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Henry War
7 avril 2021

D'autres boomers

On me rétorquera – d’avance je les vois venir, ceux qui tiennent au bienheureux privilège de ne pas penser « mal » ou de ne pas penser « du mal » c’est-à-dire de ne pas penser tout court, de ne point honnir c’est-à-dire de ne point aimer, de ne jamais « cliver » comme ils disent c’est-à-dire de ne jamais se résoudre à des sélections, et qui réservent une conscience éternellement « immaculée » à la défense des opprimés, de tous les opprimés vus comme faibles et nécessiteux, même quand c’est à raison qu’on les conspue et à dessein de corriger (notre morale contemporaine considère la critique négative comme une injuste offense dès lors que c’est de gens qu’il s’agit : un blâme ne doit retomber que sur des concepts ou des institutions, jamais plus sur des personnes) – que j’ai eu tort, parce qu’à examiner l’entourage les boomers ne sont pas les seuls à se sentir concernés par le Covid, et que bien d’autres s’en soucient, contrairement à ce qu’on a cru que j’ai précédemment écrit. Et c’est vrai qu’il existe quantité d’autres personnes qui, à l’envi, aiment à déployer leurs frissonnants fantasmes sur ce mal largement virtuel : j’en connais, même probablement plus que vous, travaillant dans la Fonction publique, et je ne puis de bonne foi ignorer que la paranoïa et la névrose ne procèdent pas uniquement de ceux nés – disons-le à la fois largement (de nombre) et étroitement (d’esprit) – entre 1945 et 1975. Mais quoi ? ceux dont je parle se reconnaissent à ce qu’ils n’ont jamais vécu d’inconfort réel : ils ont acquis un métier sans avoir ensuite à y entretenir leur compétence ni à craindre de le perdre, et toute leur « histoire », tous les « événements » de leur existence, se résument à des délibérations dérisoires sur des sujets vains et exacerbés à des dimensions flatteuses. Plus on est préoccupé par le Covid, plus on signale son intérêt pour des enflures, plus on indique son inhabitude à relativiser des douleurs, plus on manifeste du plaisir à la figuration de difficultés imaginaires ou qui ne relèvent pour l’essentiel que d’émois ; or, si j’ai bien indiqué que cela constitue l’apanage des boomers, je n’ai point affirmé que cela soit leur exclusivité. J’ai parlé par ailleurs de l’obsession du contemporain à se fabriquer une valeur, c’est un vice plus général et un défaut de perspective plus universel que de s’attribuer des épreuves, et valeur et épreuves ne trouvent typiquement à se justifier que dans « l’adversité » – où celui qui a vécu, croit-on, est celui qui a affronté, quitte à former embûches et conflits factices (on n’imagine pas autrement en quoi pourrait consister la fierté et la raison d’être d’un homme qui se saurait n’avoir jamais connu de difficultés, raison pour quoi les difficultés objectivement les plus inégales présentent toujours à soi un caractère de profonde gravité) ; oui, mais en l’occurrence il faut trouver à une maladie assez bénigne une disproportion bien grande, et d’où viendrait telle déformation sinon de l’absence de comparaison avec ce qui, dans la vie, se rapporte de bon aloi à des faits et à des actes véritables ? Les boomers sont certes les premiers atteints, cibles privilégiées de cette lacune du recul, de cet embarras à la juste mesure d’un vrai mal, de cette pesanteur et de cette mauvaise foi à se représenter un tracas effectivement sérieux, car ils n’ont pas connu de faits ni d’actes individuels, mais ils ne sont pas les seuls à devoir se sentir impérativement occupés, et notre société des plaisirs et du piètre travail y est aussi, comme je le répète, plus que propice. La différence tient de ce que les boomers, arrivés à présent à la retraite en grand nombre, n’ont quant à eux plus que cela pour se sentir de l’estime-de-soi ; c’est, à ce point d’inactivité patente, l’ultime événement qui peut les justifier, qui peut encore affermir leur piètre existence, qui peut légitimer la poursuite de leur vie de banal confort dans la bonne conscience de leur nécessité : ils ont besoin d’un problème majeur, et ils ne peuvent s’illusionner assez pour croire que leur ostéoporose ou que leur prostate sont des sujets d’exception ; c’est pour cela qu’ils ont forgé le Covid, par intérêt impérieux, par besoin existentiel, comme je l’ai expliqué, parce que sans péripétie il ne leur restait rien, pas le moindre prétexte à se perpétuer, sans cela aussitôt ils n’étaient rien et disparaissaient dans l’opprobre d’eux-mêmes, la retraite sonnait la fin de leur plus gros simulacre de péripétie. Or, du fait de la démographie, par leur seule masse d’ennui ajoutée peu à peu à la pyramide sociale et comprimant les forces actives et positives du monde, ils ont envahi la société, fait céder les digues minoritaires de la raison, déferlé leurs soucis artificiels sur nos ports réels ; ils sont le tsunami du faux événement devenu nécessaire et abattu sur nos structures tangibles, sur nos difficultés avérées, sur nos pays déjà bas de la mentalité de la facilité, en quoi ils y ont surajouté la chape et le poids de leur spectre, de leur menace, de leur cauchemar, de leur volonté surtout de se rappeler à nous, de s’imposer à nous par l’insistance de leurs craintes et de leurs cris, au même titre que les pleurs, selon Nietzsche, constituent la puissance de l’enfant qui, à défaut de pouvoir agir, veut partager sa détresse et son importunité c’est-à-dire rehausser son sentiment d’existence en ayant encore un effet, l’effet de nuire à quelqu’un et donc l’effet d’être pour quelqu’un – ils ont ainsi vérifié, probablement très inconsciemment compte tenu de leur délabrement intellectuel, qu’ils avaient encore le pouvoir de s’emparer des autres. Oui, mais d’autres qu’eux, bien sûr, même actifs, s’ennuient suffisamment pour s’imaginer une « guerre » là-dedans, pour galvauder cette notion de « conflit » depuis une relative insignifiance, et l’on voit que le long vieillissement croupi dans le confort ainsi que la perspective d’un pénible et douloureux examen de conscience ne suffisent pas à expliquer entièrement ces extrapolations folles : il faut chercher d’autres déments, subsidiaires et auxiliaires, dans la catégorie de ceux qui n’ont jamais éprouvé aucune peur véritable à opposer par comparaison à cette crainte irrationnelle du Covid. Or, qui sont-ils donc, ces gens ? le devine-t-on ?

… Où l’on comprend, j’espère, que rien ne ressemble plus à un boomer – qu’un fonctionnaire.

Mais l’âge, qui installe l’argent et la routine c’est-à-dire le confort, est d’autre part un facteur aggravant de cet esprit de paresse qui distingue la mentalité des boomers. Ce n’est pas tant que l’idée de révolution soit attachée à la jeunesse, ni, comme on l’a pensé par exemple après les manifestations de 68, que l’acquisition de toutes sortes de biens et de plaisirs conduise à penser qu’un changement social d’ampleur est devenu un trop grand risque, seulement des usages toujours identiques induisent une pesanteur de la pensée incompatible avec la perspective imaginaire de bouleversements utiles, autrement dit : ce n’est pas la crainte de perdre quelque chose qui alanguit l’esprit de nouveauté, mais c’est qu’avec le confort l’esprit se déprend progressivement de l’effort difficultueux de réfléchir. S’il est à peu près sûr que nombre d’anticovidistes sont en quête frénétique de surstimulations absurdes, je crois aussi sûr que les covidistes sont généralement incapables d’envisager sans douleur quelque réflexion un peu inhabituelle, au point qu’il leur faut accorder par défaut leur confiance à tous les signes d’autorité. On voit ainsi communément que les gens plus âgés croient facilement ce que leur disent leurs patrons ou le gouvernement, mais ce n’est pas, comme on pourrait le penser, par sagesse ou par hypocrisie, mais par douleur anticipée d’avoir à en douter, exercice pénible qui nécessite de refonder beaucoup de ses créances avec une agilité mentale qui désespère les cerveaux devenus calleux par déshabitude de s’interroger. L’âge, en notre société, au même titre que le niveau social, que j’entreprends comme l’installation inexorable du confort que l’habitude exige à tout prix de renouveler, fabrique la tendance au contentement qui est impropre à l’ambition d’un avis documenté, car la recherche et l’établissement de pensées inédites soulèvent toujours une peine qui insulte à la personne rendue ou devenue inapte à les produire : c’est ainsi qu’on voit une multitude de gens qui, ne comprenant pas quelque chose parce que leur esprit ne « parvient plus à suivre », considère que cette chose est d’emblée stupide et ne vaut pas la peine de s’y attarder – où l’on reconnaît la plupart des objections faites aux anticovidistes qu’on préfère souvent classer dans telle catégorie tabou de l’absurdité intellectuelle ou morale plutôt qu’examiner avec soin à dessein de les réfuter. Le confort longtemps acquis se change inévitablement en paresse et en lourdeur, en inertie, et il est rare que les premiers pas d’un homme dans l’existence sociale se fassent avec force confort, ce qui n’empêche pas la bêtise des jeunes, bien entendu, mais les rend temporairement imperméables à cette sorte de bêtise si spécifique dont j’ai abondamment parlé dans un autre de mes ouvrages dédiés à l’explication des boomers.

… Où l’on comprend, j’espère, qu’à l’exception d’un fonctionnaire, rien ne ressemble plus à un boomer – qu’un fonctionnaire sur l’âge ou, pour le tourner autrement, qu’un fonctionnaire d’une certaine ancienneté !

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