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Henry War
30 avril 2021

Une contrainte pour une autre

J’aimerais qu’on m’explique pourquoi tout à coup la liberté leur manquerait, par quel attribut soudain cette liberté aux restrictions de laquelle ils ont si facilement consenti, viendrait à leur faire l’effet d’un vide ou d’un appel, mettons d’un « trou d’air ». Est-ce que la liberté n’est pas de ces profits dont c’est immédiatement qu’on perçoit le plus la confiscation ou le retrait ? Qu’est-ce que la sensation de privation partielle de liberté aurait à voir avec le temps sinon par le progrès d’une habituation ou d’une accoutumance ? Est-ce donc que la liberté est un manque qui se constitue peu à peu ? Est-ce que ce n’est pas plutôt un manque dont on ressent aussitôt la perte ? Ordinairement, on ne s’aperçoit pas de son manque de liberté sous l’effet d’une certaine durée, cette confiscation est au contraire plus vive dans les premiers moments, et, pour en ranimer l’ardeur, il faut la renouveler non par quelque lénifiante monotonie d’abstinence mais au contraire par quelque atteinte nouvelle et plus profonde. En l’occurrence, un an de plus ou de moins ne les empêchera pas de faire presque tout ce qu’ils veulent, certes avec permissions et attestations, et parfois aussi, il faut bien l’admettre, avec une accueillante permissivité comme c’est le cas partout où l’on se sert du Covid comme prétexte à davantage de négligence et de délais : d’où tireraient-ils alors si brutalement le sentiment qu’ils sont opprimés ? Existerait-il donc une quantité de temps au-delà de laquelle, contre toute attente et de façon contre-intuitive, la prolongation d’une restriction devient insupportable ? – ce n’est déjà pas du tout ce que révèle l’expérience des prisonniers qui affirment souvent et logiquement que le plus difficile de la claustration se situe dans les commencements. Mais plus encore, plus essentiellement : quelle différence cela leur fait-il, pour des papiers, pour quelques laisser-passer et déclarations sur l’honneur, je veux dire surtout : quelle différence profonde la durée peut-elle bien produire sur l’impression des contraintes du particulier quand elles se réduisent à cela ? Cette revendication, pour ne pas dire cette prétention, à l’accroissement d’un fardeau me semble absurde, elle me semble surjouée, elle me semble une diversion : ils vivent toujours exactement la même période intermédiaire entre confinements et réglementations, rien n’a changé, et cette permanence ne peut justifier une altération d’état d’esprit – où je crois que j’avais raison : les gens supportent toujours aussi bien la situation – ce qu’ils ne peuvent toutefois reconnaître hautement – car ils ne disposent d’aucun motif expliquant le revirement de leur adhésion au précédent régime des empêchements, seulement ils se lassent peu à peu, rien de plus. Ce n’est que de la lassitude au fond, la limitation de liberté n’y fait rien ou pas grand-chose. Ce ne sont décidément pas – ils sont en cela cohérents – des idéalistes en atteinte de valeurs supérieures, des philosophes qui se seraient corrigés d’avoir bien réfléchi ; non, ce qui devait les agiter et les émouvoir à présent les ennuie. C’est tout.

D’ailleurs, ils en trouveront d’autres, des sujets d’animation, de quoi distraire leur ennui, ils n’ont certes pas attendu le Covid pour s’en former d’artificiels, toute leur existence ne fut-elle pas bâtie de semblables préoccupations dérisoires, spécialement les boomers dont il s’agit surtout ? Même en faisant abstraction d’eux ou même en les englobant s’ils sont un tant soit peu miscibles ou solubles, est-ce que, pour autant qu’on s’en souvienne, le peuple n’a pas perpétuellement l’impression de son oppression et de sa vulnérabilité, sans qu’il soit besoin de virus ? Prétendra-t-on qu’avant cela les Français étaient sereins et vivaient dans une béatitude départie de tracas ? prétendra-t-on que d’autres inquiétudes aussi vives et importantes à leurs sentiments relatifs ne prenaient pas toute la place, ne remplaçaient pas alors des gens qui toussent dans une vilaine grippe ? prétendra-t-on qu’il n’existait pas jusqu’alors de dérangement ni d’importunité dont on se plaignait partout et sans cesse – est-ce que la mémoire peut manquer à ce point qu’on ne sache pas qui l’on était il y a à peine un an ? Est-ce qu’on ne se rappelle pas que les conditions de travail, que les salaires, que les impôts, que tel scandale politique à la mode, que tel attentat ou telle guerre, que le réchauffement climatique, que tel phénomène en vue ou telle loi en débat, que la forme des institutions ainsi que maints autres sujets leur donnaient continuellement, l’un après l’autre ou ensemble, le sentiment d’un renouvellement infini de préoccupations ? Quelle différence ? quelle sensation décisive de liberté tireraient-ils d’abandonner encore un souci pour un autre ? A-t-on déjà oublié tous les battage et tremblement, toute l’agitation de spectre autour des moustiques français, de la dengue et du chikungunya ? Est-ce donc qu’on suppose que la fin du Covid sonnera la disparition de toutes leurs misères et angoisses, et même de toutes leurs passions d’une intensité équivalente ? Est-ce que, quand ils pourront marcher sans masque dans la rue ou boire à la terrasse d’un café, ils ne s’estimeront pas encore inquiets et semblablement oppressés d’autre chose, et n’empliront pas leurs conversations d’un nouveau ou d’un ancien sujet d’émoi qui vaudra exactement la même sensation d’importance et de peine que celle qu’ils ont tout juste abandonnée ? Pourquoi les contraintes du Covid seraient-elles beaucoup pires que d’autres artificielles qui les ont précédées puisqu’elles sont encore surtout psychologiques ? Pourquoi les contemporains se réveilleraient-ils d’une prison comme s’ils ne s’étaient pas rendu compte qu’on les y enfermait ? Prétendront-ils arguer bientôt (oui, je pense qu’ils réclameront là-dessus parce que c’est de toute évidence un argument de mauvaise foi) que la perspective d’une sortie était ce qui les maintenait le plus sagement dans la résolution d’endurer des privations ou des torts ? Ah ! je ne saurais croire cette excuse, car ils ont pris manifestement plus de plaisir à s’inquiéter et à apposer sur ce phénomène assez bénin les témoignages confortants de leur soumission qu’à interroger régulièrement leurs responsables et législateurs pour obtenir des gages, des dates et des garde-fous. Ce furent bien des détenus, mais des détenus heureux, parce que des détenus excusés et entretenus dans une peur qui les a valorisés : ils sont rassurés du fait même de leurs craintes, car ils croient avoir découvert que leur peur touche à toute autre chose qu’à leur sensation de vacuité, ils peuvent ainsi redouter le secondaire et ne pas questionner l’essentiel, à savoir : ce qu’ils valent et qui ils sont. Oui, mais ils se lasseront aussi même de leur peur : j’ai parlé de cela. Et dans ce processus, ils se chercheront des raisons, ils trouveront que le prétendu goût de la liberté est ce qui les flatte le plus : après s’être tant moqués de la liberté comme collaborateurs et comme gardiens, ils ne s’apercevront pas, parce qu’ils n’ont aucune mémoire, parce que la perpétuelle amnésie arrange leurs envies, que la liberté leur devient curieusement fondamentale et sacrée ; ils diront qu’ils ont souffert, beaucoup souffert de ce régime qu’on ne pouvait alors empêcher, les pauvres ! mais qu’à présent rien ne justifie plus la poursuite de…

Ah ! j’y pense tout juste, et c’est aussi atroce qu’évident et qu’inéluctable : comme ils voudront avoir souffert, comme ils douteront au fond d’eux d’avoir véritablement souffert, ils s’appesantiront sur les marques de la souffrance, et toute la politique sera trop contente de les accompagner dans cette complainte pour initier une grande « reconstruction », car que seraient-ce que toutes ces souffrances sans un long et douloureux deuil ! Je veux dire que notre morale si mièvre ne comprendra pas qu’elle se prétende convalescente sans signes d’effets secondaires, sans stigmates, qui serviront à confirmer une souffrance fictive : il faudra que la société tout entière, pour se croire de la valeur à cette épreuve passée, explore ses propres dégâts, il faudra évidemment pour cela qu’elle en exacerbe et qu’elle en fabrique ; comment les contemporains, autrement, accepteraient-il de se dire atteints si, déjà, peu après la maladie, il ne reste rien du mal ? Ils exigeront la vision et la matérialisation de ces feintes douleurs, de ces autopersuasions, de ces suggestions psychosomatiques, de ces fantômes ou auras de peines qu’ils échafauderont sur des indices de vestiges ; ils seront particulièrement attentifs, avec leur politique, à tout ce qui peut témoigner des fissures ou des cicatrices, des dégradations et des plaies encore rouges et dangereuses ; il y aura donc une focalisation nationale sur le deuil et les efforts (il ne s’agira encore que d’efforts superficiels, que de postures d’efforts et sans doute principalement des questions d’argent), sur le surmontement avec les dettes, sur le gros ressac d’un traumatisme pourtant imaginaire de façon à justifier qu’on puisse sortir de la « crise » et que personne, non, personne c’est juré, n’a pris d’intérêt dans cet « événement » puisqu’il est temps que l’on paye pour la souffrance afin de vérifier qu’elle a bel et bien existé ; les Français vont vouloir se faire souffrir ensuite pour garantir et se prouver qu’ils ont souffert auparavant… puisqu’on en gratte des croûtes, et même des peaux saines, à dessein de voir le sang qui manque à la mémoire et à la conscience ! C’est mon autre prédiction, improvisée celle-ci (qu’il est merveilleux d’écrire et de penser ensemble !) : pour pardonner nos indolences et nos inconséquences, pour excuser nos disproportions devant une insignifiance et une innocuité qui n’appartiennent même pas dans leur dimension au domaine de l’histoire, nous y adjoindrons les formes apparentes du repentir, de la mortification et de l’expiation. Un gigantesque autodafé ombreux lavera notre vacuité et notre veulerie dans des maux encore feints, propitiatoires et émotionnants – nous ne pourrons pas encore nous tenir en place d’être simplement heureux parce que, cette fois, nous saurons in petto que nous avons de grands vices à rattraper ! C’est que, vous comprenez, il ne se peut que le contemporain admette que cette affaire fut stupide et dérisoire, qu’elle ne s’est établie, ou presque, que sur des anticipations de mal, que sur de l’agitation et des préoccupations dont nous avions besoin pour se sentir vivre, ce serait par trop humiliant, cela, par trop ridicule ! On doit donc payer, parce qu’on sent que le mal qu’on a prétendu fut usurpé, mais comme il n’y a pas à payer de la crise, cette crise n’ayant pas existé, nous paierons après pour autre chose, pour le sentiment de la crise, pour l’effet de cette crise factice, pour nos pantomime et mélodrame – nous paierons, nous voulons payer parce que nous disons avoir payé, parce que nous croyons avoir payé, mais que nul n’éprouve vraiment en lui-même la sensation d’un coût. Et ainsi, plutôt que de se reconnaître qu’il n’y a rien à résorber, nul hématome sinon celui de notre animation-pour-rien, sinon l’écho de cette fantasmagorie et de ce simulacre, nous allons matérialiser la trace et le bruit, nous allons dès à présent initier la justification de nos souffrances et de nos singeries, au lieu de confesser nos vides nous allons créer le témoignage de la douleur, nous allons révéler des tumeurs qui, sans doute, n’ont rien à voir avec le Covid. Nos fautes ainsi ne seront pas encore assumées bravement et durement, nous ne nous corrigerons pas encore de nos fautes, mais nous en recommencerons d’autres pour atténuer et adoucir les premières, nous appellerons ça : faire le bilan. Ils diront tous, je les vois, les entends d’ici, en me regardant avec outrage et mépris : « Tu sais, ça n’a pas été facile, peut-être que ça a été facile pour toi, mais pour nous etc. » Qui sait ? ils pleureront peut-être sur des vestiges de leurs malheurs imaginaires comme on s’émeut d’une fiction, de sorte que se les rappeler tout à coup leur provoquera plus de peine que de les avoir autrefois senties, qu’ils garderont comme toujours, à la contemporaine, la disproportion entre le mal et le sentiment du mal, comme on fabrique et improvise le scénario d’une intrigue terrible qu’on s’efforce d’avoir vécue ! Et comment la politique ne prolongerait-elle pas ce fantasme ? Est-ce qu’elle sait faire autre chose depuis des décennies qu’assouvir les besoins d’image des citoyens ? Est-ce qu’elle s’est grandement élevée au-dessus du Français durant toute cette folie pour le rappeler à la raison ? Il faudra donc, par la parole et l’action des représentants, établir, ériger, restaurer non la joie mais la peine passée, indiquer le choc, servir de preuve que la souffrance a existé et qu’il en reste bien plus qu’une trace ; il faudra en appeler à la mémoire fictive ; il faudra qu’institutionnellement la nation se sente en compensation de malheur, en sortie de crise, en résilience, de quoi faire croire qu’un cataclysme à réellement eu lieu pour que chacun se sente réhaussé de mal, qu’il reste du mal pour tout le monde et dans tous les milieux, que chacun puisse tirer de son quartier de mal un peu de quoi se pavaner de douleurs, ce qui vaut infiniment mieux pour l’estime-de-soi que de comprendre enfin que tout ceci ne fut qu’un cinéma : et comment, au regard de la morale bête, sortir d’une hécatombe avec le sourire et la volonté de jouir ? cela n’est possible que pour des souffrances réelles, c’est même probablement le déroulement logique d’une souffrance de cesser tôt ou tard pour le malheureux de s’y épancher, mais les contemporains sont incapables de bien simuler les douleurs véritables, ils n’imitent que des caricatures, que des poses théâtrales, et, en l’occurrence, ils ne peuvent entendre que l’épreuve de bon aloi s’achève par des silences et des célébrations. Il y aura donc, après le Covid, l’austérité d’apparat – je le prédis parce que c’est de la plus étroite cohérence – il sera temps de parler de dette, de remboursement, d’effort, de remise à plat et à niveau, il faudra asseoir sur cette réputation de désastre un désastre réel. Or, si l’on y songe bien et en connaisseur, on trouvera que rien n’est plus propice à valider et à installer une créance de fissure et de fragilité que l’économie. L’économie moderne se fonde toujours premièrement sur des cotes dont l’indice fondamental se situe dans la confiance c’est-à-dire l’abandon des gens : créer un heurt économique et même un krach, c’est d’abord se le figurer et l’exacerber, s’en affoler ensuite, y pourvoir avant le temps. Pour l’unique raison que nos contemporains auront eu envie d’avoir vécu un trouble violent, ils le fabriqueront de toutes pièces, comme des spéléologues qui, sondant un cratère pour démontrer combien c’est brûlant et dangereux, à force de percer provoquent l’explosion du volcan. Oh ! pourvu que j’aie tort, bien sûr ! pourtant je ne m’avance guère, malheureusement : c’est évident, parfaitement logique, si systémique que pas un maillon ne manque à la chaîne ; c’est du reste d’un augure assez court et facile, moi qui me suis déjà aventuré à des prédictions sur plusieurs siècles. Comme il faut d’ores et déjà que tout ceci, si dérisoire, ait été terrible, de façon qu’on ne remette surtout pas en cause la sainte mentalité de la vacuité et des loisirs, alors on instruira le temps des cures drastiques, comme des témoins très lointains d’un accident sans gravité que la cellule de soutien psychologique parvient à affoler. Ils prétendront, dans une surenchère contre les faits qui a déjà commencé, que nous avons vécu pire encore que ce que nous aurons pensé, que nous n’aurons nullement lieu de nous estimer honteux compte tenu de la secousse, et ils prouveront combien notre société entière est ébranlée par le séisme, combien elle craque de toutes parts, et ils se forceront de mettre le doigt sur des blessures qu’ils ouvriront pour nous appliquer des remèdes extrêmement douloureux, non par calcul ni par manipulation, mais parce qu’ils seront persuadés que le Covid vaut bien un long rétablissement – « ils », c’est-à-dire non quelques politiciens conspirateurs dont les peuples seront victimes malgré eux, mais, comme depuis le début : vous, contemporains du proche, du toujours plus proche avenir !

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Commentaires
C
Nul besoin d'être Nostradamus pour prévoir que vous aurez raison : il ne suffit que d'un peu de raison pour démantibuler cette mascarade. Hélas, qui écoute sans malaise la description de sa veulerie ? Qui lira ce que vous écrivez en se posant les questions essentielles ? Ce covid est avant tout une maladie mentale. Et ils voudraient qu'on se l'injecte en perfusion...
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