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Henry War
5 avril 2021

Le comble de la précaution

Après avoir exacerbé jusqu’à la paranoïa le principe de précaution pour faire admettre au peuple qu’il existait un péril à ne pas se prémunir instamment contre une assez vilaine grippe tuant surtout des vieillards, notre époque de craintive complaisance est parvenue à appliquer le principe de précaution au moyen de précaution lui-même, en sorte que le contemporain n’a plus seulement peur d’une maladie relativement anodine, mais il en est à redouter aussi le vaccin chargé de lutter contre cette maladie ! C’est le comble d’une ironie sans précédent que ceux qui avaient le plus d’intérêt à susciter l’angoisse sur le mal aient réussi à rendre anxieux presque davantage sur le remède ! C’est d’une cocasserie jubilatoire à celui qui, comme moi, regarde la société à distance et comme de l’extérieur, en témoin blasé, et qui n’envisage même plus de se scandaliser de l’imbécillité contemporaine qui l’environne – on n’en pourrait plus autrement d’absurdité et d’aberration, on ne le supporterait pas, la résistance mentale d’un esprit sain face à tant de turpitude et d’abjection serait vite atteinte et conduirait bientôt au revolver. On n’est pas loin du moment où un vaccin, comme c’est le cas aux quatre coins de l’Europe, sera interdit chez nous au motif qu’on n’est pas sûrs de son innocuité parce qu’on ne peut l’établir au moyen de preuves certaines ! En somme, nous voici devenus capables d’élever des soupçons et des inquiétudes y compris au sujet même de ce qui devrait servir à les écarter ! Nous nourrissons des préventions défavorables même contre un objet favorable de prévention ! Autrement dit par analogie, notre société ayant instauré la peur panique du noir, elle nous apprend qu’il faut veiller à remplacer les ampoules électriques ; or, nous en sommes à incriminer les échelles et escabeaux parce qu’on ne peut pas démontrer formellement qu’ils ne portent pas malheur ! (ne constate-t-on pas d’ailleurs que leur utilisation provoque parfois des accidents ?) : l’heure est donc au moratoire des échelles et escabeaux ! Par la faveur morale d’une prééminence unanime accordée à l’appréhension du moindre danger, on a rendu le contemporain systématiquement soupçonneux : comme c’est comique et veule ! comme c’est burlesque et laid ! Dans une société d’enfants gâtés où l’on a attisé la terreur du père fouettard, on est arrivés, par entraînements, à terroriser les gens du père Noël : c’est qu’ils avaient décidément grand besoin de terreurs ! Il est vrai qu’on s’est contenté pendant longtemps d’agiter les instincts de survie du peuple, et que ce dernier, à force, n’a plus d’égard que pour sa protection ; on l’a incité à abandonner son sens critique et à affubler cette intelligence du nom d’« inhumanité », mais on n’en a pas appelé à sa raison ni éveillé sa conscience, on a juste flatté commodément ses tendances plutôt qu’édifié ses aspirations, au point que son esprit politique, que son mode de représentation du devoir, que son rapport à la responsabilité, se situent désormais tout entier dans l’appréhension fébrile du « mal » virtuel. Et le voilà tel, ce citoyen craintif et renforcé dans ses penchants de bête, qu’il se figure à présent en droit d’exiger des garanties, et ainsi, quêtant perpétuellement des craintes, d’autres craintes quand on l’a bien rassuré sur une chose, il revendique son droit de désobéir uniquement quand on ne lui a pas donné de gages d’innocuité, comme si l’on pouvait aisément démontrer ce qui n’existe pas – où le principe de précaution est une présomption de culpabilité comme je l’ai démontré par ailleurs, puisqu’il faut en fait apporter la preuve que l’on n’est pas dangereux : l’habeas corpus a cédé la place au primum non nocere. Voilà que le militantisme personnel ne s’éveille plus qu’à l’appel de sa peur ; ses sursauts de « dignité », « mobilisations » et « révoltes », ne sont plus que dans la trémulation et la fébrilité ! Que c’est drôle, ce peuple essentiellement dubitatif de sa propre sécurité ! Comme il est mesquin et insignifiant, l’homme moderne qui se plaint avant d’avoir mal, qui se plaint de la pathologie et de la thérapie, qui se plaindra bientôt peut-être du mot qui sert à les désigner parce qu’induisant un certain sous-entendu négatif, une « négation » que ses législations tendent de plus en plus à combattre et à punir, étant déjà pour lui une forme de danger potentiel, de classification, ou de discrimination, puisqu’un mot sert nécessairement à dire une chose qui exclut toutes les autres ! Ce goût-là de l’angoisse et cette passion politique exclusive pour l’abolition du risque qu’on s’est tant plu à instrumentaliser ont même échappé au contrôle du manipulateur : ce qui servait jusqu’alors à rasséréner, à défaut de toute crainte est devenu le dernier objet où porter sa crainte, puisqu’il y faut la crainte pour se sentir un sujet politique, puisque la crainte est le seul mode qui « anime » désormais et « matérialise » au monde. La maladie dont il s’agit n’avait certes aucune raison de faire si peur et elle s’est changée en paranoïa, pas davantage le vaccin et pas davantage notre mode de vie n’ont présenté de véritables « menaces » à quoi que ce soit, ce sont en réalité des préoccupations dérisoires, des effets de loupe qui auraient dû nous laisser largement le temps de réfléchir à autre chose, à de vraies choses d’importance. Mais, comme de façon centripète, le contemporain regarde de plus en plus au plus petit et au plus inconséquent, à la dimension la plus infime qu’il extrapole et exagère pour s’en imprégner l’âme vulgaire : il n’accommode plus que sur l’insignifiant qu’il doit grossir à l’excès jusqu’à la déformation pour se sentir empli, gonflé, comblé, pour oublier le sens du recul et son défaut de mesure. Vous aviez peur de la maladie hier, vous avez peur de la cure à présent, vous aurez peur demain de l’idée de guérison, par accès de déraison progressive – je le prédis. Déjà, sans l’avoir compris, sans avoir osé y regarder de près, vous avez peur de moins que la mort, de moins que la souffrance et que la vieillesse, de moins que la tromperie et que vos erreurs ; déjà vous avez peur de vos incertitudes et des contradictions, vous avez peur de la peur et de la vie, vous avez peur de ne pas avoir peur et de vérifier que vos vies ne sont pas réelles ; peur de vous savoir vivre et de craindre surtout par procuration et finalement par antiphrase, peur de disparaître entier dans l’absence de cette peur et de cette vie fictives qui vous caractérisent en totalité, et, à travers ça, peur foncièrement de ce que vous êtes devenus et que vous ne voulez pas voir ; demain, plus que tout cela, vous redouterez ce que vous n’êtes pas et ce à quoi vous ne pourrez plus jamais prétendre et atteindre : mais, oh ! plus que jamais impitoyable et intempestif, de cela je fais mon affaire ! Oui, de cela je fais même tout à fait mon affaire et mon but !

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