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Henry War
25 juin 2021

Abstention pour le non-politique

J’ai trouvé ces jours-ci dans la presse et dans la bouche des hommes politiques bien peu d’explications satisfaisantes aux fortes abstentions rencontrées récemment lors des élections départementales et régionales. On a prétendu que les Français avaient perdu le goût des urnes, qu’ils craignaient encore de se déplacer suite au Covid ou qu’ils en avaient acquis la paresse, que le beau temps et la fin de l’obligation du masque les avaient fait préférer d’autres activités plus récréatives, ou encore que ce scrutin était trop composé pour leur être compréhensible. Ces hypothèses, présentées une à une comme des vérités par ceux qui les énoncent, marquent assez, outre l’habituel opportunisme qu’on trouve à présenter des faits objectifs selon son opinion personnelle, une incapacité moderne d’appréhender la mentalité contemporaine. Il n’existe plus de sociologie vraisemblable parce qu’on a déserté le champ de la psychologie et de la philologie appliquées.

Les Français qu’on sonde déclarent s’intéresser à la politique, et je ne pense pas qu’il y a lieu de les démentir : ils élisent d’ailleurs encore leurs maires avec une relative ferveur, et ils démontreront une fois de plus une certaine présence à la présidentielle, une implication en tous cas supérieure au suffrage récemment constaté. Mais ces entités ont du sens, ce sont des personnes qu’on connaît ou des structures qui gouvernent et légifèrent ; tantôt on se sent impliqué dans la distinction d’un individu parce qu’on l’a rencontré et qu’on a pu estimer sa valeur et son mérite, tantôt on mesure en pratique les effets d’une idéologie qui matérialise des décisions dont les répercussions morales ou concrètes sont appréhensibles dans l’existence. En somme, toute politique véritable et de bon aloi signifie ou bien l’élection d’un être particulier, ou bien l’élection d’une conception avec ses réalisations afférentes.

Dès lors, il n’est pas compliqué, je crois, d’entendre que les élections départementales et régionales ne sont pas des élections à dimension politique.

Des candidats s’y présentent : on sait rarement qui ils sont, d’où ils viennent, ils ne se présentent qu’à l’ultime moment ; leur profession de foi nous parvient sans qu’on puisse vérifier leur sincérité, et elles disent toutes environ la même chose ; on n’a guère entretenu avec ces gens de rapport qui nous laisse le moyen d’examiner leur moralité. D’autres ne sont là que pour représenter des partis, incarnant des groupes dont on est parfois lassés, constituant autant de symboles puérils, des pour et des contre-gouvernement, et l’on devine dans ce but qu’on aura mieux fait, effectivement, de voter aux législatives, sénatoriales ou présidentielle.

Ce n’est pas tout. La nature même d’un conseil départemental ou régional suffirait à expliquer la désaffection des électeurs. On a tort de prétendre que ces assemblées décident et qu’en cela elles font de la politique ; leur rôle essentiel est de répartir budgets et subventions. À ces places, on a davantage besoin d’administrateurs soigneux que de convictions, et l’on peut sans mal imaginer ces échelons représentés par des fonctionnaires désignés ou affectés sur concours ; je veux dire que dans la majorité des cas, il faut restaurer un collège ou refaire une route, ou toute autre nécessité similaire : eh bien ! qui s’y opposera ? qui peut en tout honneur négliger un besoin ? Ainsi, la plupart des « décisions » départementales ou régionales consistent en des charges incompressibles pour lesquelles il n’y a pas le moins du monde utilité à délibérer et où même toute déviation faite à la loi générale est aussitôt retoquée par un Conseil d’État, comme cela se voit chaque fois qu’un de ces Conseils propose d’établir une espèce de loi. Autant élire le représentant local de sa Caisse d’Allocations Familiales ou le directeur de l’école où l’on a inscrit ses enfants ! On me rétorquera qu’on peut quand même espérer obtenir un peu davantage du Conseil départemental ou régional, et c’est bien vrai sans doute, mais il faut noter que ce Conseil ne peut vous amputer d’un droit et que, par conséquent, c’est tout à fait comme une faveur qu’on lui réclame, ce qui est toujours de quelque embarras quand on tient à sa fierté, ce qui en tous cas ne peut participer de rien de fondamental. Ainsi la France ne saurait-elle nullement se comparer aux différents États des États-Unis qui disposent chacun d’une véritable autonomie politique et où le citoyen se sent appartenir à une communauté en quelque sorte « identitaire », mais elle suppose, en l’occurrence et l’on ne sait pourquoi, qu’une variété d’administration doit être élue, et elle s’étonne ensuite que le citoyen ne se sente pas le moindre intérêt à voter. Si l’on préfère et pour indiquer plus clairement mon opinion, j’aimerais qu’on m’expliquât en quoi votre conseiller départemental ou régional représente le moindrement votre département ou votre région et son habitant c’est-à-dire vous-même.

J’ajoute que l’électeur pourrait au moins voter blanc pour manifester son mécontentement tout en assurant son devoir civique et démontrer par là-même son activité – c’est ce que j’ai fait, personnellement. Mais où j’hésite à renouveler ce déplacement, c’est qu’une fois de plus on ne parle pas du tout des votes blancs, mais extrêmement de l’abstention, de sorte qu’on ignore même si les votants, rares déjà, ne sont pas encore nombreux eux-mêmes à n’avoir pas choisi de s’exprimer : en France, ce qui paraît injuste, c’est qu’on considère premièrement l’expression de ceux qui n’ont rien fait, et seulement secondairement l’expression de ceux qui n’ont rien dit.

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