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Henry War
10 février 2021

La fierté littéraire française

De quoi êtes-vous fiers au juste dans « votre » littérature française, dans « vos » œuvres françaises, dans « vos » arts français ? Je veux dire : en quoi cette fierté pourrait-elle être de bon aloi et plus qu’un proverbe ? Car pour être fier, il faut se sentir une espèce de contribution à une réussite, autrement on serait fier de tout triomphe, et même des triomphes étrangers : en quoi vous sentiriez-vous proches de ce que vous prétendez admirer dans tout cela ? En quoi en avez-vous seulement fait un héritage : qu’en conservez-vous ? quelle puissance active ? quel renouvellement ? de quelle façon vous proposez-vous d’y contribuer encore ? À grands renforts de poitrine, vous poussez des affectations de tendresse émue en récitant : Montaigne, Molière, Voltaire, Rimbaud, et en quoi ne seraient-ce pas des souffles factices, puisque nul parmi vous ne les a lus de bon gré mais seulement par obligation dans un cursus scolaire, et surtout : puisque nul ne plébiscite plus les auteurs d’aujourd’hui qui pourraient leur ressembler. Ce qu’on aime et dont on est fiers, on tâche d’ordinaire – et c’est logique – à reproduire les conditions de son éclosion, mais ces auteurs, à dire vrai, vous ennuient, vous épuisent, vous les trouvez fastidieux, ils sont intempestifs, leurs équivalents contemporains ne soulèvent point votre enthousiasme : vous feignez d’aimer par goût des enthousiasmes même inféconds. Qui lit encore de tels essais ? Du théâtre ou de la poésie ? 0,3% des ventes de livre, les deux cumulés, voilà le chiffre officiel ! Je clame, moi, qu’on devrait interdire ces exclamations semi-patriotiques de bonne conscience, déplacées, indécentes, et faites uniquement pour se sentir appartenir à une grandeur, comme si le territoire où vécut un Haut pouvait suffire à élever chaque misérable négligent qui y vit après lui. En fait, vous ne faites ainsi que vanter ceux qui, dans le passé des siècles, ont su valoriser justement ces grandeurs, leurs contemporains à eux qui les ont élus et rendus célèbres, mais vous n’en êtes pas, vous n’avez plus avec eux la moindre accointance, le moindre rapport vital, vous n’avez pas la substance d’adulateur et de mécènes en pensée et en art. J’ose même dire : vous n’êtes plus français avec eux, vous avez perdu avec eux toute intimité, ne favorisant plus aucun des grands de cette trempe, et même, il faut bien l’admettre, vous vous en fichez tout à fait, ceci vous est fort secondaire, en vérité ; ils étaient, eux, tant soucieux de l’intérêt artistique de la France qu’ils auraient abjuré cette relation que vous voulez à toute force établir avec eux comme un viol, comme une profanation. Que la littérature française en soit réduite à la pauvreté même économique n’inquiète personne : il y a eu des grands, cela suffit pour se consoler, pour oublier le présent, pour n’y pas prendre garde, et que tous vos livres contemporains tournent autour des mêmes bêtises sans ambition d’art ou de philosophie ne vous inquiète pas du tout. Certes, je crois qu’un professeur juste et sagace devrait boycotter ces grands auteurs, disant : « Notre époque en est indigne : inutile de faire comme s’ils pouvaient rentrer dans notre siècle et de prétendre qu’ils y ont une place ; même les professeurs ne les lisent plus à ce que je sache, alors ne pas se donner l’air instruit et distingué, ne pas se créer de pareils élans. Nous lirons ce qu’on mérite : Musso, Lévy, Gavalda, Vargas, Dicker… parce que c’est eux que notre société a élus, c’est eux qui lui ressemblent le plus, manifestement ils lui suffisent, ils lui servent de critères, d’étalon de succès, de pierre de touche : l’argent. Ainsi, ne pas s’octroyer la grandeur de ceux qui nous sont disparates. »

Vous vous tenez sur de beaux vestiges, sur des ruines nobles, en une nation étrangère, et vous avez le culot de prétendre : « C’est nous ! c’est moi ! nous sommes gréco-romains ! » Vous prétendez les hommes universels pour englober ce que vous n’êtes plus depuis des siècles. Un peuple qui ne sait plus lire, deux cents ans après Verlaine, déclare qu’il est heureux de vivre en un pays verlainien parce qu’il a lu de force et comme tout le monde « Mon rêve familier » ! Ce que vous signifiez, c’est que vous n’êtes définitivement que des vides que vous vous efforcez de combler avec des mânes et des fantômes – façon de faire rejaillir sur soi l’Honneur – : pas d’action, pas d’effort, il vous faudra toute l’aura spectrale des sociétés passées pour vous sentir relevés d’une certaine grandeur – symptôme de décadence terrible, terrible d’oubli. Une société artiste prolonge et multiplie ses sujets d’admiration : vous vivez entièrement au passé, incapable de nommer un auteur contemporain de la qualité de ceux que vous êtes censés distinguer comme maîtres et donc poursuivre de vos assiduités ; et vous feignez d’oublier, pour votre soulagement, que tous étaient déjà maîtres reconnus au temps où ils vécurent ; vous parlez de postérité qui reconnaîtra les meilleurs, qui distinguera dans votre soupe actuelle les plus méritants : illusions puériles, vous êtes décidément sots, vous ne savez pas de quoi vous parlez et vous cherchez seulement des consolations. À présent, je vous dénie le droit, je vous défends formellement, à jamais, d’affirmer vous sentir proches patrimonialement de ceux que toutes vos personnes, que le fonds de vos êtres paresseux, renient – à moins, bien sûr, que vous sachiez personnellement en parler. Allez donc à vos jeux, et ne prétendez rien d’autres : c’est sordide et mesquin, cette abjection réitérée de vos bons cœurs généreux, contents d'un rien – et passifs, tellement hypocrites et passifs !

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