des chaussures qu’on trouve aisément sur n’importe quel site de vente par correspondance ! Chez un libraire indépendant, c’est pareil : je voudrais, moi, fouiller les rayons sans rencontrer d’auteurs célèbres et racoleurs, repartir avec des trouvailles, me faire recommander tel ouvrage étrange et un peu difficile, m’étonner encore d’une bonne surprise ! Mais les libraires, qui se plaignent beaucoup de cette mort à petit feu qui leur est annoncée et qui lisent peu ce qu’ils vendent, proposent exactement le même service que les énormes machines qui les écrasent : ils ne sont presque que des vendeurs comme les autres et ne bénéficient pas, eux, d’un espace de vente aussi important ; ils disposent des mêmes livres et prodiguent peu de conseils, quand les autres ont, au surplus, bien davantage de marchandise, et immédiatement disponible, à proposer ! Ainsi, c’est sans provocation qu’on dirait que ce sont les libraires qui se sont lancés sur le marché des Leclerc : ils ne font valoir aucun des avantages de leurs compétences spécifiques, au point même qu’on finit par ignorer quelles seraient ces compétences – c’est pourquoi vraisemblablement ils n’y survivront pas, et le livre rare non plus.

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