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Henry War
3 mars 2021

Le meilleur candidat

Ceux qu’on élit chez nous ont toujours le défaut d’aimer « bien » leurs contemporains tels qu’ils sont et de s’en contenter (à quelques exceptions près, cela va sans dire, qu’ils publient avec force insistance : leurs « ennemis ») : M. Onfray par exemple n’a jamais été si complaisant avec ses compatriotes que depuis qu’il aspire au territoire des urnes ou que, du moins, il s’y dirige manifestement ; voici alors par lui, par nos élus, le peuple soudain transfiguré, magnifié, sublimé, déifié, un peuple mensonger, un peuple bâti d’illusions et de vertus fabriquées, un peuple outrancièrement vanté où la véritable mesure commune, quand elle est objectivement dépeinte et exposée, devient pour ces adulateurs un injuste dénigrement ou une malhonnête exception : toujours, vous « calomniez ». Or, ou bien ils ont perdu le discernement de la nature de leurs concitoyens, auquel cas il semble risqué intellectuellement de les placer à un poste à responsabilité, ou au contraire ils savent exactement ce qu’ils font et ne pérorent que par intérêt, car s’il apparaît que ces gens nous aiment tant, alors par gratitude il n’y a plus qu’à leur verser de l’amour en retour, pas vrai ? et l’amour, je crois, se traduit très bien en termes de scrutins. Il faut cesser de voter par amour et par reconnaissance, par identification même, car c’est un jeu de dupes où la feinte n’est jamais loin. S’agit-il de renouveler Jésus Seigneur-du-monde et sa mansuétude universelle, ou estime-t-on, comme moi, que jamais cet aimant prophète n’eût fait un grand législateur, qu’il faut trouver mieux qu’un être tout bonasse et tout tendre pour diriger un peuple et veiller strictement et sans indulgence sur son évolution ? Mais, hélas ! on se flatte encore que l’humanité de nos élus, que leur bonté, que leur simplicité, que leur compassion, dont leur démonstration ostensible et réitérée confine à la lapalissade, à la figure obligée, à la rhétorique et à l’affectation, condescendent à apprécier ce qu’ils devraient plutôt corriger : oh ! comme après cela nous leur trouvons du goût ! Ils acquièrent vraiment tout à coup une faculté de jugement, nous semble-t-il, qu’on ne leur avait jamais connue et qui ne cessera par la suite de se démentir sur tous autres sujets ! Comme ils deviennent bons et justes, puisqu’ils estiment et clament tant que nous le sommes aussi ! Alléluia ! On n’a presque jamais vu un élu qui fût volontiers positif détracteur des qualités du peuple et qui osât affronter d’un franc et vigoureux mépris la vacuité humaine qu’il prétendit combattre. C’est ainsi qu’on lui assigne implicitement toujours la tâche de conforter, nullement d’édifier ; du moins, au préalable, on ne lui donne son suffrage qu’à la condition tacite qu’il continue après son élection d’être laudatif et bienveillant. Mais que signifie cette tendance ? n’est-ce qu’une continuation de la vieille morale chrétienne usée et irréfléchie, preuve d’une inconsidération totale des enjeux d’une élection et des vertus réelles d’un bon guide ? Je vais dire un mot scandaleux, mais n’importe ce mot puisque c’est un exact scandale : un bon père n’est pas nécessairement un père aimant, et l’on connaît une multitude d’enfants mal éduqués dont les parents sont d’un amour manifeste, incontestable et énorme. Pourquoi alors le contemporain tient-il à ce que ses représentants l’aiment ? Est-ce parce qu’il doute lui-même de pouvoir ou de devoir s’aimer, et qu’il a besoin de parole retombée de quelque hauteur, du décret rassurant d’une autorité, pour s’entendre dire qu’il vaut quelque chose, l’élu demeurant toujours à ses yeux, comme toute célébrité, une sorte de privilégié, une sorte de roi, une sorte d’incarnation de droit divin et rendant en chaque propos la vérité ? Ou bien croit-il que l’élu réussira mieux à le défendre s’il ressent de la sympathie pour lui, s’il le comprend, s’il se confond avec lui, s’il y a, en somme, une identité de l’élu et du « représenté » ? Mais vouloir à la tête de n’importe quelle hiérarchie un homme qui aime ses électeurs et qui leur ressemble, c’est désirer que cet électeur sans surplomb, que cet électeur quelconque, prenne la direction des affaires publiques, que cet électeur banal et piètre soit élu par procuration – sans doute au même titre un chien préfèrerait-il un maître doux, affectueux et caressant, une sorte de chien pour maître, seulement s’il en préfèrerait ainsi c’est, lui, parce qu’il est chien, je veux dire qu’il n’a nulle prétention à valoir davantage qu’un animal et qu’il n’a point songé que son édification, pour ne pas dire « son dressage », se situe peut-être ailleurs que dans l’exaucement de sa satisfaction immédiate et dans l’assouvissement de ses tendances ! Appliqué au bout d’une certaine démesure logique, ce système, selon lequel on prétend que l’élu doit aimer son électorat et ne lui vouloir qu’un bonheur sans mélange, admet parfaitement que des prostitués gratuits prennent la direction des affaires du peuple, c’est-à-dire des professionnels qui procurent le plus de plaisirs et qui savent le plus adroitement s’y prendre pour le réaliser. On voit bien qu’ici l’on continue d’exiger bêtement, primitivement, instinctivement, qu’un candidat représente, c’est-à-dire qu’il ressemble à ses électeurs : il faut donc bien, puisque nul ne peut vivre sans s’aimer, puisque le grand mouvement de notre époque est de chercher fébrilement et frénétiquement par où elle peut et doit s’admirer, qu’il aime aussi ses électeurs ! Voilà pourquoi chez nous nul ne tolère un candidat vérace et humiliant, un homme supérieur et justement hautain ; la condition même de la république d’un peuple absurde et auto-surestimé, c’est d’empêcher la dénonciation des travers du peuple, dénonciation qui, seule et par l’effet redouté d’aliénation de la personne au groupe, permettrait pourtant au peuple d’évoluer, or toute admonestation et toute réprimande l’insupportent, d’où cette sentence irréfragable : la condition de la république d’une teneur telle que celle où nous vivons, c’est bien le mensonge ! Or, à ce prix, je crois qu’il vaudrait encore mieux ne pas avoir de représentants – ce qu’on nomme proprement une démocratie – parce qu’il n’y a pas la même certitude que, de lui seul, le peuple soit tant porté à l’outrecuidance et à la vantardise ; je pense qu’il a besoin d’être un peu entretenu dans ce vice qui s’organise et se diffuse de façon centripète autour de lui, et que c’est pour beaucoup la flatterie ordinaire et les usages trop répandus d’une excessive tolérance qui renouvellent son désir d’amour et de se sentir aimé pour le peu qu’il est et mérite ; mais s’il décidait directement, dans quel but, dans quel intérêt, feindrait-il d’aimer les hommes (et de s’aimer lui-même) ? De qui chercherait-il à s’attirer les faveurs s’il n’avait pas nécessité à obtenir des privilèges ? Il ne pérenniserait pas ce régime de suavités intéressées au rang de « valeurs », il n’aurait nullement besoin d’être « bon » au sens vulgaire c’est-à-dire « humain » au sens mièvre, il n’encourrait pas le reproche d’une distance et finirait peut-être par prendre du recul, par ne pas se laisser aveugler par des intentions superficielles qu’on lui prête ou qu’on exige de lui, auxquelles il souscrit inconsciemment par imitation grégaire ; tout ce vice insidieux de la réclame qu’on appelle une campagne électorale et qui chez nous, avec combien d’hypocrisie initiatrice et contaminante, prélude atrocement à toute distinction politique, du moins s’en trouverait anéanti. Si en ces circonstances un citoyen voyait à quelque tribune un autre citoyen aussi ridicule que nos politiciens actuels à la télévision qui ne lisent jamais, encore que mal, que leurs propres discours, et qui pensent manifestement encore plus mal qu’ils ne lisent (comme le citoyen est lui-même si plat et consensuel dans la rue à tous les micros-trottoirs des journaux télévisés), il tâcherait peut-être de s’élever, se voyant si limité et piteux, au lieu d’accuser perpétuellement en manière de rejet si facile de la faute « ceux-qui-n’ont-encore-pas-tenu-leurs-promesses ». Et l’affreux avantage, le terrible bénéfice, le sinistre privilège de la république pour la tranquillité de l’esprit et la paix de la conscience, c’est qu’elle empêche le citoyen de se sentir durablement concerné : il déplace, reporte toutes ses responsabilités, il se dépossède du problème fondamental de son insuffisance sur d’autres et le suspend à d’autres échéances. C’est pourquoi une république, quand elle n’est gouvernée que par des citoyens qui s’efforcent à la normalité, produit peu de progrès ; elle se contente de contempler ouvertement ceux qu’elle propose continuellement aux éloges les plus indus parce qu’elle place à son sommet des gens qui ont surtout fait vœu d’être ressemblants c’est-à-dire notamment d’aimer leur peuple et de ne s’en point trop distinguer ; elle induit en chaque partie de la nation à la fois beaucoup de complaisance intérieure et un blâme permanent tourné vers l’extérieur ; on ne sait jamais par la bouche de leurs responsables ce que les citoyens y valent cependant qu’on ne s’aperçoit jamais que ces derniers sont beaucoup moins méritants que leurs élites couronnées. Ce n’est pourtant pas uniquement la faute de la république si elle échoue en toutes ses missions d’ampleur et ne propose que des réalisations minuscules et de pacotille : c’est que ses élus, qu’on a adulés pour avoir tant aimé le peuple et qui semblaient lui ressembler, ont mystérieusement démérité sitôt parvenus au pouvoir et sont, on ignore comment, devenus « indignes de sa confiance » – c’est le cri même du peuple éternel –, et l’on oublie toujours commodément que la dignité qu’on leur attribuait à l’origine ne consistait en tout et pour tout qu’en louanges exactement indignes grâce à quoi le citoyen surestimé s’est senti supérieur à ce qu’il est et mérite, c’est-à-dire supérieur à cet élu aujourd’hui « déchu » qui est précisément son semblable et qui a répondu strictement à ses désirs d’honorabilité et de surestime en le flattant.

Voter bien – expression que je traduirais par : voter dans l’objectif d’une amélioration de chacun, d’un progrès, d’un succès –, c’est donner son suffrage à celui qui, se situant au-delà du citoyen normal et ne craignant ni de le montrer ni de le dire, le critique vertement tout en l’estimant sincèrement capable d’amélioration. Voter pour qui ne corrige pas, c’est consentir à ce que rien n’évolue ni même ne change, ou rien que de symbolique et superficiel : il faut élire non pas ceux qui nous aiment tels que nous sommes, mais ceux qui nous veulent meilleurs que nous, nos maîtres sévères, nos contempteurs, nos redresseurs de torts. Parce qu’une nation de suffrage universel ne vaut jamais pour la poignée d’« élites » qui la dirigent, sa valeur générale se trouve dans la disposition de chaque citoyen à vouloir et à pouvoir s’améliorer. Et cette réalité tangible est due à l’étroite relation de correspondance existant entre la mentalité des gouvernés et des dirigeants, car chaque fois que les premiers abandonnent les ressources de leur esprit aux apparences de sympathie des seconds, ceux-ci en profitent logiquement pour abonder dans le sens du peuple qui n’est plus que paresse et passivité – ils deviennent des « hommes normaux », de cet ordinaire qui plaît au citoyen parce qu’il se sent à présent capable de gouverner et, à juste titre, de gouverner aussi bien que des gens comme lui. Lorsque le peuple a peur ou s’offusque d’être dûment redressé, il n’a plus pour le représenter que des lâches, des complaisants ou de procédurières femmelettes qui se plaignent par empathie qu’on puisse seulement dire du mal car toute « correction » devient insulte ou danger qu’on exprime en termes infamants ou dans des connotations horribles, et toute la politique d’un pays ne consiste plus alors qu’à empêcher des reproches et des blâmes, même mérités.

En définitive, voilà : de la main ouverte pour caresser ou de celle qui tient le martinet, mieux vaut donner utilement son suffrage à la seconde. Autrement, bien sûr : ne pas se plaindre, ne pas feindre l’exaspération, et attendre patiemment la prochaine paume rassurante, aux lignes douces, lors du scrutin suivant, avant la « trahison », encore et encore, ad libitum.

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