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Henry War
2 juin 2021

Avantage de mes écrits

Mon avantage, comme je ne m’adresse pas à un lecteur extérieur à moi-même, que je n’ai à vrai dire presque aucun lecteur, et que la perspective même d’être lu pourrait quasiment, compte tenu du pauvre matériau humain contemporain, me paraître un déshonneur, c’est de ne jamais me soucier de mon image quand j’écris. Maints auteurs, et notamment chercheurs, à ce que j’ai constaté, ne font que courir après des compliments et des admirateurs – c’est manifeste, on perçoit sans mal ce goût de la superficialité, ils ne font que retourner des idées déjà faites ou avancer des universitalines. Cette ambition de passer pour une référence m’importune, car elle fait dire n’importe quoi, excès comme arguties. Ils en sont venus à ne choisir même leurs sujets qu’en fonction de la façon dont ceux-ci revêtent pour eux des opportunités de s’attirer une des variétés du prestige, et l’on devine à leur tournure qu’il s’agit d’agréer, que le soin de réaliser des adhésions préparées passe chez eux bien avant la froide transcription de la vérité – le ton n’est pas celui de l’objectivité, chacun y adjoint les familiarités ou les pédanteries contribuant à une appartenance sociale, et c’est pourquoi ni l’innovation spontanée ni le style personnel ne sont de notre siècle. Ils se disent : « Tiens ! puisque je ne puis publiquement me défausser d’un avis là-dessus, tâchons d’y trouver, à force de verbosités, ma petite éloquence à dire et qui me flatte un peu ! » Mais partout où naît la complaisance naît aussi la compromission : on débute en élisant un thème à la mode, puis on choisit un effet à la mode, et l’on devient soi-même, sans s’en apercevoir, un être de la mode, un mannequin, un fantoche ; on ne produit plus que des discours de la mode tant le processus est insensiblement graduel et tant il y faut de justifications amassées pour continuer ensuite à s’estimer malgré ça : on se condamne soi-même au désir de renouveler des succès similaires, bâtis sur un air ; on devient intrinsèquement décoratif, la parure devient une seconde nature même quand on se croit rebelle et impertinent.

Quant à moi, j’en suis à me moquer de la façon de satisfaire un lecteur ou de lui déplaire, et je pense qu’à mon abord l’on devine que je ne m’y intéresse jamais, que ce n’est point mon problème, que ses impressions ne me sont d’aucune importance. Je donne parfois, je le sais, le sentiment de souhaiter choquer, mais c’est parce qu’en réalité je ne prête aucune attention à ma réception, il ne m’importe toujours que d’exposer une vérité en sa forme la plus directe et pure. Je n’ai pas la plus petite tentation d’écrire pour « faire le beau », j’ai une grande répugnance à la redite, je ne me concentre qu’à clarifier par écrit mes soupçons de nouveauté, et je jure que, par exemple, le jour même où j’aurai achevé ma peinture principale du contemporain, j’arrêterai d’en parler et me livrerai à autre chose – n’est-ce pas déjà ce que je fais en réduisant la taille de mes articles sur le sujet et en développant des réflexions tout différentes ? Je n’ai aucun désir d’entretenir une spécialité dont je serais le consultant exclusif, comme ils font tous ; je réprouve l’attitude de ses « experts » qui, à force d’insistances et d’absurdes développements, se sont fabriqué artificiellement un nom de domaine à dessein d’être seul à en pouvoir parler : mes propos sont beaucoup plus limpides, et ils clament tous ceci, si on sait lire : « Ne viens pas me consulter pour savoir de quoi il s’agit, mais contente-toi de regarder autour de toi avec mon honnêteté. » D’une certaine manière, je nie celui qui me lit, ce qu’il est devenu, quand il espère que je lui parle au contraire. Voilà pourquoi mes écrits sont intempestifs : ils sont rédigés dans la négligence totale du lecteur en tant que sensibilité. Et voilà pourquoi ils sont intemporels : ils parlent d’une voix désincarnée qui n’emprunte rien aux passions du moment – et même pas aux miennes.

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