Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
23 avril 2021

Promptitude des réactions face au Covid

Ce qui plaide le plus en faveur de ma théorie d’un mal psychologique ou d’une névrose généralisée du contemporain relativement à l’exacerbation du Covid, c’est la promptitude, pour ne pas dire la précipitation et presque la convoitise, avec laquelle nombre de peuples d’Europe ont fondu sur cette cause et s’en sont emparés tel un prétexte pour réaliser ou faire réaliser leurs fameuses mesures sanitaires qui furent les preuves et témoignages d’une tension intérieure, d’une latence mentale, d’une impatience d’agir, d’un long manque de réalité active qui sans doute préexistait dans la société avant le virus qu’il s’est contenté de soulever et de concrétiser. Je veux dire que si la réaction n’a pas tardé, si elle a même si peu tardé, tandis que c’est à peine si l’on augurait de quoi il était question, ce ne fut point en raison de la dangerosité de la maladie qui, même en Chine, connaissait un taux de létalité faible, bien que la Chine, il est vrai, eût prit des décisions d’une brutale radicalité qu’ici l’on traduisit comme un affolement et une urgence tandis que cette méthode drastique lui est coutumière – ce qui nous était déjà bien connu et dont nous ne pouvions êtres dupes – dans tous ses actes gouvernementaux d’austère centralisation, réactivité dont nous préférâmes oublier la normalité devant des confinements d’ampleur et des constructions immédiates – la Chine, dans ses résolutions (c’est assez propre aux pays vastes qui se gouvernent avec plus de vigueur), se comporte toujours avec l’impressionnante fermeté de manœuvres de campagne militaire. Tout ce que nous savions alors du Covid, en plus de ce déploiement, était que dans un espace densément peuplé les hospitalisations étaient nombreuses et que des vieillards parfois en mouraient, et cette représentation, peu affolante par elle-même, fut amplifiée par les images des médias européens qui, déjà, voulurent signifier que la Chine ne pouvait pas déclarer et révéler la vérité parce que la vérité telle qu’elle était transmise paraissait sans le caractère d’extrême gravité qu’on désirait, comme s’il s’était agi pour la Chine d’une honte d’État, d’une hécatombe née d’une coupable gabegie, comme si décidément il fallait que ce fut une horreur proprement inédite ou indicible à la façon d’une extermination volontaire. Or, je prétends que ces informations à elles-seules ne pouvaient rationnellement suffire à effrayer à ce point les peuples et gouvernements européens. Bien sûr, tous ceux qui feignent après coup d’avoir disposé de sources officieuses sur place, autrement dit d’espions d’une façon ou d’une autre, pour estimer la situation d’alors, sont aujourd’hui incapables de fournir des indications détaillées par exemple sur l’origine du virus, mais ils peuvent toujours se vanter d’avoir été plus malins que les autres et d’avoir pris leurs dispositions en « connaissance de cause » ! Seulement, je crois que la réalité est plus simple, et que les Européens, qui eux ne disposaient de rien du tout que des informations de grands médias, avaient déjà, pour ainsi dire, des fourmis dans la tête, qu’ils ont trouvé là une véritable opportunité, une occasion de déclencher un trouble affermi et ancré, une variété psychiatrique de décompensation après un relatif équilibre de leur bizarre état d’esprit, et qu’ils s’ennuyaient, ou plutôt qu’ils avaient besoin… comment dire ? Ce que j’ai exprimé auparavant et dans d’autres articles sur le souhait de se forger une valeur, sur l’ennui des boomers et sur la déculpabilisation de l’inconséquence et de l’insignifiance, n’est pas entièrement satisfaisant, je veux dire que si c’est essentiellement juste et si je n’en renie point la teneur, je conçois que c’est encore quelque peu abstrait et intellectuel, qu’en cela ces propos ont pu sembler purement outrageants pour ce que cela induit concrètement de la mentalité contemporaine qui ne saurait se positionner avec extrapolation jusqu’à s’y reconnaître ; c’est, pour le dire autrement, encore trop un « raccourci » (au même titre que le cube d’un nombre et un raccourci pour ne pas multiplier le nombre trois fois par lui-même) parce qu’il y manque un degré, un échelon, un maillon, un intervalle éloquent et accessible à n’importe quel esprit pragmatique et franc, pour appréhender directement ce qu’est l’homme d’aujourd’hui et ce qu’il contient. Voyons. Qu’on lui demande par exemple s’il a peur d’être atteint du Covid : à moins d’être âgé (et encore !), s’il est honnête il répondra que non, et je dois dire maintenant que je doute, compte tenu des efforts de la médecine pour atténuer toutes les souffrances et tous le spectacle désagréable de la mort, qu’il ait fondamentalement peur de mourir : si l’on y réfléchissait sans proverbe ni conclusion hâtive, avec examen donc, on verrait que la plupart des peurs de la mort étaient associées non seulement à la souffrance qui la précédait presque nécessairement mais à la religion qui en faisait une sorte d’étape symbolique et sacrée, un passage à ne surtout pas manquer ; or, le défaut unanime de spiritualité moderne ne peut plus offrir une vaste inquiétude du trépas sauf peut-être à l’ultime moment et notamment parce que l’homme actuel est fondamentalement quelqu’un qui pense que, grâce à la médecine, il va toujours s’en tirer, et surtout se tirer de l’incommodité la plus affolante de la douleur. C’est pourquoi, je pense qu’on a eu grand tort de prétendre que l’homme moderne redoute la mort et de fonder toute la panique du Covid là-dessus : il n’a pas peur, pas vraiment peur du Covid en tant que maladie. Bien entendu, sitôt cette peur loyalement écartée, sa réponse change, preuve qu’il ne tient pas au juste à quelque argument décisif, qu’il fabrique ses pensées à mesure, qu’il improvise ses raisons, qu’il n’y a pas assez réfléchi, bref qu’il se justifie, mais n’importe : sa réponse s’altère et devient qu’il craint pour son entourage, pour les personnes fragiles en particulier auxquelles il tient, mais, pour peu qu’il regarde vraiment en lui, il verra que ce n’est pas encore vrai, que c’est de nouveau une excuse, un automatisme de pensée et particulièrement de pensée morale qui ne réclame nulle réflexion, qu’il va chercher simplement ce qui est le plus à même de conforter immédiatement son image et son estime-de-soi, ce que chacun peut constater à la façon dont presque toute l’Europe traite ses vieillards et ses mourants, et par « Europe » je parle bien de la majorité de ses citoyens c’est-à-dire de ses particuliers, dans une sorte d’oubli et d’abandon qui refusent de s’admettre : ce n’est sans doute pas nouveau que ce qui est cacochyme est une contrainte et un dégoût pour l’homme en bonne santé, quoi qu’on ose ou qu’on n’ose pas dire. Notre temps – mais c’est probablement universel – n’aime pas la présence de la mort, n’aime pas la pitié que lui inspirent les faiblesses et les signes de sénescence, personne ne veut côtoyer ça (pour ça, on a créé les hôpitaux et les Ehpad avec des horaires de visite heureusement limités). Certes, l’homme moderne se sent bon de prétendre qu’il a peur pour ses proches, mais il est assez fataliste aussi, et si peu soucieux de morale et de vie qu’il ne saurait considérer même leur mort qu’avec une sorte de résignation dont les pleurs, il peut l’anticiper, seront vite oubliés dans la relative activité de son existence – ce qu’on appelle « résilience » et qui se voit le plus souvent après les enterrements. Donc, c’est également faux : il ne redoute pas non plus la maladie pour ses proches, même si, en loin, il trouverait cruel et serait affligé bien sûr que ses enfants meurent, cependant, s’agissant du Covid, cela ne figure pas même un risque plausible compte tenu de ce qu’on sait de la maladie. Pourtant il n’est point douteux qu’une sorte d’appréhension le saisit, manifeste et sensible, quoiqu’en rapport ni avec la peur de la mort pour lui-même ni de celle pour autrui : c’est irrépressible et c’est vrai, jamais je ne songerai à le nier, il se sent concerné, une griffe le surprend étrangement à la mention de ce mal, comme un sentiment d’étreinte, il faut convertir cette information en réaction physique, comme un flux qui court dans ses nerfs et qui lui enjoint à combattre. Et il a peur, c’est juste aussi, c’est plus que certain, je ne lui nierai pas non plus la peur, je ne lui ferai pas cet avantage par lequel il contesterait mes assertions en bloc dès ce point, toutes mes affirmations successives sur la base tangible de ce qu’il éprouve, sur le fait que sa peur est réelle puisqu’il la ressent, ce que je ne puis « décemment », ou logiquement, remettre en cause : certes, il a peur, bel et bien, quoique vraiment ni pour lui ni pour sa famille. Il ne sait pourtant à peu près rien de cette maladie, il n’en sait pas beaucoup davantage à présent, il en saura presque de moins en moins à mesure qu’il se renseignera puisqu’il ne fait toujours que consulter ce qui l’approuve. Ce n’est même pas, je crois, de l’idée de virus qu’il a peur, contrairement à ce que des commentateurs ont prétendu : les virus, il en a l’habitude, et il n’est pas stupide et paranoïaque au point de se figurer l’extinction de l’humanité, comme ça, inexorable, du jour au lendemain, sur un mal aussi relatif, aussi bénin, aussi anodin. Je ne le pense pas assez déraisonnable pour s’affoler de la possibilité d’une mortalité énorme, comme autrefois avec Ébola ; il a par ailleurs vu tous les films de ces pandémies, il y est blasé, la peur en est au moins partiellement retombée, de sorte que même au jour du jugement dernier Armageddon ne le laissera pas beaucoup terrorisé. Non, ce n’est pas ce qui le dérange, il ne croit pas vraiment au scénario-catastrophe, rien ne lui permet d’affirmer de tels soupçons, même si la science-fiction peut l’enthousiasmer un certain temps et lui donner à imaginer des préjudices superlatifs, seulement là-dessus n’a-t-il pas déjà plus ou moins « lu tous les livres » et épuisé toutes les émotions ? Alors quoi ? Il a envie. Oui, cela est vrai, cette peur possible lui donne envie d’y participer, tout de suite : il a envie d’avoir peur, c’est excitant, la peur, non pas excitant comme quelque chose d’intellectuellement positif, pas excitant comme quelque chose de mentalement enviable, mais il a envie de cette sensation de cœur qui se gonfle, envie de préoccupation, envie de ressentir cette vie de l’angoisse, cette agitation en lui, ce vide qu’une intention emplit. Je ne tolèrerai, je crois, aucune négation – aucun négationnisme – de cette envie d’avoir peur, qui serait une mauvaise foi principielle. Envie de bavarder longtemps là-dessus, dès l’abord, envie de lancer des discussions, de répéter des informations, d’aller se croire utile en parlant à son entourage de tout ce qu’il subodore, en se constituant comme noyau d’importance et vecteur de transmission, en établissant un réseau : dès lors, il ne gardera plus rien de ce qu’il sait, de ce qu’il présume, de ce qu’il croit ; ces entretiens le rendent vivant, le confortent, l’épanouissent, même sur ce sujet morbide : il s’y sent une place, parfois on l’écoute. Envie de s’inquiéter aussi bien sûr, envie d’inquiétude. Il adore être préoccupé, il faut expliquer cela qui est apparemment contradictoire : il aime plus qu’il ne déteste cette sensation d’urgence et de tension ; il se plaît depuis longtemps, même dans sa déprime, à prendre des anxiolytiques non pour se débarrasser de sa crainte, mais pour signaler – se signaler à lui-même – qu’il est quelqu’un qui éprouve des craintes, qui mérite des craintes et donc qui contient une intimité de haute violence, qui dispose d’un contenu personnel critique. Il se plaît à la peur – il faut bien m’entendre là-dessus, car je ne dis pas que la peur lui soit agréable – toujours comme un divertissement, comme un film un peu plus réel qu’au cinéma, un peu plus fort en émotion, et c’est ce qui me fait dire qu’il se sent valorisé de sa crainte, bien que le fait soit plus instinctif et moins moral, plus viscéral et moins philosophique ou éthique, qu’il n’y ait pas besoin d’y penser pour le ressentir en soi : il ne faut pas appréhender la peur d’un point de vue trop théorique – au contraire en l’occurrence – pour en comprendre l’origine et le goût : l’appétit. L’homme contemporain se crée des péripéties dans sa propre vie par lassitude de se les représenter dans la vie des autres où elles lui parviennent avec plus de détachement et moins d’intensité – et cela fait longtemps que sa propre vie ne lui fait pas beaucoup plus d’effet que la représentation de la vie des autres, puisqu’un film ou une série d’un soir est déjà infiniment plus riche que le récit de son existence. Alors, il ne sait pourquoi, mais il s’aperçoit que la peur-même (il me faudra préciser ultérieurement la consistance exacte de cette peur qui ne doit pas se circonscrire à l’idée typique qu’on s’en fait, sa réalisation étant bien plus intériorisée, à la fois dérisoire et critique, que ce que peut par exemple provoquer un banal film d’horreur) l’agite, le rend de nouveau actif, lui fait prendre conscience de comme une leçon, le stimule et lui redonne un rôle, et c’est ce qu’il ambitionne dans la peur, une reviviscence, une réinitialisation, une remobilisation dans l’existence, une amplitude, une ampleur. La peur, cela se sent, cela s’éprouve, cela s’endure : il y a un vertige dans le fait de jouxter la peur, et ce vertige est tentant ; il vaut encore mieux la peur à l’absence de peur qui est synonyme de perte de sentiment, de perte d’identité et même de disparition. Le contemporain, non, n’a pas peur de mourir, mais il a, en loin, peur d’être déjà mort, peur de la monotonie confortable dont il veut sortir, et c’est ce qui l’incite avec virulence à des sursauts et à des plongées dès que l’occasion se présente ; il est toujours à l’affût d’une situation d’émotion où il ne risque rien. C’est donc artificiellement qu’il va chercher en lui les ressources de cette peur, et la meilleure preuve de cela, c’est qu’il ne veut jamais savoir au juste de quoi il a peur, que les réponses qu’il forme là-dessus sont empruntées, maladroites et manifestement fausses, que sa peur ne présente même en rhétorique aucun caractère crédible ou vraisemblable. Il ne veut pas savoir qu’il n’a pas peur, je veux dire qu’il n’a pas logiquement peur, alors il refuse de s’expliciter ce dont il a peur et qu’il ressent comme peur, ce doit être « évident », ça ne doit pas s’expliquer tant c’est « humain », tant ce doit être « naturel » et « unanime », tant il y faut de « solidarité » et de « compassion », il a trop de plaisir à s’effrayer : il se sent redevenu un être social et plein, un être prospectif et inscrit dans une certaine direction parce qu’il nourrit désormais le projet d’entretenir sa peur. Ce n’est pas tant, comme je l’ai écrit par ailleurs, qu’il a « besoin de sa légende », je veux dire pas directement, je veux dire pas évidemment, car il ne se contemple pas ayant peur et n’a pas le recul pour se regarder créant sa propre peur, trop occupé à la vivre et à s’en sentir oppressé, il ne peut appréhender cela lui-même, la « volonté de se croire une grandeur », la « nécessité de se faire un péril » comme je l’ai écrit, ces représentations même vraies ne peuvent susciter en lui un sentiment d’identité et de vérité ; mais les émois qu’il traverse avec le Covid, tout fabriqués et irrationnels qu’ils sont, lui donnent à se remplir d’importance, même si c’est une importance « négative », l’expérience des affres de l’angoisse (c’est malgré tout une angoisse hors de danger) ; grâce au Covid, il est regonflé de passions, il n’avait plus vécu ça depuis longtemps. Là, au surplus et c’est important parce que cela favorise sa peur, il croit ses passions justifiées parce qu’elles sont répandues et en appellent à des incantations morales, à toutes sortes de proverbes conditionnés : je ne veux pas dire par exemple qu’une sorte de nationalisme l’imprègne d’importance comme doctrine (« De tous les partis, nous devons être unis face au Covid » : sous cette forme politique, il s’en fiche), mais il est satisfait qu’on ne puisse dire ni penser de lui, à tous les coins où il en parle, que son inquiétude est illégitime et surfaite, ce qui n’existait pas, tant quand il parlait de ses problèmes conjugaux, de ses ennuis de travail ou de ses tracas de santé. Son émoi est objectivé parce qu’il est pris par tous au sérieux, nécessairement, comme une réalité : il a pris une forme extérieure et irrévocable, c’est de facto un sujet. Cela le fait trembler d’une trémulation qui est cette angoisse sourde qu’il appelle précisément à lui ; il lui serait facile en théorie, c’est plus qu’indéniable, de ne pas se préoccuper du Covid qui ne l’atteint en réalité que par de lâches extrémités, qui n’a avec lui le plus souvent que le rapport d’une nation ou d’une rumeur ou d’une famille éloignée, qu’il n’a expérimenté, si c’est encore le cas, en général que sous la forme d’une grippe, oui mais il veut cette angoisse, il veut ressentir, il ne veut pas l’indifférence qui constitue l’ennuyeuse toile de fond de la vie ordinaire. C’est cela, c’est exactement cela que je veux dire depuis des semaines. Certes, il a peur, oui, il a vraiment peur, une peur lourde et omniprésente, et il ne faut pas lui dénier cette peur ou il vous donnera tort d’emblée pour ce qu’il la sent, cette peur, et que c’est irréfutable, mais ce qu’il ne saurait, lui, réfuter, c’est qu’il n’a, quand il y songe, que des raisons superficielles d’avoir peur, que des raisons insaisissables, qu’il ne sait pas pourquoi il a peur, que cette peur est émanée de lui-même et pas des faits, qu’il a fabriqué cette peur dont il a besoin et qui lui plaît même si par ailleurs, comme c’est une vraie peur, ce lui est aussi une façon de désagrément, une importunité. Tout homme a besoin d’une adversité : expression que j’ai déjà employée mais qui, au propre et sous cette forme, ne peut pas être éprouvée ni donc approuvée par le Covidiste ; il faut plutôt lui demander : « Et pourquoi le Covid est-il ton adversaire ? », et là il est tout troublé par le manque de réponse, son silence le laisse gêné, gêne qui se signale toujours d’abord par un agacement et par les automatismes de réponses fausses dont j’ai déjà parlé (peur de mourir, peur pour mes proches, peur du grand nombre de décès humains, etc), et comme il cherche ainsi des biais, en loin simultanément il sait qu’il les cherche, il se sait les chercher, parce que ce qu’on cherche induit toujours une difficulté de représentation, et donc il sait que ces motifs ne sont pas du tout personnels et spontanés, qu’il doit les trouver hors de lui-même, qu’il doit en inférer la logique ailleurs, même s’il peut encore quand même malgré tout s’affranchir de cette considération en invoquant toutes les « évidences humaines » par lesquelles la mort est un mal d’office et ne se réfléchit pas (comme c’est commode, la morale !). Mais en lui, il ne sent pas qu’il a besoin d’adversaire, ce n’est pas ainsi qu’il le fabrique consciemment, mais comme il ignore pourquoi il prend tout cela tellement à cœur, comme on peut assez facilement lui faire voir qu’il se passionne un peu excessivement pour ce qui ne le concerne que de loin, que pour des événements qui n’ont avec lui personnellement qu’un faible rapport qu’il est obligé de rechercher, la question l’interroge, et il devine peut-être qu’il a besoin, pour être, de se sentir lutter contre quelque chose, qu’il a eu besoin au premier instant de se sentir une part intégrante dans ce problème, besoin de se savoir engagé dans quelque chose : la peur qu’il ressent et dont il s’empare si vite est une forme sensible de ce désir d’être impliqué et de cette volonté d’avoir à faire. Car la société ne propose plus vraiment de sujets de luttes qui ne soient, par bien des côtés ostensibles, dérisoires ou ridicules ; on se sait toujours bête rien qu’un peu à combattre « pour la planète » ou en faveur de meilleures conditions de travail : c’est commun ou mièvre, ça ne suffit plus à se savoir unique et transporté, ça ne soulève plus de passions d’apparence authentique, ça ne donne pas du sens ou de l’intensité à la vie quotidienne, c’est même un peu scabreux et égoïste, en un sens – c’est fabriqué depuis des lustres, comme des répétitions d’indignations qui deviennent affectées, qui sont des structures répétitives et qui se départissent du cœur, sans émotion, comme on récite une partition contre la guerre. Or, le Covid est inédit, lui, il est impalpable, il est justificateur et il est social : il a toutes les vertus d’une peur souhaitable, d’une peur emballante, d’une peur qui rend à la vie. On ne se sent pas bien d’avoir peur du Covid, certes, mais on aime à se sentir une peur émouvante et profonde, on y tient davantage qu’à se sentir bien, on y tient davantage même qu’à ne se sentir aucune peur c’est-à-dire à ne se sentir personne. Tous les témoignages sur les réseaux sociaux le confirment : c’est une peur dont on aime s’épancher et pleurer, c’est bien cet épanchement-là qu’on cherche et qu’on obtient dans cette peur, grâce à elle on pleure hors de proportion, personne ne peut vous nier grâce à elle, et vous avez un effet sur les gens, vous transmettez la peur et d’autres émois afférents, vous la partagez, c’est bien quelque chose qui émane de vous et que vous manipulez, qui en cela vous donne une certaine existence sinon une certaine puissance – c’est une obsession aujourd’hui d’expliquer en larmoyant combien on se sent touché par le Covid, et, tout en agissant ainsi, on exprime sa personne, on verse ses idées et ses actes mêmes très banals, on se croit retrouver de la substance. Le contemporain déploie tant de passion à se purger de cette peur qu’il oublie, dans l’enfermement centripète qu’il établit autour de ce mal, combien ses plaintes sont exagérées et irrationnelles, combien elles sont bâties exclusivement de d’épiderme, combien elles sont mensongères et se fondent sur peu de faits – il l’oublie littéralement, il oblitère la majorité de sa raison pour pouvoir librement, c’est-à-dire sans contrainte de réflexion, s’abandonner à cette douleur qui l’élève et dont le défoulement lui rend de la personnalité, lui fait éprouver de la vie – mais il n’exprime certes pas directement, contrairement à ce que j’ai pu écrire par simplification, cette douleur pour se sentir élevé, il n’a pas une conscience si dégagée que sa douleur le transfigure et qu’il l’a appelée sans raison, cette conscience est trop intellectualisée, trop dépassionnée, trop distanciée pour qu’il pût y accéder, simplement il se sent soulagé et il perçoit une sensation relative d’accomplissement à contribuer à sa manière, à participer en tant que particulier, à l’exposition d’une réalité, car il se promeut lui-même ce faisant, bien qu’il s’agisse beaucoup d’une mise en scène (le comédien amateur a toujours intérêt, alors qu’il joue, à s’oublier quelque peu dans son rôle de façon à y plonger plus facilement : il devient ainsi qui il incarne au lieu de se regarder faire, l’examen gêne le transport, et c’est uniquement ou principalement ce transport que le contemporain poursuit) ; et comme ce soulagement, pour être utile c’est-à-dire libérateur ou curatif, se doit admettre le plus honnête possible, il est versé perpétuellement dans ce qui revêt au mieux les attributs du réel et selon une certaine périodicité où la langueur finit par gagner, la langueur face à tout ce qui s’installe dans la vie comme un ennui ou une lassitude, même comme du divertissement quand il émousse les sens. Et ce soulagement le galvanise en quelque éprouvante sorte, il le charge d’énergie, de cette énergie qu’on confond aisément avec une force et une matière, son indignation le stimule, ses espoirs le remplissent, ses soupçons et ses haines le densifient, il se gorge et se comble ainsi d’inessentiel, de valeurs controuvées, faute de discriminer de vraies douleurs, il se contemple vivant au grand remuement intérieur, encore factice certes, mais néanmoins qu’il sent, mais néanmoins moins factice que le spectacle grec dont le cinéma est un héritage et un succédané. Certes, il ne se reconnaît pas à mes tournures de « besoins d’événement » ou de « sentiments de valeurs » formulées en style trop littéraire, mais il confessera – du moins il se confessera à lui-même si son besoin d’image fait obstacle à une confession extérieure – que ces passions le ragaillardissent quelque peu dans l’impression déblocante d’une impérieuse violence, qu’il ne s’est jamais senti aussi utile qu’à alerter et à décrier (même si, bien sûr, il prétendra toujours qu’il « préfèrerait ne pas avoir à le faire », ce qui, dans un autre ordre d’idée, est également vrai), il a édifié tout ce simulacre insu sur des nécessités intimes et non sur des faits extérieurs et objectifs qui n’interfèrent guère avec son existence et qu’il n’a véritablement jamais vécues, et il s’étonnera, après cet article s’il est franc, de sa propension à dépêcher tant de curieuses et actives terreurs sur des tourments somme toute étrangers et comme pour le seul plaisir de se soucier de quelque chose, ce qui est à peu près sans déni possible, car il doit finir par admettre qu’il devrait y avoir beaucoup plus inquiétant à se préoccuper que ce malheureux Covid assez inoffensif. Or, le contemporain s’est hâté après cela dès le commencement et sans raison logique que psychologique, parce que le Covid, il faut se le dire franchement enfin, n’est pas vraiment un problème pour lui, il s’est créé ce problème, il a sauté sur ce problème aussitôt qu’il s’est présenté comme une passion dont on peut pleinement s’investir, et non, comme a l’air de le prétendre Mr War dans ses articles, parce qu’il avait délibérément envie de s’inquiéter ou parce qu’il avait décidé de faire semblant d’avoir peur, non certes, – et je reconnais mon manque de pédagogie et ma maladresse lexicale, parce que j’ai représenté des notions complexes avant les plus immédiates et sensibles – non parce qu’il avait l’intention d’une pose ou d’une crânerie (quel simplisme ridicule ! mais comment a-t-on pu me faire dire cela ? il y a décidément quelque chose de tordu dans la compréhension moderne), mais parce que son problème séculaire, parce que son « mal du siècle » à lui consiste justement à ne pas avoir de problème à partir de quoi ressentir, s’émouvoir, parler et se plaindre, à ne plus avoir de problème de bon aloi par où il peut prouver qu’il vit et surtout qu’il se sent vivre : alors il cherche des sources d’émotion les plus authentiques qu’il peut trouver alentour. Or, il en a à présent trouvé dans cette assez vaste exaspération, dans cette exploration de peines plutôt imaginaires, dans ce grand pot collectif où chacun, voyant l’autre surexcité, se désinhibe lui-même de ses émois plausibles : un pseudo aloi vaut encore mieux qu’une feinte devant la télévision, mais certes, ce n’est pas encore de la bonne monnaie avec quoi on me persuadera d’une valeur ; on n’achète rien avec ça, sinon le bonheur du moins la satisfaction, relatifs et mêlés de misères crédibles, de se sentir agité et de se croire inclus, ce dont notre époque a manifestement besoin. Ce qu’on vit alors n’est pas de l’inquiétude personnelle fondée sur de justes causes, je veux dire sur des causes objectives et nettes de toute intention de fabriquer des plaintes : c’est un montage qui donne une illusion de vie, illusion que le sentiment de peine entretient, parce que la peine, croit-on, comme tous les sentiments, ne saurait aller sans cause inhérente à la vie même c’est-à-dire sans événement émouvant, sans événement réel, et chacun sait qu’un homme triste ne reçoit jamais de contradicteur. Le cinéma aussi se vit pourtant comme le drame de sa propre existence : on se représente comme siennes des douleurs étrangères le temps d’une représentation, et l’on appelle ça la merveilleuse vertu de l’empathie et de la compassion ; or, il faut bien se figurer qu’il n’y a guère de différence de la vie au cinéma, que tout n’est que cinéma à défaut de recul, qu’on peut aussi bien observer sa propre vie comme un spectacle où, réalisateur également, on ajoute des ingrédients propres à susciter terreur et pitié – et rien que le dire, rien que l’entendre, fera aussitôt fermer l’esprit du « scénariste de sa vie », cette affirmation lui paraissant pareille à un scandale insupportable, pareille à un négationnisme, pareille à tout ce qu’on taxe d’immoralité et d’inhumanité, et tout particulièrement il refusera tout net d’accéder à la révélation de ce que le Covid est surtout le symptôme d’un mal et non une maladie embarrassante, car à défaut de péripéties et d’émotions le contemporain a besoin de vivre le film d’une vie, et si on le détrompe, c’est bien à lui-même qu’on attente. Et ainsi est-il né, le disert fantasme des affres du Covid.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité