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Henry War
17 avril 2021

Un peuple de rodomonts et de pleurnichards

Je comprends les négationnistes ; seulement, ils exagèrent : ce n’est pas parce que depuis la fin de Napoléon Bonaparte les Français ont pris le pli de se vanter systématiquement des victoires qu’ils n’ont pas remportées comme si c’étaient les leurs qu’il faut aussi remettre en question les défaites cuisantes qu’ils ont prises. Il est vrai qu’ils n’ont, dès 1870 (lire Georges Darien pour rappel), jamais cessé de perdre en se valorisant comme s’ils n’avaient pas été pathétiques à des exceptions près ; on verra que c’est une tradition chez nous de crier d’injustice à toute déconfiture, d’altérer des faits de lâcheté et de collaboration en actes de bravoure superbe et individuelle, d’exacerber le nationalisme vaillant et revanchard tout en ne consentant, après cela, aux entreprises belliqueuses qu’avec l’assurance contractuelle d’au moins trois puissants alliés – pour illustration, demander à un contemporain : « Qui a remporté la seconde Guerre Mondiale ? — Facile ! Les Français ! » ; puis demander : « Comment ? », réponse : « Grâce à la Résistance ! » Les Américains, qui parviennent à être un peu plus véridiques que nous, même pour Lexington-Concord et le Vietnam, sont outrés de notre enflure et de notre ingratitude, eux qui nous jugèrent avec Roosevelt si misérables et pitoyables qu’ils hésitèrent à nous rendre la France (mais enfin, leur Histoire ne pouvait tout de même pas permettre l’ironie d’administrer un pays depuis l’autre rive de l’Atlantique) –, de fabriquer à la hâte des pièces servant à justifier par paquets des états de service si mal écrits qu’ils en deviennent facilement douteux : certes, la France n’a jamais su se comporter depuis Napoléon mieux qu’avec des prétextes, des nuées de bons sentiments et des récriminations fébriles où la peur est ce qui justifie le tremblement, et elle ne doit presque plus jamais, après lui, ses victoires qu’à des avantages de position ou de nombre au lieu de stratégies ou de tactiques issues d’une véritable grandeur nationale. S’il y a encore des historiens sérieux dans notre pays, des gens plus philologues que documentalistes qui ne se contentent pas de saisir des papiers militaires prégonflés pour plus que naïvement les avaliser d’automatisme (ce devrait être une condition de crédibilité accordée à un historien – au même titre qu’on ne devrait se fier à un critique littéraire qu’après qu’il ait reconnu qu’il n’y a plus de littérature – qu’il admette se méfier d’emblée de tout document émanant de Français), on prouvera, certes, que nos martyres furent globalement mérités, que nos comportements après déroute sont toujours à la plainte passive et abusive des violences qu’on nous a faites, que nous cuvons alors des sentiments de rancune que rien ne justifie – oui, tout cela est scandaleusement exact, cependant ceci ne veut pas encore dire qu’il n’y a eu ni Oradour-sur-Glane ni chambres à gaz ! Si notre État, nos états-majors et nos très obéissants professeurs n’ont pas compris qu’en amplifiant systématiquement des faits de guerre jusqu’au travestissement, jusqu’à l’héroïsme inconcevable et à la mauvaise foi patente, on jette un discrédit raisonnable, du moins un doute, sur toute son Histoire officielle, ce n’est pas une raison pour remettre en cause toutes les réelles atrocités que les Français ont subies quand elles sont étayées de témoignages nombreux et vraisemblables ainsi que de vestiges tangibles ! Non, je comprends les négationnistes, mais vraiment ils exagèrent !

 

P.-S. : On ne saura jamais, à cause de cette tendance à la légende et à l’outrance, ce que valut réellement la France en-dehors de la haute opinion qu’elle a eue d’elle-même à tous les moments de son Histoire. On ignore par exemple si Paris a véritablement consisté un jour en le « Berceau des Arts » qu’elle se plaît tant à se figurer, ou si Versailles a effectivement cultivé un « bel Esprit », au même titre que les bons historiens savent qu’on ne peut pas se fier, dans la plupart de ses comptes rendus militaires, au nombre de morts qui y sont indiqués, au point que, sur bien des victoires françaises, il peut être douteux que nous ayons effectivement remporté la bataille. On présume tout cela, on s’en persuade, mais on ne saurait bien souvent en trouver des preuves authentiques pour en être certains. Notre tradition nationale de tout exagérer et embellir nous a rendus inaptes, depuis des siècles, à représenter fidèlement les événements et les choses, et c’est toujours avec quelque déformation éhontée qu’en France nous prétendons rapporter des vérités et des faits – c’est ce qui explique que notre pays n’a jamais porté de philosophes que par exceptions très rares. Chez nous, on ne sait plus rien de positif à force d’avoir appris à mêler systématiquement son sentiment à l’exposé d’un phénomène. C’est sans doute ce qui explique le délabrement révélé de nos sciences, ces derniers temps, dont les plus insignes représentants paraissent même incapables de s’entendre, à chaque fois, sur ce dont il s’agit : c’est toujours « à la hausse » ou « à la baisse » selon ce qu’ils ont l’intention d’observer.

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