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Henry War
4 mars 2021

Le plus grand détriment du Covid

Ce qu’il y a de plus dommageable, j’ai trouvé, avec ce long Covid, c’est la façon dont il a paralysé nos esprits dans le traitement d’une seule et unique information : depuis plus d’un an, nous ne parlons plus que de cela, notre intelligence et notre attention ne s’arrêtent plus qu’à une maladie qui ne tue que peu des personnes de plus de 80 ans, pour savoir quelles nouvelles conséquences en adviendront par la faute de nos élus et comme s’il s’agissait des conclusions naturelles, spontanées, évidentes, d’un virus. Il fallait décidément, à l’origine, que nous fussions bien soucieux de notre santé, à ce point superficiels et désarmés psychologiquement, pour nous intéresser à une telle insignifiance : qui eût cru il y a quinze mois que notre société n’avait plus, pour passion essentielle, qu’à se soucier exclusivement d’une grosse grippe, qu’elle accorderait à cela comme à une mission toutes ses ressources, et que cette annonce, si misérable, si minable, si anodine, eût pu accaparer notre conscience individuelle et collective pendant aussi longtemps, comme un choc à nos sensibilités devenues fragiles, comme un traumatisme appelé, indiquant nettement le manque de ressort et de vitalité de notre époque – et tout ceci jusqu’à un terme qui semble encore loin d’être échu tant la persistance autant que la reproductibilité du phénomène sont patentes ? Cet « événement », si minuscule, si infime, si banal qu’assurément on ne l’eût point nommé ainsi en d’autres temps, a mis un coup d’arrêt, une pause durable et fatale, à tous progrès de notre histoire, sans même parler de régression, ce qui pourtant serait peut-être plus approprié ; il a rempli, offusqué, ravi et violé nos existences, monopolisé nos concentrations, réduit encore nos peu d’efforts élevés, confisqué notre droit de considérer autre chose et notamment toute curiosité légitime et nécessaire sur la vie, sur la vraie vie, tout cela pour une affection au double sens du mot, un pathos et une pathologie, qui peut aisément se reproduire sous des formes équivalentes et diverses, demain, dans trois mois et dans six ans peut-être ! Toutes nos œuvres humaines sont abandonnées, nos assemblées ne sont plus concernées que par ça, le Covid a phagocyté toutes nos préoccupations dignes, et depuis on ne regarde la télévision qu’avec cette expectative : que va-t-il se produire encore de covidien ? Il semble même que l’imagination de nos politiciens ne consiste plus, si malsainement, qu’à inventer des variétés de parades, d’expérimentations et de critiques sur ce sujet exclusif, y faisant toutes leurs campagnes d’influence, ne trouvant plus rien d’autre à communiquer, ne sachant plus tout à coup ce qu’il y avait de politique avant cela, ce qui faisait le contenu des débats publics : il n’y a même plus de monde, plus de monde à la télévision et dans les médias, le monde réel n’existe que par le prisme d’une maladie bénigne qui nous a rendus absurdes et ridicules. Nous nous sommes rapetissés dans cet affrontement d’un ennemi dérisoire, notre président a fait une « guerre » d’un adversaire qui simplement se guérit aux médicaments et se prévient à la seringue, l’ampleur des mesures que nous prenons jour après jour trahit non notre volonté et notre puissance mais au contraire l’infirmité de notre sens de la distance. Pour un dommage physique ou sanitaire minuscule, combien grand le préjudice intellectuel et moral ! Nous nous sommes trouvés sidérés et résilients à si peu de choses, si pitoyables, tant dépossédés de nos forces et de notre fierté, parce que nous nous complaisions déjà auparavant à la contemplation de la faiblesse et de la culpabilité, à croire que nous ne cessons pas de dégénérer dans la sacro-sainte compassion surestimée : il faut toujours faire davantage pour une poignée de souffreteux même rares ! rien ne suffit ! rien de trop, jamais ! et n’en point parler est déjà une variété du mépris, c’est pourquoi il faut y revenir, sans cesse, encore et encore, y trouver une solution ! Partout où une rumeur circule là-dessus, partout où l’on annonce une disposition sur ce sujet, ce n’est que pour le renouvellement de notre humiliation et de notre vilenie : se souviendra-t-on encore que naguère nous parlions législation, art, technologie, que sais-je d’autre ? À présent, nous nous accordons pour espérer, avec toute la ferveur insensée des prières, qu’un vaccin seulement – chose fort banale en sciences – vienne totalement à bout d’un virus qui n’inquiète en vérité que notre liberté de circulation : n’avons-nous pas honte, après avoir vécu la découverte effroyable du cancer et du SIDA, d’arrêter toutes nos attentions à de tels riens ? Nous sommes bien fascinés, ébranlés à si peu de choses ! Le Covid ne nous attaque et ne nous écrase jamais tant que lorsqu’il révèle notre médiocrité à réfléchir, notre absence de profondeur, toutes nos craintes exacerbées par l’habitude du confort, infimes, égoïstes, épidermiques : c’est surtout là qu’il nous extermine, pour le reste et même pour notre santé ce n’est évidemment qu’un détail de l’histoire de l’humanité, un détail tout court et à toutes échelles. Nous sommes cette civilisation qui, après des guerres atroces et des maladies terribles, tremble devant – ça. Et songer que depuis tout le temps que ça est là, tout s’est arrêté, toute réflexion aussi bien détachée que passionnée, toute entreprise supérieure, et que nous reléguons au rang d’indécence de parler d’autres choses, que nous en devenons même de moins en moins capables, que notre mémoire déjà altérée en pâtit davantage, de sorte que nous n’avons plus une pensée ni pour l’avenir de nos idéaux, ni pour nos mœurs cacochymes, ni pour l’amélioration globale de l’humanité, ni pour les dangers qui guettent une société hypothéquant son avenir à une crise entièrement fabriquée ou, du moins, largement surfaite, et ni, particulièrement, pour la sinistre déchéance de notre pensée qui devrait nous interroger en priorité. Ce virus, qui n’existe presque au monde qu’à l’état de concept et qui ne devrait induire, dans l’expérience individuelle, rien de plus qu’un vague sentiment de ouï-dire, nous a spoliés de nos ressources humaines, de nos motivations de bâtisseurs, de notre admirable recul, mais c’est très certainement parce que, comme après un long cancer la moindre maladie peut tuer le patient, notre immunité psychologique était jusqu’alors largement déficiente et fragilisée par le manque d’usage, nous étions déjà en mauvaise santé mentale faute de réflexions, nous nous trouvions en grand défaut de relativité sur la mort et sur bien d’autres sujets. C’est pourquoi la façon dont le Covid aujourd’hui s’impose à nous et dont nous entretenons excessivement sa pensée est un symptôme qui signale une société qui était malade bien avant le virus, une société morbide, une société aux forces expirantes, une société sans individu ou sans force collective d’une nature approchant celle de l’individu – ou encore, si l’on me permet l’expression : sans « individuité ». L’importance démesurée que nous accordons au Covid n’est que la traduction d’une obsession maladive préexistante : le Covid n’est pas l’origine mais le déclencheur de la névrose, au même titre que l’araignée ne provoque l’arachnophobie. La façon de résister ou de nous adapter à des agressions, à des pressions, à des stimuli, selon un corollaire au mot célèbre de Nietzsche, indique logiquement notre force intérieure, notre capacité de dépasser la douleur : or, il n’y a pas eu « agression » cette fois, et nous voici bouleversés, abattus et impotents sans souffrance, il nous faut nous remettre même d’une bénignité, d’une idée de violence au lieu d’une violence réelle. Voilà pourquoi je clame que c’était déjà la décadence de notre humanité avant que le trouble n’opère, pourquoi je clame que notre trouble démontre notre décadence antérieure, pourquoi je clame que l’humanité vivait déjà dans un trouble insu – en quoi il n’est plus qu’une urgence à accomplir, qu’un seul remède à consommer, et je parle sans ironie : lire et intérioriser au moins chacun de mes articles sur la « Psychopathologie du contemporain », ou le mal gangrènera et se répétera faute d’avoir enfin compris pourquoi nous nous effondrons littéralement à si peu de stimulations négatives.

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Commentaires
A
Ce n'est pas la première fois que je lis un article de vous à propos de la covid. Savez-vous que vous auriez pu proposer vos articles au site égalité et réconciliation https://www.egaliteetreconciliation.fr ? Osez ! La prochaine fois peut-être ?
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